Sniff & Dip

4 avril 2025

Le soleil de Medellín inondait les rues animées du centre-ville où Lucie déambulait d’un pas léger. La jeune femme de dix-neuf ans se frayait un chemin parmi la foule bigarrée. Elle avait de très longs cheveux bruns qui flottaient derrière elle. Son tee-shirt blanc à col large flottait autour de sa silhouette mince, contrastant avec son mini-short noir qui dévoilait ses jambes élancées. Ses sandales claquaient sur les pavés disjoints, ponctuant chacun de ses pas d’un son sec. Le détail qui rendait sa tenue si sexy était les bigoudis qu’elle arborait aux poignets et aux chevilles. Ces accessoires incongrus, achetés le matin même dans une boutique, se balançaient à chacun de ses mouvements, conférant à sa démarche une allure de vacancière occidentale.

Elle longea des restaurants bondés d’où s’échappaient les effluves alléchants de bandeja paisa et le parfum enivrant du café colombien. Ses yeux s’attardèrent sur les fresques murales colorées qui ornaient les façades, témoignage vibrant de la renaissance culturelle de la ville. Au loin, elle aperçut les cabines du Metrocable qui glissaient silencieusement au-dessus des toits, reliant le centre aux quartiers périphériques.

Peu à peu, l’ambiance festive s’estompa. Les rires et la musique s’évanouissaient pour faire place au silence. Les couleurs vives cédèrent la place à des tons gris et ternes. Lucie s’engagea dans une rue de plus en plus étroite, où les murs n’arboraient plus que des graffitis.

Bientôt, elle se retrouva seule dans une ruelle sombre, baignée d’une pénombre un peu inquiétante malgré l’heure matinale. Des volets délabrés claquaient au rythme des rafales qui s’engouffraient dans l’allée, soulevant des tourbillons de feuilles mortes. Lucie semblait s’être égarée dans les bas-fonds de la cité.

Au cœur de cette ruelle se dressait le Sniff & Sip, un établissement à la devanture à la fois colorée et kitsch. La porte d’entrée, ornée de graffitis, semblait prête à sortir de ses gonds à chaque bourrasque.

*

Lucie poussa la porte du Sniff & Sip qui s’ouvrit dans un grincement prolongé, comme si elle n’avait pas été huilée depuis des années. Une clochette suspendue au-dessus de l’entrée tinta faiblement, annonçant son arrivée. À l’intérieur, elle fut immédiatement enveloppée par une atmosphère particulière.

Les murs étaient recouverts de papier peint à motifs floraux criards, délavés par le temps, et ponctués de cadres dépareillés. Certains contenaient des posters jaunis de femmes sexy, d’autres des affiches vintage de films et des publicités pour des produits exotiques. Une guirlande lumineuse multicolore clignotait au-dessus du comptoir, ajoutant une touche festive au bar.

Le mobilier semblait avoir été récupéré dans plusieurs brocantes. Les tables en bois massif portaient les marques d’années d’usure : rayures profondes, coins ébréchés et taches indélébiles. Il y avait quelques chaises en bois un peu cabossées. Au centre de la pièce trônait un vieux jukebox qui diffusait une chanson de salsa, donnant au lieu une ambiance cosy.

Lucie trouva l’endroit étrangement chaleureux. Elle aimait ce genre de décor en décalage total avec les cafés aseptisés et froids qu’elle fréquentait en Suisse. Ici, tout semblait avoir une histoire, un vécu. Elle passa ses doigts sur le comptoir en bois qui lui répondirent par l'adhérence d'un pot de miel. Plutôt que de grimacer, elle retira sa main avec un petit « schluck » et un sourire amusé, comme si cette patine historique de crasse était un label de qualité.

Cependant, aucun gérant ne se trouvait à l’accueil. Lucie jeta un coup d’œil autour d’elle, mais il n’y avait personne d’autre dans la pièce. Elle remarqua une petite sonnette en métal posée sur le comptoir, à côté d’un pot contenant des pailles bariolées et un menu plastifié aux coins écornés.

Elle appuya sur la sonnette. Un « Ouh-ouh-ouh ! », caricature du cri du singe, résonna de manière incongrue dans le bar vide. Un sourire amusé étira les lèvres de Lucie ; le ridicule de la situation commençait sérieusement à lui plaire.

Quelques secondes passèrent dans un silence qui contrastait avec le centre-ville, seulement troublé par la les différentes musiques de salsa du jukebox. Lucie attendit, les yeux pétillants de curiosité tandis qu'elle cataloguait mentalement les curiosités du bar. Il y avait d'abord cette plante verte, manifestement en pleine crise existentielle dans son coin sombre, dont les quelques feuilles survivantes avaient une teinte douteuse. Puis l'étagère, galerie d'art improvisée où des bouteilles vides de toutes formes et tailles s'entassaient dans un équilibre défiant la gravité. La jeune femme sourit en levant les yeux vers l'horloge murale au motif ananas : ses aiguilles, figées pour l'éternité sur seize heures vingt-deux, semblaient avoir décidé que c'était l'heure parfaite pour ne plus jamais bouger.

Puis, soudain, un bruit précipité se fit entendre derrière une porte battante au fond du bar. Des pas rapides approchaient, accompagnés d’un souffle haletant. Lucie redressa la tête avec curiosité tandis qu’une silhouette surgissait brusquement de l’arrière-salle : Marco venait d’entrer en scène.

*

L’homme surgit dans la pièce comme une tornade, ses pas rapides résonnant sur le sol. Il s’arrêta derrière le comptoir, un large sourire éclatant illuminant son visage marqué par les années.

— Bienvenue au Sniff & Sip ! lança-t-il d’une voix tonitruante, ses bras grands ouverts comme s’il accueillait une vieille amie.

Son énergie débordante était contagieuse, et Lucie se sentit immédiatement à l’aise.

Marco avait une cinquantaine d’années, mais son attitude exubérante lui donnait l’air d’un adolescent en pleine crise de fougue. Une moustache épaisse et soigneusement taillée dominait son visage bronzé, tandis que son crâne dégarni brillait légèrement sous les lumières clignotantes du bar. Sa chemise bleue, mal boutonnée et froissée, révélait par endroits un torse couvert de poils grisonnants. Il portait un short beige qui semblait avoir vu des jours meilleurs, et des baskets blanches, visiblement neuves, qui contrastaient avec le reste de sa tenue débraillée.

— Je m’appelle Marco et je suis là pour vous ! Alors, señorita, qu’est-ce qui vous amène ici ? Vous cherchez une expérience unique ? continua-t-il avec un enthousiasme débordant et les yeux pétillants.

Lucie rit doucement, amusée par son ton exagéré, et lui répondit d’une voix douce :

— En fait… je suis juste curieuse. Qu’est-ce que c’est que cet endroit ?

Marco fit un geste théâtral vers le comptoir, attrapa le menu plastifié posé à côté de la sonnette, et le tendit à Lucie avec un sourire.

— Ici, c’est un bar un peu spécial ! Lisez le menu et choisissez ce qui vous fait envie !

Lucie prit le menu que lui tendit le gérant et baissa les yeux pour découvrir les noms des produits proposés. Le plastique collant du menu lui donna une sensation désagréable, mais elle était bien trop intriguée pour s’en formaliser.

## Carte des Expériences Nasales ##

1. Blanche-Neige (5 $)

Notre best-seller depuis 1997 !

– Cocaïne colombienne extra-pure (90 %)

– Texture soyeuse et odeur raffinée de kérosène

– Aucun produit de coupe

– Servie sur miroir en argent poli gravé au logo du bar

– Paille rigide plaquée or

2. Hot & Spicy (2 $)

Pour une explosion d’euphorie !

– Cocaïne bolivienne haute qualité (75-85 %)

– Boostée au lévamisole (99.9 %)

– Aucun autre produit de coupe

– Servie sur plateau en terre cuite artisanale

– Paille rigide plaquée argent

3. Brasil Beach Party (1 $)

Le coup de fouet à prix très malin !

– Cocaïne brésilienne bonne qualité (50 %)

– Boostée à la caféine (99.9 %)

– Servie dans noix de coco évidée

– Paille en bambou recyclable

## Boissons Rafraîchissantes ##

1. Jus Frais (0.35 $)

Jus de fruits tropicaux infusé aux feuilles de coca

- Fruits locaux, feuilles brésiliennes

- Pressées ce matin même

- Plein de bonnes vitamines

- Servi dans bouteille en verre

2. Bubulles (0.10 $)

Eau pétillante citronnée enrichie en électrolytes

- Origine locale

- Hydratation optimale

- Servie dans bouteille en verre

3. Café Tinto (0.15 $)

Pour rester alerte à prix vraiment futé !

- Origine locale

- Grains moulus ce matin même

- Servi dans tasse en bois tourné

Lucie parcourut le menu, puis sourit en lisant les descriptions fantaisistes de chacun des produits. Elle leva les yeux vers Marco, qui la regardait avec une expression de fierté presque enfantine.

— Qu’est-ce que c’est le lévamisole ? demanda-t-elle en arquant un sourcil, son ton léger et curieux.

Marco posa ses mains sur le comptoir et se pencha légèrement vers elle, comme pour lui confier un secret.

— C’est plutôt ceux qui ont un budget serré qui choisissent ça, mais je vous recommande plutôt la Blanche-Neige ! Elle, c’est la crème de la crème, la pureté incarnée. Vous allez sentir la différence dès le premier sniff. La Hot & Spicy ? C’est bien pour les étudiants fauchés ou ceux qui veulent juste s’amuser. Mais vous… vous méritez une expérience digne de Medellín !

Lucie rit doucement, amusée par son enthousiasme débordant.

Lucie écarquilla les yeux en comprenant enfin la nature du menu. Un hoquet de surprise, rapidement transformé en un gloussement excité.

— Non ! C'est pas vrai ? C'est comme... comme dans Pulp Fiction ! La scène où elle... enfin vous voyez !

Elle trépigna légèrement sur place, l'excitation montant.

— Mais c'est génial ! reprit-elle. Je DOIS essayer ça ! C'est l'expérience ultime !

Elle se pencha vers Marco, les yeux brillants.

— Allez, Marco, soyez mon Vincent Vega ! Une « Blanche-Neige », rapido ! Je sens que ça va être... mémorable !

Marco éclata de rire, un rire franc qui fit trembler les verres sur l'étagère.

— Vincent Vega ? ¡Claro que sí! Vous avez l'œil, señorita ! Et le bon film !

Il se pencha vers elle avec un clin d'œil appuyé.

— Et vous voulez faire de ce bon vieux Marco votre Vincent Vega ?

Il se rengorgea, passant une main sur sa moustache comme s'il ajustait un costume invisible.

— C'est un honneur ! Mais attention, ma Blanche-Neige à moi, elle est de première qualité.

Il partit d'un rire tonitruant.

— Alors, en place ! Moteur... Action ! Votre Blanche-Neige arrive tout de suite, señorita !

Puis il disparut rapidement derrière la porte battante d’où il était apparu plus tôt, laissant Lucie seule dans le bar. Elle parcourut la pièce du regard avant de choisir une chaise qui semblait être la moins cabossée parmi celles disponibles. Elle s’y installa en croisant les jambes et posa ses mains sur ses cuisses.

L’excitation montait en elle comme une vague irrésistible. Elle n’avait jamais rien vécu de semblable auparavant et se sentait comme une aventurière prête à découvrir un trésor caché. Ses doigts tapotaient nerveusement le bord de la table tandis qu’elle attendait impatiemment sa commande, un sourire espiègle illuminant son visage.

*

Marco revint de l’arrière-boutique, un plateau en main. Avec une gestuelle exagérément élégante, il déposa devant Lucie sa commande : un miroir en argent finement gravé, sur lequel étaient soigneusement alignées dix lignes de cocaïne d’un blanc éclatant, et un verre à cocktail rempli d’une boisson citronnée pétillante.

— Roulement de tambour... s'il vous plaît ! annonça Marco en arrivant, son sourire fendant son visage.

Il posa délicatement le plateau sur la table.

— La voilà ! (Retire la serviette du plateau.) Fraîchement sortie des studios ! Votre Blanche-Neige version director's cut, et la Bubulles pour éviter... enfin, vous voyez ! (Rit de bon cœur.) Profitez bien de votre scène culte, señorita !

Lucie rit, attrapant la paille comme si c'était un accessoire de cinéma.

— Génial, Marco ! Merci ! J'espère que mon twist sera à la hauteur !

Sans s’attarder davantage, Marco se dirigea vers le comptoir où l’attendait une pile de paperasse. Il s’installa sur une chaise bancale et se mit à griffonner sur des feuilles froissées, laissant Lucie déguster tranquillement sa commande.

La jeune femme observa le miroir avec fascination. Les lignes parfaitement tracées semblaient presque irréelles, comme des œuvres d’art éphémères. Elle prit la paille plaquée or offerte avec la commande et, après une hésitation légère mais excitée, elle fit un premier rail. La poudre glissa dans ses narines avec une douceur inattendue.

Elle posa la paille sur le bord du miroir et attendit, curieuse de ressentir les effets vantés par Marco. Ses doigts tapotaient nerveusement le bord de la table tandis qu’une chaleur diffuse commençait à envahir son corps. Une sensation d’euphorie légère s’installa rapidement, accompagnée d’un sentiment de clarté mentale qui lui donna l’impression que tout était soudainement plus lumineux et précis.

Lucie sourit doucement, savourant cette première expérience sans se douter des pièges insidieux qui l’attendaient.

Marco, assis derrière le comptoir, levait de temps à autre les yeux de ses papiers pour observer Lucie, qui semblait incapable de rester en place. Ses doigts dansaient sur le bois, et ses jambes gigotaient comme si le rythme de la salsa s'était infiltré directement dans ses muscles. Son regard brillait d'une intensité nouvelle, fixant la guirlande lumineuse comme si c'était la huitième merveille du monde. Sa peau brillait d’une fine couche de sueur. Sur ses lèvres, un sourire euphorique, presque irréel.

— Hé hé, señorita... On dirait que la Blanche-Neige vous fait de l'effet ? susurra Marco, perché sur son tabouret, les yeux plissés d'amusement.

— C'est… c'est incroyable ! Tout est si… Ah ! J'ai une pêche d'enfer, je pourrais danser la salsa sur le comptoir jusqu'à demain matin ! Pourquoi personne ne m'a dit que c'était ça, la vie ?!

— Ça, c'est l'esprit de Medellín qui vous appelle ! répondit Marco avec un geste large. Ici, la vie ne se vit pas à moitié ! Et ce que je sers, c'est du même calibre : de l'énergie pure à inhaler, haut de gamme !

Lucie pivota sur sa chaise pour lui faire face, jambes écartées, buste penché. Les bras tendus, elle s’ancra en posant ses mains à plat sur l’assise entre ses genoux. Elle souriait bêtement.

— Vous savez, je viens de Suisse, et là-bas, tout est tellement… propre, organisé, carré. Parfois, c’est chiant. Mais ici… ici, c’est comme si tout vibrait d’énergie. Même ce bar a une âme !

Marco gonfla le torse avec fierté.

— Vous avez l’œil ! (Il croise les bras.) Ce bar est mon bébé. Chaque détail a été pensé pour que mes clients se sentent comme chez eux. Regardez cette guirlande lumineuse là-bas : je l’ai installée moi-même !

Des larmes absurdes semblèrent poindre au coin des yeux de la jeunette.

— Attendez… (Se frotte les yeux.) C’est vous qui avez mis ça ?! Je vais pleurer des paillettes !

Lucie vibrait de l'énergie du premier rail. Ses yeux, brillants d'une excitation nouvelle, se fixèrent sur les lignes parfaites sur le miroir. Curieuse de sentir cette délicieuse euphorie frapper encore plus fort, sa main agrippa de nouveau la paille dorée. Elle se pencha, un sourire gourmand aux lèvres, et inhala sa deuxième dose avec une avidité qui la surprit elle-même.

La deuxième ligne fit son œuvre, affinant ses sens comme on règle une vieille radio sur la bonne fréquence. Les couleurs du bar semblèrent s'intensifier encore un peu, la salsa devenir plus nette. Elle resta silencieuse un instant, savourant cette clarté nouvelle, puis son regard s'accrocha à la plante verte moribonde dans le coin. Elle se tourna vers Marco, un pli curieux sur le front, sa voix déjà légèrement plus rapide :

— Marco ! s'exclama-t-elle soudain, pointant ses pieds avec une conviction absolue. Vous croyez que si je fais une course, j'irais super vite ? Comme, euh… (Se gratte le menton.) Comme Bip Bip quand il échappe au Coyote, là ? Vous voyez ?

Avant même qu'il n'ait pu répondre, l'euphorie monta encore un peu plus. Elle se mit à bouger sur sa chaise, incapable de rester immobile, et l'interpella de nouveau, mais cette fois avec un débit de parole frénétique :

— Waouh-ouh ! Ohlala, Marco ! Non mais SÉRIEUX ! Cette salsa ! (Se dandine sur sa chaise au rythme de la musique.) Elle est incroyable ! C'est quoi le secret ? Hein ? Vous avez mis un truc dedans ? Non, c'est juste… VOUS ! VOUS l'avez choisie rien que pour moi, c'est ça ? Avouez ! Vous êtes un génie, Marco, un mentaliste du comptoir ! Vous savez exactement ce qu'il faut ! Pour vendre, pour l'ambiance… pour tout ! C'est pour ça que j'aime ce bar ! Et vous aussi je vous aime ! C'est fou, non ? D'aimer un barman ? Mais si ! Et aussi… les spaghettis aux crevettes ! (Étire un bras et claque des doigts.) Ah-ah ! Mais oui ! La recette contre la dépression ! C'est ça le bonheur absolu ! Qui peut y résister ? Pas moi ! Et vous non plus ! Parce que les spaghettis suisses, soyons honnêtes… Pâlichons. Mais ici ? En Colombie ? Mon Dieu, ça doit être DIVIN !

Lucie, désormais incapable de contenir son flot de pensées, s’emballa dans une tirade interminable, son débit de parole atteignant des sommets vertigineux. Elle gesticulait frénétiquement, ses mains virevoltant dans tous les sens, tandis que des gouttes de sueur perlaient sur son front et glissaient le long de ses tempes. Elle reniflait compulsivement entre chaque phrase.

— Marco ! (Une claque rapide sur sa cuisse la fait presque sursauter elle-même.) Vous sentez ça ? Les montagnes ! (Inspire bruyamment comme si elle les reniflait.) Elles VIBRENT ! Comme des vagues énormes, mais en mode pause ! (Forme des vagues lentes et saccadées avec ses mains.) C'est comme si la Terre avait fait un arrêt sur image juste pour nous ! Dingue ! (Se remet à gigoter.) Et les vagues, ça me fait penser direct... aux cheveux blonds salés ! Les surfeurs ! (Passe une main dans sa longue crinière.) Ces types qui domptent l'océan… Waouw ! Ils doivent avoir des super-pouvoirs, non ? Être zen et badass en même temps ! Un peu comme... comme JAMES BOND quand il désamorce une bombe en sirotant un Martini ! (Mime tenir un verre imaginaire.) D'ailleurs, Bond ! (Ton changeant, devient plus rapide.) Fan absolu ici ! Sauf Daniel Craig, lui, il a l'air constipé. (Grimace.) Mais Sean Connery... Par tous les fromages de Suisse ! Son regard, sa démarche... la classe intersidérale ! INÉGALABLE !

L'enthousiasme de Lucie tournait maintenant à une vitesse qui commençait à gêner Marco, même s'il tentait de le cacher.  Il se passa une main un peu nerveuse sur la nuque et lui dit :

— Hé hé ! Quelle énergie ! Mais vous savez, même James Bond... il fait une petite pause hydratation entre deux cascades ! Vous ne voudriez pas... peut-être... laisser un peu reposer la machine ? Sirotez donc un peu votre Bubulles !

Le propre monologue de la jeune femme semblait maintenant un bruit de fond qu'elle n'écoutait plus. Un reniflement humide, presque rauque, déchira l'air tandis que ses yeux se fixaient sur la poudre restante. Machinalement, comme un automate désarticulé, sa main tremblante agrippa la paille dorée. Elle se pencha et aspira une autre ligne avec une avidité rapide et un peu sale, sans même écouter ce que disait Marco. Son geste pour reposer la paille fut interrompu par un léger spasme qui ne l'inquiéta pas. La paille dorée tomba de ses doigts, rebondissant sur le bord du miroir.

— La classe de Connery, ça me fait penser… aux TORTUES ! (Hoche la tête avec une conviction intense.) Elles sont LÀ ! Depuis la nuit des temps ! Elles ont vu les dinosaures ! Elles doivent être BOURRÉES de SAGESSE ! Ah je ne vous parle pas de l'alcool, hein ! Elles savent TOUT ! Mais elles ne disent RIEN ! Trop cool pour parler ! (Se couvre la bouche des deux mains, les yeux écarquillés.) Oh-my-my ! J'ai cru que j'allais la fermer ! Vous imaginez ?!

Lucie était incapable de se taire ou de rester immobile : elle tapotait nerveusement la table du bout des doigts, secouait sa jambe droite à un rythme frénétique et clignait des yeux bien trop souvent.

— D'ailleurs, elle ne mangent que des légumes crus… comme les LAPINS ! (Agite ses mains près de sa tête comme pour mimer de longues oreilles, puis laisse tomber.) Vous aimez les lapins, Marco ? Moi j’en suis folle ! (Appuie ses poings sur ses joues, poussant ses pommettes vers le haut comme pour mimer une bouille adorable.) Mais PAS les gros mastodontes, hein ! (Fait un geste avec ses mains pour montrer quelque chose d'énorme.) Non, non ! Les tout petits ! Ceux qui tiennent dans la main ! (Creuse ses paumes.) Et surtout… les MARRONS ! (Insiste sur le mot, ses yeux pétillent.) Oui ! Les petits lapins couleur… couleur… (Claque la langue contre son palais.) CHOCOLAT ! Ils sont comme du chocolat qui court partout ! Vous aimez le chocolat ?! Parce que nous, en Suisse (Tape du poing sur la table.) ON ADOOORE LE CHOCOLAT !!! Mais, ICI ! (Pointe le doigt vers le sol avec force.) COLOMBIE ! C'est le TEMPLE du CAFÉ ! Le nectar des dieux ! Pas vrai ?! (Hoche la tête frénétiquement sans attendre de réponse.) Alors… attendez… attendez… (Fronce les sourcils, se concentre intensément une seconde, puis éclate de rire.) Wouah-ah-ah ! J'ai eu l'idée du SIÈCLE ! (Se lève à moitié de sa chaise, puis retombe.) Et si on FUSIONNAIT ?! (Entrelace ses doigts avec force.) Café colombien + chocolat suisse = (Mime une explosion avec ses mains.) Boom ! Le ! Le… Hmmm… (Réfléchit rapidement.) Ah, yes ! « LE CAFÉ CHOCO » ! On va devenir riche, Marco !

Elle renifla encore une fois bruyamment et passa une main tremblante sur son front trempé de sueur.

— Vous aimez Taylor Swift ? Moi je L'ADORE. Enfin, pas ses chansons, plutôt son corps. Elle est PARFAITE !

Marco hocha la tête en silence, un sourire crispé sur son visage. Lucie était maintenant trempée de sueur : des gouttes coulaient le long de son cou et s’accumulaient au bord de son tee-shirt blanc à col large. Ses gestes étaient devenus erratiques ; elle se levait légèrement de sa chaise avant de se rasseoir brusquement, comme si elle était incapable de rester en place.

— Et vous savez quoi d’autre est parfait ? (Elle claque des doigts avec une force surprenante.) Les SPAGHETTIS AUX CREVETTES ! (Elle le crie presque.) Oui Marco, on y revient TOUJOURS (Fait un cercle rapide avec son index, comme pour prouver une logique implacable), parce que tous les chemins mènent aux SPAGHETTIS AUX CREVETTES ! C'est le centre de l'univers, j'en suis sûre ! Et vous savez qui d'autre a compris ça ?! LES TORTUES ! (Baisse la voix soudainement.) Je suis SÛRE qu'elles en raffolent ! Elles en mangent en cachette la nuit (Mime manger furtivement, regardant à gauche et à droite) quand personne ne regarde ! Je le SAIS !

Elle éclata d'un rire aigu, presque hystérique, qui la secoua sur sa chaise, avant de renifler bruyamment, un filet de morve brillant perlant à sa narine. Son visage, maintenant luisant de sueur, était rouge vif. Ses yeux étaient grands ouverts et fixaient Marco, comme si elle venait de décrypter le secret de l'univers caché dans une assiette de pâtes aux fruits de mer mangées par des reptiles.

Marco observait la scène et son sourire commercial avait complètement disparu, remplacé par une expression tendue. Les signaux d'alarme clignotaient violemment dans son esprit. Ça allait vite, trop vite. Beaucoup trop vite. Il avait vu quelques clients avoir la paille un peu lourde, bien sûr, mais rarement une montée aussi verticale, aussi... débridée, chez quelqu'un qui semblait si peu habitué. Il sentait une boule d'anxiété se former dans son estomac, une appréhension glacée qu'il n'avait pas ressentie depuis longtemps. Il se massa lentement le ventre, incapable de détourner le regard de la jeune femme qui commençait clairement à perdre pied. Il laissa échapper un murmure étranglé, bien plus inquiet qu'agacé : « Madre mía… »

Lucie suffoquait sous une vague de chaleur intense qui semblait émaner de l'intérieur. Elle porta ses mains tremblantes à son cou. La sueur rendait son tee-shirt blanc poisseux, lui collant à la peau comme un étau humide.

— Marco ! C'est une fournaise ici ! (Sa main bat l'air devant son visage congestionné, rapide et plate comme un uchiwa en pleine canicule.) Vous avez pas de clim' ou un ventilateur, un truc ?! Je… je crois que je brûle ! Ha-ha ! Mais pas de panique, j'ai la solution !

Avant même que Marco, décontenancé, ne puisse articuler une réponse, elle prit une décision brusque. D'un geste presque rageur, elle agrippa l'encolure de son tee-shirt qui lui adhérait au buste.

— Au diable, saloperie !

Elle tira violemment vers le haut, luttant une seconde contre le tissu moite qui résistait, avant de réussir à l'arracher par-dessus sa tête et de le jeter sous sa table. Ses épaules nues frissonnèrent légèrement – un frisson presque imperceptible qu'elle-même ne sembla pas enregistrer, toujours convaincue d'étouffer de chaleur. Elle arracha alors son soutien-gorge et le jeta lui aussi par terre.

— WOUA-POW ! Marco ! (Lance les bras en l'air dans un geste d'exultation.) Je suis LIBRE !

Marco se leva brusquement, renversant sa chaise dans un bruit sourd. Ses mains volèrent à sa tête, s’agrippant à ses cheveux clairsemés comme s’il cherchait à s’arracher à cette réalité absurde.

— Eh ouais, je fais toujours cet effet-là ! (Elle tente un clin d'oeil, mais sa paupière sautille.) Faut pas être timide, hein !

— Señorita ! Euh… (Il agite une main tremblante devant lui, comme pour repousser une vision.) Peut-être que… que vous devriez… euh… juste… vous rhabiller ? bégaya-t-il, sa voix montant d'une octave, le regard fuyant le corps à moitié nu de la jeune femme.

— Ah non-non-non ! (Elle agite son index devant elle avec l'autorité faussement sévère d'une institutrice folle.) Tant qu'il n'y aura pas de ventilateur dans cette fournaise, les vêtements resteront par terre !

Marco, le souffle court, s'agrippa au rebord du comptoir, véritable naufragé s'accrochant à son radeau au milieu d'une tempête de folie. Il tenta une nouvelle approche, visant la logique la plus basique :

— Oui, euh… (Sa voix est presque un filet plaintif.) Si c'est à cause de la chaleur, señorita, je peux vous offrir une boisson… de l'eau ? Bien fraîche ? Ou peut-être… peut-être que je peux faire du vent avec… avec un plateau ? ajouta-t-il, l'espoir dans sa voix aussi mince qu'un fil d'araignée.

— Marco, vous ne comprenez RIEN ! (Elle se lève d'un bond si rapide qu'elle vacille deux secondes, avant de retrouver l'équilibre et de planter ses poings sur ses hanches, dominant la situation de toute sa fièvre.) Je suis en train d’atteindre un état PUR… comme les LICORNES ! Vous savez que les licornes ne portent jamais de vêtements ? C’est pour ça qu’elles brillent tant ! Et moi aussi je brille, regardez !

Elle fit une pirouette sur elle-même, plus un tournoiement déséquilibré qu'une vraie rotation, la lumière blafarde des néons glissant sur sa peau moite et lui donnant un éclat fiévreux. Puis, s'arrêtant net dos à lui, elle se mit à onduler maladroitement, tentant une sorte de rumba éthérée qui ressemblait plus à une branche secouée par le vent, vaguement calée sur le rythme lancinant du jukebox. Marco ferma les yeux très fort, comme pour faire disparaître l'image, se pinçant l'arête du nez et murmurant pour lui-même dans un souffle à peine audible : « Ay, Dios mío… Qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu… »

Pendant qu’elle avait le dos tourné, ondulant bizarrement, Marco vit sa chance. (Il glisse sur la pointe des pieds derrière le comptoir, le cœur battant, visant le miroir posé sur la table comme un objectif vital.) Il s'approcha et attrapa discrètement le miroir...

— HÉ ! (Lucie pivote sur elle-même avec une rapidité électrique, les yeux lançant des éclairs.) C’EST À MOI, ÇA ! hurla-t-elle.

Elle bondit vers lui, plus un jaillissement désordonné qu'un saut gracieux. Son pied rencontra le tee-shirt chiffonné au sol ; elle perdit l'équilibre, manquant de s'écraser contre une table, et dut s'agripper convulsivement au bord du comptoir pour ne pas tomber.

— Je… Je voulais juste… pour votre sécurité… bredouilla Marco, pâle et tenant le miroir comme une preuve à charge. (Il essuie nerveusement une goutte de sueur de son front.)

Lucie, retrouvant une force soudaine, lui arracha brutalement le miroir des mains. Un rire aigu, presque un glapissement hystérique, lui échappa, contrastant bizarrement avec le filet de sang qui commençait maintenant à couler plus franchement sous sa narine droite. Elle serra le miroir contre sa poitrine nue comme un trésor inestimable.

— Pour VOTRE sécurité, Marco, (Elle pointe un doigt tremblant vers lui) il serait sage de ne PAS toucher à MES petites lignes d’amour ! COMPRIS ?!

C'est en s'énervant contre lui qu'elle heurta la paille du revers de la main. Celle-ci vola en l'air, et une partie de la poudre blanche restante s'envola du miroir pour s'éparpiller en une poussière tragique sur le sol sale.

— Oh non… NON ! (Son visage se décompose, passant de la fureur à l'horreur absolue.) MES PETITES CHÉRIES ! cria-t-elle avant de tomber lourdement à genoux, le bruit sourd résonnant dans le bar.

Sans une seconde de réflexion, elle se jeta à quatre pattes, arpentant le sol comme un animal affamé, et repéra la paille tombée près d'une tache suspecte. Sa main tremblait si fort qu'elle eut du mal à la ramasser. Puis, sans la moindre hésitation, elle plaqua la paille contre sa narine gauche, la tête presque collée au plancher crasseux, et commença à renifler bruyamment, aspirant frénétiquement tout ce qu'elle pouvait récupérer de la poudre mêlée à la poussière.

Marco porta une main devant sa bouche, un haut-le-cœur le secouant. Il ne pouvait détacher son regard de cette scène de déchéance, mais recula de plusieurs pas, heurtant presque la chaise qu'il avait renversée. Lucie, elle, continuait son manège au sol avec une intensité désespérée.

Soudain, elle se redresse d'un bond, presque comme si elle est tirée par des fils invisibles, la paille encore serrée dans son poing. Elle a le regard vide, mais un sourire maniaque étire ses lèvres, ignorant le sang sur son visage. Le changement brutal de position lui coupe le souffle. Elle porte une main à sa tête, titubant sauvagement ; ses jambes flageolent comme du caoutchouc.

— WOUHOU ! (Elle glousse, cherchant son équilibre.) Je… je crois que… (Elle louche légèrement.) que je viens d’inventer u-une nouvelle danse…

Elle s’interrompt net, suffoquant presque, une main tremblante agrippée à sa tempe comme si sa tête allait éclater. Son œil gauche est secoué de spasmes erratiques, incontrôlables, et sa langue bute contre ses dents, rendant les mots pâteux et presque inaudibles.

— J’ai… j’ai si chaud… (Elle porte une main tremblante à sa poitrine, luttant pour chaque respiration courte et sifflante.) Peut-être… peut-être que…

La pensée de la licorne traverse son esprit une dernière fois, absurde face à la détresse physique qui l'emporte.

Ses yeux, vitreux et dilatés, balaient la pièce, paniqués, cherchant désespérément quelque chose, n'importe quoi, où s'accrocher. Deux filets de sang plus épais coulent maintenant de ses narines, serpentant sur sa lèvre supérieure et colorant sa bouche tremblante.

— J’ai… (Elle grimace de douleur, se plie légèrement en avant.)… mal… cœur… Trop… vite… Adré… Ah ! Fallait… Fête… ici… (Sa voix devient un murmure rauque, chaque mot un effort.)… M-me… bik… tac… (Un son humide, comme un raclement de gorge qui tourne mal.) … cha… b-ba…

Sa voix s'étrangle dans un horrible gargouillis. Son corps entier se raidit comme électrocuté, un arc brutal parcourant ses membres. Ses doigts se crispent en serres, se tordant dans un spasme si violent qu'on croit entendre craquer ses os. Le miroir en argent glisse de ses mains inertes et s'écrase sur le carrelage dans un fracas strident, éclatant en une myriade de fragments dangereux.

Puis la tension la quitte d'un coup. Ses genoux cèdent. Elle s'effondre, non plus comme une marionnette, mais comme une poupée de chiffon désarticulée, lourde et sans vie. Marco, dans un réflexe paniqué, se jette en avant et la rattrape in extremis avant que sa tête ne heurte le sol, la soulevant dans ses bras. Il halète, horrifié par la moiteur glaçée de la peau de la jeune femme.

— Señorita ?! Répondez-moi ! hurle-t-il.

Il la secoue plus fort qu'il ne le voudrait, le visage tordu par la panique, mais son corps reste mou, inerte, à l'exception de ses doigts qui continuent de se tordre bizarrement. Seul un râle rauque et régulier, venant du fond de sa gorge, prouve qu'elle respire encore. Le miroir brisé au sol reflète sinistrement les éclats clignotants des guirlandes multicolores, projetant des ombres dansantes et macabres sur les murs délabrés.

Le jukebox grésille une dernière fois et s'éteint dans un déclic sec, plongeant la pièce dans un silence soudain et assourdissant, seulement troublé par le râle horrible de Lucie et les battements sourds du cœur de Marco dans ses propres oreilles. Il la regarde, le visage décomposé, le souffle court.

Puis les paupières de la jeune femme frémissent. Elle ouvre à peine les yeux, ses pupilles énormes et vides fixent vaguement le plafond ; et un murmure, presque inaudible, s'échappe de ses lèvres bleuies :

— Je… j-juste… (Elle essaie faiblement de tourner la tête vers le miroir brisé.)… une… d-dernière… ligne…

La jeune femme, rassemblant une dernière étincelle de volonté presque inhumaine, tente fébrilement de se tortiller hors des bras de Marco. Ses doigts, maculés de son propre sang, griffent l'air vide devant elle, cherchant les éclats au sol.

— J-juste… une…

Marco la retient doucement, horrifié par cette ultime compulsion, mais son regard vitreux à elle est rivé sur les fragments du miroir brisé comme s'ils contenaient la vie elle-même.

Dans un ultime effort pathétique, elle réussit à tendre un bras. Ses doigts ensanglantés effleurent, puis glissent sur la surface froide d'un éclat de verre tranchant, là où un peu de poudre blanche forme encore un voile. Une goutte de sang s'écrase lourdement sur le fragment, se mêlant à la poudre dans une minuscule marbrure rouge et blanche. Son visage n'exprime plus rien – ni sourire, ni douleur, juste un vide insondable.

Son corps est secoué d'un dernier frisson, puis toute tension la quitte subitement.

Le râle cesse.