Massage tantrique

8 juillet 2025

Contient du contenu érotique.

Le soleil brillait haut dans le ciel clair, découpant les toits de la ville dans un éclat de lumière blanche. L’air était frais malgré l’été, traversé de souffles tièdes qui faisaient frissonner les feuilles des platanes et danser les ombres sur les façades. Elle marchait d’un pas souple, presque insouciant, son téléphone à la main, le GPS chantonnant à voix basse : « Tournez à droite dans cinquante mètres ».

Son tee-shirt rose pâle à col large, très ample, laissait deviner une épaule bronzée, découverte sans préméditation. Il battait légèrement contre son dos à chaque pas, soulevé par la brise. Son mini-short en denim, usé aux ourlets, serrait juste ce qu’il fallait, dévoilant ses jambes hâlées qui semblaient avoir connu plusieurs étés sans crème solaire. Aux pieds, elle portait des sandales compensées en corde, d’un beige pâle, dont la hauteur ajoutait une touche presque indécente à sa démarche assurée.

Sur sa tête, un chapeau en osier clair lui faisait une ombre douce, asymétrique, qui descendait parfois jusqu’au coin de ses lèvres. Ses lunettes de soleil rondes, aux verres teintés rose bonbon, captaient le soleil et renvoyaient, sur ses joues, de minuscules éclats orangés. Le rebord doré de la monture brillait par instants, comme un clin d’œil adressé au monde.

Elle cliqua sur l’écran de son téléphone pour zoomer sur la carte.

— Bon, c’est censé être ici… [Elle se pencha en arrière pour mieux lire l’enseigne.] Massage… « Tantra Vibe »… c’est vraiment ce nom-là ?

Un pigeon distrait manqua de lui frôler la tête en décollant d’un balcon. Elle leva les yeux vers une enseigne gravée dans un morceau de bois flotté, suspendue par une cordelette de chanvre : « Tantra Vibe », suivi d’un discret sous-titre peint à la main : « Libère tes shakras ! »

La nymphe des villes haussa les épaules.

— Allez !

Lorsqu’Aïsha poussa la porte vitrée, un carillon suspendu tinta d’un bruit clair, un peu trop aigu, comme une cuillère qu’on cogne contre un bol. La salle d’attente était vide, baignée dans une lumière douce, filtrée par des rideaux couleur crème qui tentaient maladroitement de donner une allure spirituelle à une pièce qui sentait l’encens et le lin poussiéreux.

Aïsha s’avança tranquillement vers la réception, où une femme à lunettes rectangulaires pianotait mollement sur un clavier aux touches visiblement fatiguées. D’un geste naturel, elle tendit l’ordonnance médicale pliée en deux, légèrement froissée.

— C’est pour un massage… prescrit par mon psychiatre. [Elle s’accoude au comptoir, le corps en biais, puis glissent ses mains derrière la nuque.]. Ah oui, euh, je ne suis pas une cinglée, hein. J’ai juste de l’anxiété.

— Merci, mademoiselle. [Elle pointe du doigt la salle d’attente.] Vous pouvez patienter ici, une masseuse va arriver.

Aïsha remercia d’un hochement de tête, puis alla s’asseoir sur une chaise en rotin qui grinça légèrement sous elle. Elle s’étira longuement, bras levés vers le plafond, jambes tendues devant elle, les sandales compensées ballant au bout de ses orteils. Elle poussa un bâillement si ample qu’on aurait pu croire qu’elle tentait d’avaler la journée entière.

En basculant la tête en arrière, son regard tomba sur un tableau encadré au-dessus d’elle : une sorte de spirale peinte à la main, mélange de bleu turquoise et de violet flou, au centre duquel flottait une silhouette humaine sans visage.

Elle se dit que l’art était un domaine parfois très particulier.

 *

Quelques minutes passèrent, alanguies par le parfum d’encens et le tic-tac feutré d’une horloge murale dissimulée derrière un rideau de perles.

Puis, enfin, la porte au fond de la pièce s’ouvrit doucement. Une jeune femme entra, fine, droite, habillée d’une tunique crème sans manches et d’un pantalon de coton fluide qui frôlait à peine ses chevilles. Elle portait des chaussons souples, très silencieux, qui donnaient à ses pas un air de bichette.

Lila marqua un temps d’arrêt en découvrant Aïsha, affalée nonchalamment sur sa chaise, jambes croisées, bras levés derrière la tête, les lunettes roses plantées sur le front comme un serre-tête. Son tee-shirt à col large glissait sur son épaule nue, révélant une clavicule dorée par le soleil.

Lila sentit une chaleur subtile lui monter aux joues, juste sous les pommettes. Elle ne s’attendait pas à une patiente aussi… jolie. Cette beauté nonchalante, cet aplomb tranquille, ça la prit par surprise.

Les longs cheveux blonds de la praticienne étaient tirés en une queue de cheval tressée, disciplinée mais mouvante, qui battait doucement contre sa nuque à chaque pas. Quelques mèches rebelles s’échappaient autour de ses tempes. Enroulés autour de son poignet gauche, deux bigoudis en mousse lavande semblaient avoir échappé à une salle de bain des années 80.

Elle s’avança :

— Bonjour… Je-je suis Lila. Je vais m’occuper de vous aujourd’hui.

« Elle est trop mignonne ! » se dit la masseuse.

Elle sentit que sa voix tremblait légèrement. Et Aïsha, sûrement, aussi.

Aïsha emboîta le pas de Lila jusqu’à une petite salle de massage à l’arrière du salon. Dès qu’elle y entra, Lila referma doucement la porte derrière elles. La pièce était apaisante : les lumières étaient tamisées, quelques bougies diffusaient une lueur chaleureuse, et une musique douce jouait en fond. Une agréable odeur d’encens flottait dans l’air. Au centre, une table de massage recouverte d’un drap attendait la cliente avec, à proximité, un petit meuble où étaient alignés flacons d’huiles et serviettes propres. Lila s’avança de quelques pas, le cœur battant un peu plus vite que d’habitude. Elle adressa à Aïsha un sourire aimable, bien que timide. Sous le regard bienveillant de la jeune femme, la masseuse sentit ses joues se réchauffer légèrement.

— Alors… euh… installe-toi, enfin, je veux dire, vous pouvez vous avancer ici,  balbutia Lila en indiquant de la main la table de massage.

« Bordel… "installe-toi"… invite-la à boire un verre pendant que tu y es ! »

Aïsha opina en souriant. Elle semblait d’humeur détendue et amusée, ce qui contrastait avec la nervosité de Lila. Pour se donner contenance, cette dernière prit une grande inspiration et joignit les mains devant elle.

— Avant de commencer, je vais vous expliquer un peu comment va se dérouler le massage tantrique, d’accord ?

— Je suis toute ouïe !

Elle s’assit sur le bord de la table, le regard fixé sur Lila.

Lila sentit le regard intense d’Aïsha ancré sur elle, ce qui lui fit brièvement baisser les yeux. Sa timidité naturelle, exacerbée par le charme d’Aïsha, la fit trébucher intérieurement. Pour ne rien oublier d’important, Lila se mit à énumérer d’une petite voix posée les points essentiels du massage, presque comme si elle récitait une leçon :

 La séance se déroule dans une atmosphère propice à la détente : lumière tamisée, bougies allumées, musique douce et température agréable dans la pièce. Tout est pensé pour éveiller vos cinq sens et vous aider à vous relaxer.

 Il s’agit d’un massage complet du corps qui va des pieds à la tête en passant par toutes les zones, y compris les zones érogènes comme la poitrine et l’intérieur des cuisses. J’utilise de l’huile tiède pour effectuer des mouvements lents et enveloppants sur la peau, ce qui rend le toucher plus doux et agréable.

De votre côté, vous n’avez rien à faire : contentez-vous de respirer profondément et de vous concentrer sur vos sensations. L’important est de lâcher prise et de rester dans l’instant présent, sans essayer de m’aider ou de contrôler ce qui se passe. Vous pouvez fermer les yeux et vous laisser guider, comme dans une méditation.

Je précise que ce massage n’a rien d’une pratique érotique ou d’une masturbation : même lorsque je toucherai vos parties intimes, ce sera dans un esprit de détente et de respect, pas pour provoquer artificiellement du plaisir. Parfois, il peut arriver que la personne massée ressente un plaisir très intense, voire ait un orgasme, mais ce n’est ni systématique ni le but recherché en soi.

 Si vous avez la moindre limite personnelle – par exemple une zone du corps que vous préférez que j’évite – dites-le moi, que ce soit maintenant ou même pendant le massage. Mon rôle est de vous mettre en confiance : je respecterai strictement vos limites, et vous pouvez m’arrêter à tout moment en cas d’inconfort.

Lila termina son exposé presque d’une traite, la voix un peu plus ferme qu’au début, même si elle sentit son trac poindre à certains passages. En particulier, lorsqu’elle a abordé la question du « plaisir intense voire de l’orgasme », sa gorge s’était légèrement nouée. Elle avait prononcé le mot « orgasme » dans un murmure, en baissant les yeux, le visage en feu. Ses mains, qu’elle avait jointes devant elle, se tordaient nerveusement l’une dans l’autre.

Aïsha rompit le silence de sa voix calme :

— Merci pour toutes ces explications, Lila. [Elle incline la tête, un sourire aux lèvres.] Vous expliquez très bien. Et ne vous en faites pas, j’avais lu rapidement une page Wikipédia sur le sujet, donc je sais que le tantra est plus spirituel qu’érotique. Je suis entièrement d’accord avec ce cadre sérieux – c’est exactement ce que je recherche.

En entendant cela, Lila ressent un mélange de soulagement et de gêne. Soulagement, car Aïsha semblait rassurée par ses explications, et qu’elle ne la poussait pas dans ses derniers retranchements par des questions embarrassantes. Gêne, parce qu’elle réalisait qu'Aïsha avait perçu sa nervosité. Lila hocha la tête et esquisse un petit rire nerveux pour masquer son embarras.

— D’accord… très bien. [Elle leva brièvement les yeux vers Aïsha, croisant son regard pétillant avant de les détourner aussitôt.] Est-ce que vous avez des questions avant qu’on commence, ou ça va ?

— Non, tout est clair.

*

Lila sentait son estomac papillonner : le moment délicat approchait. Elle se dirigea vers une petite table où était posée une bouteille d’huile de massage. Ses gestes se voulaient professionnels ; elle vérifiait machinalement que tout était prêt. Puis elle se tourna à moitié vers Aïsha, sans oser la regarder tout à fait, et annonce avec précaution :

— Bien… euh… nous allons pouvoir commencer. Je vais vous laisser vous déshabiller tranquillement. [Elle désigne du menton un paravent pliable dans un coin.] Vous pourrez poser vos vêtements sur cette chaise et vous allonger ici, sur le dos, sous le drap de bain que j’ai préparé, d’accord ? Je… je reste dans la pièce pour préparer l’huile, mais prenez votre temps, je ne regarderai pas.

« Comment ça "je ne regarderai pas" ? Evidemment que je ne vais pas la mater pendant qu’elle se déshabille ! Rââh, quelle idiote je fais ! »

Aïsha acquiesça et se leva de la table où elle était assise, puis se dirigea vers l’endroit indiqué pour se dévêtir.

Fidèle à sa promesse, Lila lui tourna poliment le dos et concentra son attention sur la préparation de l’huile. Ses mains tremblaient légèrement tandis qu’elle dévissait le bouchon du flacon. Dans le calme de la pièce, elle entendait le froissement discret des vêtements qu'Aïsha retirait. Chaque nouveau son – le glissement d’une fermeture Éclair, le chuchotement du tissu qu’on pliait – résonnait aux oreilles de Lila avec une acuité inhabituelle. Elle ravala sa salive, s’efforçant de garder les yeux fixés sur la bouteille d’huile dans ses mains.

Pour s’occuper l’esprit, Lila versa un peu d’huile végétale dans une petite coupelle en céramique. Elle la frotta délicatement entre ses paumes pour la tiédir, comme le veut son habitude. Pourtant, malgré tous ses efforts pour rester professionnelle, son imagination la trahit : elle ne put s’empêcher d’entrevoir mentalement la silhouette d’Aïsha se dévoilant derrière elle.

— Je suis prête ! [Elle incline la tête, les paupières closes et le sourire radieux.] Je m’allonge sur le dos ?

Lila se retourna mécaniquement et écarquilla les yeux. Pendant une fraction de seconde, une pensée absurde lui traversa l’esprit – lui demander de se rhabiller. Pas parce que quelque chose clochait, mais précisément parce qu'Aïsha était si jolie…

« Elle est vraiment beaucoup trop CANON ! »

Rouge comme une tomate italienne prête à exploser dans une sauce arrabiata, Lila bafouilla :

— Je… je suis désolée, je croyais que vous étiez encore derrière le… le paravent… enfin, pas encore ici, enfin si, vous êtes ici, mais pas… comme ça…

La jeune bichette nue, parfaitement sereine, éclata d’un rire mignon :

— Oh, ne vous inquiétez pas !

Elle attrapa nonchalamment une mèche de cheveux tombée sur son épaule nue, comme si elle rangeait un coussin sur un canapé, puis s’avança jusqu’à la table.

— Tu peux… enfin, si vous voulez… je veux dire, c’est l’étape suivante, donc… euh… allongez-vous… sur le ventre…

La femme haussa les sourcils, amusée.

— Comme ça ? dit-elle en s’installant avec une lenteur presque théâtrale.

Lila hocha la tête frénétiquement, les yeux fuyants.

— Oui, oui, c’est… c’est parfait… très bien… comme ça… nickel.

Sa voix grinçait comme un meuble en bois mal huilé. Elle n’osait plus regarder Aïsha, de peur que son visage ne prenne feu. Ses mains tremblaient légèrement alors qu’elle s’approchait pour tirer le premier drap de bain sur la moitié inférieure du corps de la patiente.

— Oh, je préférerais sans le drap, en fait.

Lila se figea, la main encore suspendue en l’air comme un drapeau en berne.

— Pardon ? Sans… sans le drap ?

— Oui. [Elle se redressa un peu pour mieux parler, sans la moindre gêne.] J’ai lu que c’était mieux pour sentir pleinement le contact. Sinon on reste « coupé de la présence énergétique », vous voyez ? Enfin, c’est ce que disait un blog très bien fait.

Lila cligna des yeux.

— Je… c’est-à-dire que… c’est aussi pour… pour votre intimité, murmura-t-elle.

— Les draps rêches, ça me crispe. C’est bête, mais ça me fait penser à ma lessive au lieu de me détendre. J’aime pas faire la lessive ! Alors, oust, je ne veux point de torchon. [Elle mime un balai d'une main.] Je ne suis pas un étendoir.

Lila hocha lentement la tête. Elle venait officiellement de passer en mode survie.

— D’accord… dit-elle d’une voix qui trahissait déjà une demi-crise existentielle. Alors, sans le… torchon. Très bien. Absolument.

Et elle replia le tissu avec une lenteur solennelle, comme si elle enterrait une forme de sécurité fondamentale, puis le remit à sa place. Elle inspira profondément – par le nez, comme on le lui avait enseigné – et enduisit ses mains d’huile tiédie. Elle frotta ses paumes luisantes l’une contre l’autre pour créer de la chaleur.

« C’est un corps humain, Lila. Un corps humain. Pas une œuvre d’art vivante posée nue sous tes yeux comme si c’était la chose la plus normale du monde. »

Aïsha, allongée sur le ventre, les bras tendus le long du corps, les yeux fermés, respirait paisiblement. Elle avait cette tranquillité déconcertante de ceux qui croyaient vraiment aux chakras, aux pierres qui guérissent, et aux bienfaits du kéfir.

Lila s’approcha et posa enfin ses mains sur les épaules d’Aïsha. Sa peau était douce, chaude, veloutée – une invitation au relâchement pour n’importe qui… sauf pour la masseuse.

— Mmmh, vous avez des mains très… douces…

Lila hocha la tête sans savoir si c’était un compliment, une observation énergétique ou une prophétie.

Elle fit glisser lentement ses doigts le long des omoplates, puis sur les muscles tendus du dos. Ses gestes étaient mesurés, maîtrisés… du moins en apparence. Car à l’intérieur, son esprit courait partout comme un hamster dans un tambour de machine à laver.

« Respire. C’est ton travail. Tu es une professionnelle. Ce n’est pas parce qu’elle est superbe, nue, détendue, brillante, parfaite, que tu dois t’évanouir dans le pot d’huile. »

Aïsha soupira d’aise.

— Mmmh… Je sens déjà mes chakras se… comment dire…

— S’exciter ?

« Merde. Pourquoi j’ai dit ça ? POURQUOI j’ai dit ça ?! »

— Ahah ! [Aïsha sourit, les yeux toujours clos.] On peut dire ça, oui !

« Dieu merci, elle ne l’a pas mal pris… »

Elle se concentra sur les gestes, enchaînant des pressions douces, des effleurements circulaires, des glissements lents le long des flancs. Elle évitait les zones trop intimes pour l’instant, non par pudeur, mais par pur instinct de survie mentale.

Aïsha, elle, continuait de sourire, comme si elle flottait sur un nuage de soie au-dessus des obligations terrestres.

— Vous savez… c’est drôle, dit-elle sans ouvrir les yeux. Je sens que vous êtes très sensible. Vos mains hésitent parfois, mais elles sont pleines de douceur.

Lila déglutit.

— Ah, oui, eh bien… je fais… je fais de mon mieux…

Elle transpirait du front. L’huile disparaissait de ses mains comme si Aïsha irradiait à 42 degrés, et son cerveau fondait à peu près au même rythme.

*

Le massage avançait, centimètre par centimètre, comme une ascension vers un sommet glissant de malaise intérieur. Lila avait déjà massé les épaules, le dos, les bras, les jambes… chaque zone avait reçu sa part d’attention, jusqu’à la plante des petons.

— Vous ne massez pas les parties intimes ? J’ai lu que dans le tantrisme authentique, il fallait que le corps entier soit touché. [Aïsha fait un sourire un peu malicieux.] Genre… entier entier.

— Ahah… oui… bien sûr, c’est… c’est… le clou du gâteau… euh…

— Le clou du spectacle ?

— Ou-ouais… [Elle déglutit bruyamment.] Oui…

— J'ai  hâte !

La prochaine étape, c’était le bassin, et plus si affinités énergétiques, comme disait son manuel de formation avec une désinvolture qu’elle maudissait aujourd’hui.

« Respire. Tu es formée. C’est du massage. C’est de l’énergie. Ce n’est que de la peau. Une très jolie peau, certes. Mais ça reste de l’anatomie. Reste pro. »

Elle jeta un coup d’œil à Aïsha. Allongée sur le dos, jambes légèrement écartées dans une posture parfaitement naturelle, elle respirait profondément, la bouche entrouverte dans un demi-sourire béat. La masseuse se demanda dans quelle rêverie elle était plongée.

« Allez. C’est le moment. La vulve… enfin, le sacrum. Tu as fait ça en stage. Tu n’es pas en train de commettre un crime. Tu es en train d’honorer l’énergie fémi… »

C’est alors qu'Aïsha leva la main, sans ouvrir les yeux, et saisit celle de Lila avec une tendresse désarmante. Ses doigts étaient chauds et confiants. Sans forcer, elle guida la paume de la masseuse jusqu’à son bas-ventre, juste assez près de la vulve pour honorer totalement le protocole tantrique, mais assez loin pour que ses nerfs ne cèdent pas. Elle sentit une chaleur diffuse monter de ses entrailles jusqu’à sa nuque. Ce n’était pas de l’excitation. Enfin, si. Ça l’était même complètement. Une forme d’intensité contenue, comme si tous ses chakras s’étaient alignés d’un coup.

Le cœur de Lila battait si fort qu’elle était presque sûre que sa paume pulsait contre la peau de sa cliente. Elle laissa ses doigts se faire guider par ceux d’Aïsha vers l’intérieur des creux latéraux du bassin, qui allaient et venaient sur la région vulvaire.

— Ça… ça va ? bégaya Lila.

— Hmmm… j’aime bien quand vous passez votre main toute chaude sur mon abricot…

— Ahah oui… oui, moi… moi aussi…

— Je crois que tous mes chakras se sont réunis sur ma petite chatte. Il faut les réaligner.

— Votre… euh…

— Ma petite chatte.

Ses gestes devenaient plus lents, plus timides. Elle effleurait les zones où le tissu n’aurait été qu’un prétexte à la pudeur, là où le moindre centimètre de peau semblait chargé d’électricité émotionnelle. Aïsha semblait avoir atteint cet état rare où l’on ne pensait plus à respirer, parce que c’était l’univers qui respirait à notre place. Elle flottait dans une bulle invisible d’acceptation corporelle absolue.

Lila, elle, flottait aussi, mais dans une mare de sueur.

« JE VAIS MOURIR. JE SUIS UNE PROFESSIONNELLE. JE NE VEUX PAS MOURIR. MES MAINS SONT-ELLES ENCORE ATTACHÉES À MON CORPS ? »

Le dos d’Aïsha se souleva tout à coup sous l’impulsion d’un frisson profond, comme un épi de blé céderait sous une caresse insistante du vent. Le soupir lui fit ouvrir la bouche et les yeux, comme si son corps tout entier s’était brutalement réveillé.

Lorsque ses chakras, jusque-là endormis, s’étaient tous levés d’un coup, ses muscles se contractèrent, et un jet puissant de cyprine jaillit.

Lila, elle, se figea net.

« OH NON. NON NON NON ! MAIS QU’EST-CE QUE JE VIENS DE LUI FAIRE, BON SANG ? ELLE A VRAIMENT EU UN ORGASME ?! »

D’un geste affolé, elle retira sa main comme si elle avait pris feu, recula d’un demi-pas, et balbutia :

— Je… je suis désolée ! Je… je ne voulais pas… [Elle porte les mains à ses tempes, comme si elle essaie de retenir ses pensées à l’intérieur de son crâne.] Je pensais que c’était relaxant mais peut-être que c’était… trop ? Je ne vous ai pas… excitée ? Si ? [Elle commence à faire les cent pas, les bras écartés, comme si Aïsha risquait de l’attaquer avec un mantra.] Enfin je veux dire… c’est pas le but de la séance ! Je suis formée, hein ! J’ai fait un stage de deux week-ends complets !

Aïsha tourna doucement la tête vers elle, les yeux à demi fermés, les joues rosées, un sourire béat aux lèvres.

— C’était parfait… [Elle respire profondément.] Vous avez des mains… je sais pas… comme des petits nuages de coton tout doux. J’ai senti une nuée d’ailes battre dans mon ventre. Genre… beaucoup de papillons. Une tempête.

Lila cligna des yeux, perdue.

— Ah bon…

— Et votre énergie est très… équilibrée. Genre, vraiment. Vous êtes née pour masser. Même vos tremblements sont apaisants.

Lila baissa les yeux, presque émue, les joues en feu, les paumes brillantes de sueur.

— Euh… merci… ce… c’est gentil… Bon, je vais… vous laisser vous rhabiller…

— Pas tout de suite, murmura Aïsha en s’étirant comme un chat sur un radiateur. Juste cinq minutes. J’ai des restes de chakras qui flottent encore dans la pièce.

Lila hocha la tête, recula doucement jusqu’à la porte, l’ouvrit sans bruit et sortit avec la grâce d’une tortue en robe de moine.

*

Dans la salle d’attente, la réceptionniste leva les yeux.

— Alors, ta première séance tantrique ?

— J’ai… oui… enfin, c’est fait… c’était… [Elle regarde ses paumes.] Mes mains… mes mains sont là… je crois… enfin, je les sens… Je… je pensais pas que… que le corps humain pouvait… enfin, pas comme ça… [Elle cligne des yeux plusieurs fois.] C’était censé être un massage, pas… une sorte de… AH !