Vamos à la playa

5 octobre 2022

Chapitre 1 : Fuir !

Ce matin, comme d’ailleurs presque tous les autres, c’était le jingle d’une dizaine de secondes du journal de 6 heures 30 qui réveilla toute la famille Brinker. Le volume de la télévision était si fort que même les voisins étaient alertés. C’était le meilleur moyen qu’avait trouvé Charles Brinker, le père de famille, pour mettre sur pieds ses deux enfants : Ricardo et Emma. Cette dernière, ce matin, n’avait pas attendu ce fameux jingle pour se lever. Elle n’avait pas dormi de toute la nuit, car elle ne faisait qu’enchaîner les mauvais rêves. Finalement, l’envie de dormir avait laissé place à un désir ardent d’aller sur les réseaux sociaux.

La jeune fille devait par la suite se préparer pour l’école, car ce n’était pas encore le week-end. Elle se leva donc de son lit, se traîna dans la salle de bain de sa chambre où elle prit une bonne douche chaude. Elle enfila ensuite son uniforme qui n’était rien d’autre qu’une chemise blanche, une petite cravate, et une jupe noire ovale et carrelée qui lui dépassait légèrement les genoux. Complètement en bas, elle avait mis des chaussures fermées en cuir ainsi que des chaussettes blanches parsemées de quelques points gris. L’école était à cheval sur cet uniforme et quiconque avait le sien en mauvais état subissait la foudre du proviseur qui était d’une rigueur sans égale.

Alors que la jeune fille peignait ses longs cheveux bruns qu’elle allait ensuite attacher en queue de cheval, elle entendit quelqu’un toquer à la porte avec fougue. Avec toute cette énergie à en détruire la porte, Emma comprit que c’était son frère.

— Et pourquoi ne casses-tu pas la porte tant que tu y es ? lança Emma à son frère qui n’avait même pas attendu une autorisation avant de s’inviter dans la chambre de sa frangine.

— Maman dit de vite venir dans la salle à manger pour le déjeuner, car sinon nous serons en retard.

— Oui, je viens déjà, dit-elle en jetant un coup d’œil à l’uniforme de son frère.

Frère et sœur rejoignirent la salle à manger. Autour de la grande table se trouvaient leurs parents qui tartinaient du chocolat, du beurre ou du fromage sur des morceaux de pain. Chacun y allait de sa combinaison pour faire le plein d’énergie. En plein repas, Charles, le père de famille introduisit un sujet :

— Vous savez ce qui se passe dans le monde actuellement ? Ce virus, vous en avez entendu parler ? interrogea le père.

Emma en avait entendu parler. Elle avait même suivi une ou deux vidéos sur le sujet sauf qu’elle ne pouvait pas répondre affirmativement à la question de son père pour la simple et bonne raison qu’elle ne devrait pas avoir son téléphone sur elle en pleine année scolaire.

— Non, papa. Je n’ai rien entendu de tel, s’empressa de répondre la jeune fille sur un ton nerveux.

— Moi non plus, ajouta Ricardo.

— Il s’agit d’un virus très contagieux, d’après ce qu’ils disent. Actuellement, plusieurs pays sont déjà atteints par ce virus et on compte des morts par centaines surtout en Amérique et en Asie… Les autorités sont inquiètes et s’affolent déjà, révéla Charles.

— Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Avant que le virus ne vienne ici en Australie, je pense qu’ils auraient déjà trouvé une solution, dit Ricardo en avalant une gorgée de son thé.

— Encore un virus créé par ces dirigeants pour se mettre plein la poche avec des vaccins. C’est pitoyable, murmura la jeune Emma.

— Apparemment, ma fille parle de complot, dit Mireille, la mère de famille.

— Quoi qu’il en soit, protégez-vous. Faites attention à vous. Si vous sentez des choses suspectes autour de vous, des choses qui sortent de l’ordinaire, veuillez en parler à des adultes, conseilla le père au reste de sa famille.

— Et si moi je vois des choses étranges, j’en parle à quel adulte ? demanda ironiquement la mère, ce qui fit éclater de rire le reste de la famille.

Ce repas se passa bien et les enfants prirent le chemin de l’école en voiture, le père les accompagnant. Sur cette route bondée d’automobiles se trouvaient des gens pressés d’aller vaquer à leurs occupations. Ceux qui n’étaient pas dans leurs voitures étaient sur le trottoir, marchaient à pas réguliers, faisaient des zigzags pour éviter de cogner les autres. La petite Emma observait tout ce beau monde et une seule question lui venait à l’esprit.

— Que va-t-il se passer si l’aigwen venait à nous atteindre ici en Australie ? demanda Emma à son père.

— Comment sais-tu que le virus s’appelle aigwen ? demanda le père en regardant sa fille à travers son rétroviseur.

Paniquée, il lui fallait inventer une petite excuse afin de ne pas subir une rafale de questions qui pourrait l’amener à avouer qu’elle avait un téléphone planqué dans sa chambre.

— J’en ai parlé avec des amies, mais je n’ai pas de grandes informations sur ça, dit la fille avec un regard hésitant.

Le père regarda étrangement sa fille et finit par abandonner le sujet en reprenant le sien :

— D’après le journal de ce matin, je pense que nous allons tendre vers un confinement de tout le pays. Nous serons en quelque sorte paralysés. Les gouvernements énoncent déjà cette possibilité. Les activités qui ne sont pas réellement prioritaires seront fermées et seules celles dont la population dépend resteront ouvertes. Les hôpitaux, la police, les mairies, certaines grandes surfaces et autres… Les musées, les restaurants et autres ; tout ceci sera fermé. Mais je doute que cela puisse arriver, conclut le père, les yeux rivés sur la plaque d’immatriculation de la voiture devant lui.

La jeune fille était assise sur cette banquette arrière de véhicule, mais son imagination était allée bien loin. Elle imaginait déjà le monde plongé dans un chaos sans précédent, un confinement suivi d’une révolte du peuple qui a faim, qui se sent oppressé et manipulé. Un peuple qui sort dans les rues pour manifester, des gens tués, les grandes villes à feu et à sang, les habitants qui fuient... Toutes ces images défilaient dans l’esprit de la jeune fille et chaque image amenait une nouvelle qui poussait encore plus loin la réflexion d’Emma.

— À quoi tu penses ? demanda le père qui vit le regard évasif de sa fille.

— À un monde plongé dans un chaos sans précédent. Nous en viendrons à un point où en l’espace de quelques jours, l’humanité des hommes va disparaitre. Tout le monde va lutter pour sa survie.

— Chaos sans précédent ? C’est-à-dire un virus qui ferait plus de ravage que la grippe rouge ?

— Pourquoi pas ? demanda la jeune fille qui s’avançait un tout petit peu sur son siège.

— Oh, arrête. C’est juste un petit virus de rien du tout. Il n’y a pas de quoi en faire tout un plat, vous ne pensez pas ? dit Ricardo qui avait sur sa cuisse son cahier ouvert et un stylo en main.

Le jeune garçon était en train de faire ses exercices en retard.

— Mais qu’est-ce que tu fais à la maison pour toujours faire tes exercices dans la voiture ? demanda Emma.

— C’est ici que je me sens en condition d’école et donc c’est là que les travaux à faire me reviennent. Ce n’est pas de ma faute, c’est mon cerveau qui aime me jouer des tours.

— Comme si tu en avais un, répliqua Emma en ricanant.

Les jours passaient et la situation dans le monde se dégradait. Les statistiques grimpaient tous les jours et les personnels soignants dans les hôpitaux étaient débordés par le nombre de cas. Un simple contact pouvait entraîner une contamination. La toux, des saignements nasaux, des maux de tête qui donnaient l’impression que le crâne allait fondre, des douleurs dans les articulations qui paralysaient presque, des yeux rouges tel un brasier : c’était là les symptômes cruels de ce virus dont on ignorait la provenance. Tout ce qu’ils savaient était qu’il tuait et n’était pas près de s’arrêter. Les différents reportages sur les chaînes de télévision montraient des personnes dans de grosses combinaisons blanches déposer des cadavres dans de grandes fosses. La grande question était de savoir si la fosse était refermée ou si le contenu était brûlé.

*

Un mois après la déclaration de ce virus au monde entier, l’Australie n’avait pas connu le moindre cas. C’était à croire que le bon Dieu, dans son immense générosité, avait décidé d’épargner les habitants de ce pays. Ces derniers étaient contents et les mesures prises par le gouvernement pour interdire les échanges étaient bien vues par la population qui se sentait plus en sécurité. Ce n’était qu’une joie trop vite célébrée, car la première semaine du deuxième mois, un premier cas fut détecté. Un premier cas, un deuxième et les compteurs commençaient par s’affoler. Ce virus allait bientôt embraser toute l’Australie et laisser derrière elle des cadavres. Les Australiens n’étaient plus sereins et cela pouvait se lire dans ce qu’ils faisaient. Les gens paniquaient et avaient surtout peur de la mort ; ou du moins, du virus. Une grande vague de suicide avait été enregistrée chez les personnes qui avaient peur des symptômes de ce virus. Elles ont préféré se donner la mort plutôt que de subir toute cette peine et cette douleur pour avoir une toute petite chance de s’en remettre. 

Un matin, ce n’était pas le bruit du journal qui réveilla les Brinker, mais plutôt Charles lui-même. Il passa devant la porte de chacun de ses enfants, toqua avec force et leur demanda ensuite de le rejoindre dans la pièce principale. Les deux enfants, les yeux toujours plein de sommeil, rejoignirent le salon. Ils virent leur mère et leur père assis côte à côte et devant eux se trouvaient quatre sacs.

— Vous allez en voyage ? demanda Ricardo.

— Les moyens de transport publics ne fonctionnent plus. Vous allez faire comment ? D’ailleurs, vous allez où ? demanda à son tour la grande sœur.

— Nous voyageons. Nous quatre. Montez dans vos chambres et embarquez le strict minimum nécessaire pour survivre durant les prochains jours, dit le père de famille. 

Les enfants regardaient leur mère qui acquiesça de la tête pour valider ce que venait de dire son époux.

— Quoi ? Mais pourquoi ? interrogea Ricardo.

— Nous ne pouvons pas attendre ici que le virus vienne décimer notre famille. Ce qui se passe dehors est horrible. Si nous souhaitons avoir une chance de nous en sortir, nous devons aller de l’autre côté, en Nouvelle-Zélande. Il n’y a pas de cas là-bas et cela semble plus sûr pour nous, répondit le père.

— Mais… commençait par dire Emma avant de se faire violemment interrompre par sa mère.

— Taisez-vous. Allez dans vos chambres et embarquez quelques affaires essentielles. En route, vous allez poser toutes les questions qui vous traversent l’esprit. Là, tout de suite, il faut se préparer, s’écria la mère. 

Les enfants obtempérèrent aussitôt. Quelques minutes plus tard, la petite famille était à bord de la voiture en direction de la rive où ils allaient prendre le large pour rallier la Nouvelle-Zélande à bord d’un vieux bateau qui tenait à peine. Pour faire ce voyage périlleux, ils avaient dû payer un pêcheur. D’ailleurs, ils n’étaient pas la seule famille dans cette situation. Une cinquantaine de personnes était à bord de cette relique, priant pour qu’elle puisse tenir jusqu’à la destination. La petite Emma, dans son esprit, réfléchissait. Elle se disait que ce voyage était inutile, car il suffisait que l’une des personnes à bord de ce bateau soit contaminée pour que leur expédition vers une terre neutre meure dans l’œuf.

*

Après deux jours de voyage dans des conditions extrêmement lamentables, les gens avaient les nerfs à vif. Ils s’emportaient pour un rien et étaient prêts à en venir aux mains pour n’importe quelle raison valable à leurs yeux. D’ailleurs, parmi les voyageurs se trouvait un petit groupe de racailles qui cherchait des noises aux autres voyageurs.

*

Emma ne comprit pas vraiment ce qui s’était passé ni le temps que tout ceci avait duré. Mais, finalement, elle se retrouva sur une plage, les habits trempés, les cheveux mouillés qui lui collaient à la peau et avec quelques égratignures sur le corps. Elle était totalement épuisée et avait la vision floue. Tout ce qu’elle entendait était le bruit des oiseaux. Qu’est-ce qui avait bien pu lui arriver durant ce voyage ?

Chapitre 2 : Bon sang, mais qui êtes-vous ?

La jeune fille, totalement désorientée, se leva du sable fin dans lequel elle était couchée. Elle regardait tout autour d’elle, mais ne vit personne. Tout ce qu’elle voyait était l’océan devant elle et un mélange de montagnes et de forêt derrière elle. Inquiète, Emma commençait par scander le nom de ses parents, mais tout ce qu’elle entendait était sa propre voix ainsi que les battements d’ailes des oiseaux qui fuyaient après ses cris. Durant de longues minutes, la peur au ventre, la collégienne ne faisait que crier à l’aide. Immobile, elle ne savait pas où aller. Elle ressentait une grande fatigue, mais elle ne pouvait pas se permettre le luxe de se reposer. Après quelques minutes sans aucune solution, la jeune fille finit par se rasseoir par terre et commençait par fixer l’eau, avec un regard qui voulait dire qu’elle allait pleurer. Dans son esprit se bousculaient plusieurs questions et dans son cœur germait l’espoir que ses parents sortent de nulle part pour la serrer dans leurs bras.

— Mais, comment suis-je arrivée ici ? se demanda Emma qui comprit qu’elle ne se souvenait pas de certains détails.

La jeunette était vêtue légèrement d’une jupe blanche à dentelles et d’un soutien-gorges noir également à dentelles. Elle s’était changée lors du périple en mer au cas où elle aurait à nager si le bateau lâchait. Elle avait perdu ses sandales. À vrai dire, elle n’avait rien d’autre et avait perdu tous ses effets personnels lors du naufrage. Heureusement, c’était le mois d’août et il faisait assez chaud sur ce lieu, le climat était océanique.

En réfléchissant et en tentant de mettre les évènements dont elle se souvenait dans un semblant d’ordre, Emma sentit quelque chose venir vers elle depuis la forêt. C’était une créature qui bougeait ; certainement un homme ou un animal. La jeune fille recula donc pour se cacher sauf qu’il n’y avait rien. Elle devait donc rester debout là comme un piquet et espérer que la chose ou la personne qui sortira de cette forêt soit coopérante.

Quelques secondes plus tard, les bruits se rapprochaient encore plus et quelque chose sortit de la forêt. C’était une créature ayant la morphologie d’un humain, une grosse touffe de cheveux sur la tête, une barbe qui avait l’air de dater de plusieurs siècles, des vêtements déchirés qui semblaient étonnamment propres. Jamais de sa vie, elle n’avait vu un homme avec autant de pilosité ; enfin, sauf dans les films. L’homme la regardait étrangement et dans son regard pouvait se lire de la surprise mais aussi une sorte de colère.

— Qui êtes-vous ? s’empressa-t-elle de demander. 

L’homme étrange ne répondit pas. Il avait envie de lui renvoyer sa question, mais pour le moment, il s’abstint. L’inconnu s’approchait à pas saccadés de la jeune fille qui regardait autour d’elle afin de voir avec quoi elle pouvait se défendre. Elle vit un bois sec à moitié brûlé dont elle se saisit.

— Dites-moi qui vous êtes, sinon je vais vous blesser, dit la jeune fille tenant son bâton telle une épée.

— Votre sauveur, répondit l’homme d’une voix basse presque inaudible.

— Quoi ? Vous m’avez sauvée la vie ? Et comment ? C’est quoi cette histoire ? demanda Emma qui, à présent, n’avait plus la même détermination qu’il y a quelques secondes.

— Vous pensez que vous allez survivre comment ici ? demanda l’homme, toujours de sa voix basse.

— Je ne sais pas. Cela fait partie des questions que je me pose. Espérons que je ne reste pas ici bien longtemps et que ma famille me retrouve.

— Vous êtes la seule personne que j’ai vue sur cette île depuis que j’y vis. Vous avez sûrement fait naufrage. Je vous ai secouru. Il n’y a pas votre famille ici, dit l’homme.

— Je ne vous crois pas. Je ne vous crois pas ! Et vous n’avez pas répondu à ma question. Qui êtes-vous ?

L’homme, exaspéré par cette question à répétition, décida d’abandonner la jeune fille à son sort.

— Prenez votre arme ou votre bâton et tentez de le couper en plusieurs morceaux pour faire un feu. Vous pouvez en trouver d’autres dans la forêt. Pour faire un feu, vous savez sûrement comment vous y prendre. Pas avec un briquet, j’entends, mais avec deux pierres pour faire des étincelles sur un peu de brindilles. Moi, je vous laisse la vie sauve, vous n’avez pas l’air d’être un danger, dit le barbu en faisant demi-tour et en se dirigeant vers là d’où il venait.

— Mais où allez-vous ? demanda la jeune fille qui était tout d’un coup déroutée par l’attitude de l’inconnu.

— Là où je ne vais pas perdre mon temps, dit l’homme en marchant toujours.

— Bon sang, mais qui êtes-vous ? Là d’où je viens, les gens se présentent quand ils se rencontrent pour la première fois, s’offusqua Emma.

L’homme marchait toujours. Emma, sachant que rester seule n’était pas une bonne option, se mit à courir derrière l’inconnu sans avoir l’intention de le rattraper. Tout ce qu’elle voulait était de rester à deux ou trois pas derrière lui afin de voir là où il habitait. Après plusieurs minutes de marche, Emma se retrouva devant une cabane en bois qui avait l’air d’être là depuis  longtemps ; depuis quelques mois sûrement. L’étrange homme avait laissé Emma debout tel un piquet, puis était parti s’asseoir sur une espèce de chaise aussi bizarre que tout ce qui était sur place.

— Vous êtes ici depuis longtemps ? demanda Emma en regardant tout ce qui se trouve autour d’elle.

Cette cabane en bois sec, cette chaise, ces armes en bois ressemblant à des javelots, ces pierres aux parois brûlées qui servaient sûrement de foyer ; tout indiquait que l’homme vivait à la sauvage depuis longtemps.

— Oui, depuis quelques mois en tout cas. Depuis que les rumeurs avaient commencé par circuler en Europe, répondit l’homme qui avait les yeux rivés sur un arbre se trouvant devant lui. C’était il y a longtemps. Il n’y avait pas eu beaucoup d’écho, mais j’ai toujours été prévoyant. On me l’a toujours reproché. Ils sont morts, maintenant.

— Les rumeurs sur quoi ? demanda Emma, toujours debout, les bras croisés, le regard fixant l’homme.

— Pourquoi es-tu ici ? Pourquoi fuir la ville pour venir sur une petite île perdue dans l’océan ? interrogea l’homme.

— Le virus.

— Voilà. Le virus a donc finalement atteint tous les continents, on dirait. (Silence.) Tu veux boire de l’eau ou manger quelque chose ? demanda l’homme.

Après quelques secondes, Emma ne savait pas quoi répondre. Bien sûr qu’elle avait faim et soif, mais elle n’avait pas réellement envie de manger là, dans cet endroit aux allures sauvages en compagnie de cet homme qui n’avait rien d’orthodoxe.

— Faut croire que j’ai toujours mon hospitalité, remarqua l’homme en esquissant un léger sourire.

— Vous mangez quoi ici ? Je ne pense pas qu’il y a une grande surface où vous allez vous approvisionner, remarqua presque ironiquement l’adolescente.

Au même moment, elle se mit à renifler ses vêtements et constata qu’elle empestait.

— Grande surface ? Tu es bien drôle. Il n’y a pas de McDonald’s ni de Aldi, ici.

Emma ne répondit pas. D’ailleurs, elle ne savait quoi répondre.

— Je me nourris de la chasse et de la pêche. Avec le temps, tu t’étonneras du nombre de lapins qui sautillent sur cette île. Les oiseaux, n’en parlons même pas. Plus loin, il y a quelques fruits comestibles alors si tu veux te nourrir, il va falloir que tu mettes la main à la pâte. Il y a tout pour vivre sur cette île. C’est clair que tu n’auras pas tout, mais le nécessaire y est, dit l’homme.

— Comment vous faites pour l’eau ? Vous buvez l’eau de mer ?

L’homme sourit, se leva et prononça :

— Viens avec moi.

Emma ne bougea pas et demanda un peu bêtement :

— Euh, au fait... Vous n’allez pas me violer, hein ? Ni me manger ?

L’homme se mit à rire d’un rire caverneux avant de lui répondre :

— Tu as de la chance d’être tombé sur un type normal, tu n’as pas à te soucier de ça. Suis-moi.

Emma, prudemment, suivit l’inconnu qui l’amena derrière sa cabane. Là-bas, sur le sol, l’adolescente pouvait voir des réceptacles dans lesquels se trouvait de l’eau ainsi que des morceaux de charbon.

— Ce sont des… commençait par demander la jeune fille qui trouvait que les réceptacles ressemblaient à des carapaces de tortues.

— Oui, des carapaces de tortues. Elles me servent de réceptacles.

— Et les tortues, qui en étaient les propriétaires ?

— Dans la chaîne alimentaire, il y a les tortues et les hommes au-dessus. Tu vois un peu ce que je veux dire ? demanda l’homme.

— Horrible ! fit-elle en regardant l’inconnu lui servir de l’eau.

En une fraction de seconde, elle n’avait plus envie de boire cette eau recueillie après qu’un homme ait abominablement tué des tortues ; une bonne dizaine à ce qu’elle pouvait voir sur le sol. La vision de tout ce carnage ne manquait pas de traverser son esprit.

— Tu prends ou pas ? demanda l’inconnu en tendant un petit bol à son invitée fortuite.

— Non, je n’ai plus soif, dit-elle.

— Tant mieux, répondit l’homme en versant l’eau là où il l’avait prise.

Finalement, la jeune fille revint sur sa décision et but l’eau, car elle comprit qu’elle n’avait pas vraiment le choix. Elle était déjà dans cet endroit et trouver de l’eau potable serait une mission quasiment impossible. Quoi qu’il en soit, ce ne sont que des carapaces de tortues, se convainquit-elle.

— Et c’est pour quoi faire les bouts de bois ?

— C’est du charbon actif. Il purifie l’eau de pluie.

— Vous ne déssalez pas l’eau de mer ?

— Je n’ai pas les moyens de le faire. J’ai beaucoup de stock de charbon actif et un bout de bois dure six mois.

— Wow.

Les deux inconnus s’assirent à présent côte à côte. L’homme tenait dans sa main un long bois ainsi qu’un couteau. Avec ce dernier, il taillait le bout du bois qui ressemblait de plus en plus à un javelot identique à ceux qui étaient posés contre sa cabane.

— Alors, qui êtes-vous ? demanda Emma d’une voix beaucoup plus calme.

Après un moment de silence, on pouvait sentir que l’homme était gêné par cette interrogation. Néanmoins, il décida de répondre :

— Je m’appelle Douglas. Et j’ai trente-huit ans. J’ai fêté mon anniversaire il y a quelques jours dans l’enclos à lapins que j’ai derrière ma cabane. Ils sont mignons. Je suis venu ici il y a... quelques mois... quand ces rumeurs ont éclaté. J’avais prévu qu’un tel virus arrive et ravage le monde, mais les gens m’ont pris pour un fou, dit Doug en taillant plus rapidement le bout de son bois.

— Quoi ? Vous êtes une sorte de scientifique ? demanda Emma.

— Non, je travaillais dans une ferme. Je pense que la fin du monde a toujours été un sujet qui m’a obsédé. J’ai fait une liste de trente-deux évènements qui pourraient survenir et mettre fin à toute forme de vie. Sur ma liste, c’est le troisième qui s’est produit. Alors je suis ici, bien au chaud, loin de l’humanité et de ces cas de contamination.

Emma observait l’homme parler avec passion, montrant fièrement qu’il avait su anticiper un évènement.

— Je n’ai jamais compris la raison pour laquelle les humains, ou du moins la plupart, ne pensent pas au futur et à ce qui pourrait survenir. Ils pensent que la Terre est un acquis et en font donc ce qu’ils veulent. Bref, je ne vais pas t’importuner avec mes histoires, hum... ton nom ?

— Ah, moi, c’est Emma. J’ai quatorze ans et je suis Australienne. Vous n’avez pas retrouvé mes parents par hasard ? demanda Emma.

— Enchanté, Emma. Tes parents ? Non, comme je te l’avais dit avant, tu es la seule que j’ai aperçue. Tu es la seule personne que j’ai croisée depuis mon arrivée sur cette île, en fait.

— Quoi ? Vous m’aviez vue ?

— Oui, je t’ai vu depuis là-haut. (Il pointe du doigt une falaise au loin.) Tu as échoué tel un requin mort sur la plage. Tu étais seule.

Emma était de plus en plus inquiète. Plus les minutes avançaient, moins elle se souvenait des choses qui s’étaient passées et de la manière dont elle avait fait pour se séparer de ses parents et de son frère. Plusieurs questions lui taraudaient l’esprit et celle qui la tourmentait le plus était de savoir si le reste de sa famille était morte dans l’océan.

— Il faut que je m’en aille. Je dois y aller. Je ne peux pas rester ici, déclara Emma en se levant brusquement.  

Douglas regardait la jeune fille avec un air amusé. Il était à un doigt d’éclater de rire.

— Tu comptes t’en aller comment ? À moins que tu n’aies des pouvoirs magiques pour marcher sur l’eau ou voler ou que tu aies un bateau quelque part planqué sur cette île, tu ne peux aller nulle part. Ah, mais il y a une autre solution, finit-il par dire.

— Laquelle ? Laquelle ? demanda précipitamment Emma.

— Fabriquer un radeau de survie. Tu sais, ce n’est pas si compliqué. Cependant, faire tout ce travail, c’est-à-dire couper du bois, les agencer, les attacher avec une corde, prendre un gros bâton pour en faire un pagaie, puis rejoindre ton pays plein de cadavres... c’est inutile.

La jeune fille s’assit de nouveau avec un regard aussi dépité qu’attristé. Subitement, elle entendit un bruit semblable à un coup de feu. 

Chapitre 3 : Dispute, morts, eau, radeau… 

Après avoir entendu ce bruit qui ressemblait fortement à celui d’un coup de feu, Emma se leva brusquement, totalement paniquée. Contrairement à elle, Douglas, lui, était plutôt calme.

— Quoi ? Vous n’avez pas entendu un coup de feu ? demanda la jeune fille étonnée de la réaction de l’homme barbu.

— Oui. C’est à cause de ça que tu t’es levée comme une soldate ? C’est sûrement l’un de mes pièges qui a pris. Donc après j’irai récupérer mon butin, dit-il en souriant au grand désarroi d’Emma qui se disait s’être inquiétée pour rien.

Emma était rassurée sur la nature du coup de feu qu’elle venait d’entendre sauf que dans son esprit, des images commençaient par défiler. Ces images, elle ne les avait jamais vues auparavant. Dans ces images plutôt sombres, Emma entrevoyait une grosse bagarre, des personnes qui criaient, qui se menaçaient, de l’eau, des gens qui nageaient, un grand feu... Elle pouvait également entendre le bruit étrange que faisait le bateau, un coup de feu et bien d’autres bruits qui n’étaient pas forcément décryptables. Tous ces bruits et images n’avaient aucun sens pour la jeune fille qui forçait tant bien que mal son esprit à se rappeler de plus de choses. Voyant la jeune fille étourdie, Doug se leva afin de l’aider à s’asseoir.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il.

La jeune fille ne répondit pas sur le coup. Du moins, elle prenait le temps de reprendre ses esprits.

— Des souvenirs me reviennent. Les souvenirs de ces derniers jours. Je ne sais pas ce qui se passe.

— Qu’est-ce que tu vois dans ces souvenirs qui te reviennent ?

— Les choses sont floues et pour le moment n’ont pas vraiment de sens. Je me vois sur une espèce de bateau, celui sur lequel mes parents et moi avions embarqué. Je vois des gens armés se disputer. Je vois ensuite du feu, des gens à l’eau. Je ne sais pas. C’est ce que je vois. Je ne sais pas si tout ceci s’est vraiment passé ou si c’est juste le fruit de mon imagination, dit la jeune fille qui se leva brusquement ; totalement peinée et au bord des larmes.

Elle était triste, triste de n’avoir plus de souvenirs de ces derniers jours, triste de ne pas savoir ce qui était arrivé à sa famille. Elle s’en voulait surtout d’être là, en compagnie de cet homme, alors que ses parents seraient perdus quelque part d’autre.

— Attends. Tout ceci s’est déclenché quand tu as entendu le coup de feu. Alors, le coup de feu est un élément important dans tes souvenirs de ces derniers jours. Je pense qu’avec le temps et des stimulus familiers, tu vas reconstituer tous les évènements, conclut Douglas.

*

Les jours passèrent et les nuits suivirent. Les deux survivants apprenaient à se connaître. Douglas apprenait à Emma des techniques afin de survivre sur une telle île. Il lui apprit comment poser des pièges, comment chasser des lapins, comment attraper des poissons et comment faire de bonnes cueillettes. Il lui apprit également comment se défendre et comment se battre, même si Emma n’a jamais su ce à quoi cela allait lui servir sur une île où ils n’étaient que deux. Ce qui était certain était que la jeune fille apprenait de nouvelles choses et que ça lui plaisait beaucoup. Elle s’acclimatait bien à son nouveau mode de vie et était beaucoup plus souriante et joviale. Le seul point noir était qu’elle n’avait toujours pas de nouvelles de sa famille.

Une nuit, alors que Doug et Emma avaient éteint toutes les lumières afin de s’endormir, la jeune fille se leva brusquement puis resta assise durant de longues secondes dans le noir. Douglas, ayant le sommeil léger, avait compris qu’Emma était debout. Cette dernière émettait de petits gloussements et finit par sortir de la cabane en pleurs. Ne pouvant pas laisser la petite adolescente dans cet état, Doug se leva et la suivit afin de savoir ce qui se passait.

— Que se passe-t-il ? Tu t’es souvenue d’autre chose ? demanda-t-il.

Emma ne répondit pas. Elle pleurait à chaudes larmes, se lamentait, enfouissait avec rage ses mains dans ses cheveux. Elle était inconsolable. Les tentatives de Douglas afin de la prendre dans ses bras pour la consoler étaient vaines. La jeune fille était désemparée.

— Parle-moi, s’il te plaît. Qu’est-ce qui se passe ? insista Douglas.

— Mes parents… Mes parents… commençait-elle par dire.

— Quoi ? Tes parents sont où ? Tu as eu de nouveaux souvenirs ?

— Oui, je me suis souvenue de tout, répondit la petite Brinker.

— Assieds-toi sur cette chaise, dit Douglas en posant près de la jeune fille l’une des deux chaises qui se trouvaient sur la cour.

La jeune fille, toujours en pleurs comme une madeleine, finit par s’asseoir.

— Alors, que s’est-il passé ? Tu as envie d’en parler ?

— Mes parents sont morts. Mon frère aussi. Tous les trois sont morts, dit-elle en pleurant de plus belle.

La jeunette était tant abattue par cette ressouvenance qu’elle avait du mal à tenir sur cette chaise. Elle tremblait, criait, pleurait toutes les larmes de son corps.

— Je suis désolé. Comment cela est-il arrivé ? demanda l’homme. 

Après quelques secondes de silence, Emma se lança dans un récit :

— Ce soir, tous les souvenirs me sont revenus. Pour une fois, tout a enfin un sens, commençait par dire Emma. 

Elle prit le temps de pleurer encore un peu puis reprit la parole :

— Nous étions à bord d’un bateau qui devait nous conduire en Nouvelle-Zélande. Il s’agissait d’un vieux bateau pas tellement grand, mais très vieux. Il tenait à peine. Le bateau, pour ce voyage, avait pris plus de personnes qu’il ne pouvait en contenir. C’était tel qu’à certains moments, on pouvait sentir le bateau grincer. Néanmoins, le vieux pêcheur que nous avions payé nous rassurait que tout irait bien et qu’il ne fallait pas que l’on s’inquiète pour si peu. Durant le trajet, une dispute avait éclaté entre mon père et un autre passager pour une raison que j’ignore toujours. Dans la foulée, des gens ont fait sortir leurs armes et puis des coups de feu sont partis. Mon père a été touché et mon frère également. Les balles ont aussi endommagé le bateau en créant un trou béant dans la paroi. Quelque part, toujours sur le bateau, un feu s’est déclenché. D’un côté, le bateau était en feu et de l’autre, il prenait de l’eau, car la paroi endommagée laissait entrer l’eau. En ce moment, tout ce qui importait à ma mère était de me protéger. N’ayant plus le choix, elle décida qu’on se jette à l’eau et qu’on nage en espérant qu’on trouve quelque chose qui nous sauve. Finalement, nous avons trouvé un long morceau de bois qui flottait sur l’eau. (Silence.) Nous nous y sommes accrochés alors que nos yeux ne voyaient pas la terre ferme tout autour de nous. Ma mère, ayant une santé fragile, n’a pas pu supporter toute cette hypothermie. Elle en est morte, me faisant lui promettre de laisser son corps dans l’océan pour que je puisse moi-même survivre. Je ne voulais pas le faire au début, mais elle avait raison. J’ai donc fait ce qu’elle a demandé et je l’ai laissée couler... dans l’océan... (Elle sanglote.) Puis j’ai ramé durant des heures et des heures. À un moment, je me suis évanouie sur ce bout de bois et, par chance, j’ai échoué sur cette île. Mes parents sont morts. Mon frère aussi, pleura Emma, le visage rempli de larmes de tristesse. 

Douglas tentait comme il pouvait de consoler la jeune fille. En quelques heures, elle avait vécu plusieurs évènements tragiques. C’était donc difficile de la consoler. Elle en avait bavé pour une adolescente de son âge. Alors que les deux discutèrent, ils entendirent de nouveau un coup de feu. Cette fois-ci, le bruit était beaucoup plus aigu et plus distinct.

— Toujours tes pièges ? demanda Emma, le visage humidifié par les larmes.

— Non, je ne pense pas. Je pense que de nouvelles personnes ont échoué sur cette île, dit Doug en se levant.

— C’est une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

— Je n’en sais rien. Va dans la cabane et enferme-toi. Je vais vérifier ce qui se passe.

— Non. Pourquoi veux-tu m’enfermer ici ? Je viens avec toi.

— Non. Il est hors de question que je mette ta vie en danger, alors tu fais ce que je te dis, ordonna Doug en haussant légèrement le ton.

Emma était décidée à ne pas rester seule dans cette cabane pour la simple et bonne raison qu’elle avait peur.

— Je ne peux pas rester seule. Et si quelque chose m’attaque ? demanda Emma.

Pris de compassion, Douglas remit un javelot à la jeune fille et lui demanda de le suivre. Les deux marchèrent sur plusieurs mètres, se rapprochant de plus en plus du bruit qui se faisait au loin sur la plage. Ils pouvaient entendre des cris et en se rapprochant encore plus, ils sentirent de la fumée.

Chapitre 4 : Des sauvages sur une île.

Douglas était de plus en plus inquiet. Il se sentait menacé par ces nouvelles personnes qui empiétaient sur son territoire. Dès qu’Emma et Douglas se mirent à découvert, ils se rapprochaient de la petite bande qui n’était rien d’autre qu’un groupe de quatre jeunes hommes dont les âges pouvaient se situer entre vingt et trente ans. Ils étaient baraqués et semblaient pleins de force. De loin, dans cette nuit, on pouvait entendre leurs ricanements agaçants. Ils avaient l’air très amusés comme s’ils fêtaient leur arrivée sur l’île. Visiblement, ils ne semblaient pas bien méchants, mais Douglas, aussi paranoïaque qu’il soit, n’avait confiance en personne. Il se rapprocha donc doucement de la petite bande et de ses bras, il intima l’ordre à Emma de se ranger derrière lui.

— Que faites-vous ici ? demanda Douglas sur un ton autoritaire, comme pour marquer son territoire.

— Les gars, nous ne sommes pas seuls sur cette île. Nous avons un hôte avec plein de barbe, dit l’un des jeunes de la bande. 

Les autres se mirent à rire d’un rire moqueur qui ne fit qu’exaspérer Douglas. Ce dernier, au fond de lui, voulait que cette petite bande de vauriens s’en aille.

— Qu’est-ce que je vois là ? dit un autre jeune homme après avoir aperçu Emma derrière Douglas. 

Douglas, sentant que le jeune garçon parlait de sa « protégée », s’assura qu’elle était bien derrière lui. Le jeune homme marchait en direction de Douglas et de Emma, tenant dans ses mains un revolver ; sûrement celui qui avait servi à tirer un coup de feu quelques instants plus tôt. Douglas tendait vers l’avant son javelot tel un guerrier et commençait par chercher à l’aide de son pied un équilibre dans ce sable de plage.

— Vous voyez ? Il a un javelot. Une arme noble. Oh, comme j’ai peur, se moqua le jeune homme qui s’avançait encore plus. 

Il était à présent proche du bout pointu de l’arme et son regard amusé venait de laisser place à un visage plus sérieux, plus menaçant.

— Laisse-nous voir la fille. C’est tout ce qu’on te demande, le barbu. Qu’est-ce qu’il y a de compliqué là ? C’est ta fille ? C’est ça ? Ta fille ? On va se la faire, ajouta le jeune homme. 

Après avoir entendu cette phrase « on va se la faire », Emma eut de nouveau un flash d’images. Cette fois-ci, ce n’était pas une image fixe, mais plutôt une scène qui s’était déroulée sur le bateau. Dans cette scène, elle pouvait voir des hommes se rapprocher d’elle et prononcer cette même phrase. C’était certainement ce qui avait mis Charles, son père, en colère et avait fait éclater la bagarre sur le bateau. À présent, les souvenirs de la jeune fille étaient complets. 

Aussitôt, Emma se laissa tomber dans ce sable et se mit à pleurer au grand étonnement des hommes autour de lui. Douglas la suppliait de se lever, mais c’était à peine si elle l’entendait. Elle était abattue, désorientée et pleine de remords. Les larmes ne tardèrent pas à diriger son visage triste. Pour Emma, c’était à cause d’elle que ses parents étaient morts.

— Quoi ? Elle pleure ? Non, mais tu ne vas presque rien sentir… dit le jeune homme d’un air toujours amusé et décontracté. 

Doug savait qu’il n’avait aucune chance de battre ces quatre gaillards. Il ne pouvait pas non plus fuir, car le jeune homme devant lui tenait un revolver et pouvait donc tirer sur lui à tout moment. D’un geste rapide, il fit tourner le javelot à toute vitesse avant de le laisser s’écraser sur la main droite du jeune bandit. Ce dernier, n’ayant pas le choix compte tenu de la douleur, laissait s’échapper l’arme. Douglas se rua sur cette dernière et s’en empara fermement. À présent, dans une main, il avait son javelot, et dans l’autre, il tenait l’arme à feu. Il vérifia rapidement le barillet : cinq balles. Il était prêt à tirer sur ces jeunes comme sur des lapins.

— Eh, papi ? Qu’est-ce que tu vas faire ? demanda le jeune homme qui se tenait derrière celui qui « voulait se faire » Emma.

— Lève-toi, Emma, et tiens ce javelot, dit Doug en lançant l’arme à la jeune fille qui se leva péniblement pour la ramasser sur le sable. (Silence.) Vous voulez que je vous raconte une histoire ?

— Quoi ? demanda l’un des jeunes.

Le « papi » tira sur le thorax de chacun des quatre jeunes qui s’effondrèrent sur le sable mouillé. Ils ne bougeaient plus.

— Oh mon Dieu ! cria la jeune fille.

— Ils n’ont pas l’air de vouloir écouter mon histoire, rit Doug. (Silence.) C’est bon, c’est fini, assura Douglas. Allons-nous-en. Les oiseaux vont s’occuper du reste.

Emma, sur le chemin du retour, remercia Douglas de l’avoir protégée. Elle lui raconta également le bout de souvenirs qui lui était venu à l’esprit à son « protecteur ». Elle lui raconta également combien de fois elle s’en voulait de la mort de ses parents, car pour elle, tout était de sa faute. La jeune fille était triste, plus triste que jamais. Durant ces quelques semaines qu’elle avait passé sur cette île, elle avait entretenu l’espoir de revoir ses parents. Mais à présent, cet espoir avait disparu, laissant place à un vide, un grand vide et un sentiment de tristesse à l’idée de ne plus jamais revoir ses parents.

— Rien de tout cela n’est de ta faute, jeune fille. Les choses arrivent pour une raison et tu dois continuer à avancer malgré tout. Cette île et moi serons dans les prochains jours ta famille. Il faut que tu te ressaisisses et que tu te battes pour t’en sortir. Je sais que ça va être dur. Je ne peux pas réellement dire que je sais ce que tu ressens, mais tout ce que je sais, c’est que tu dois être forte et aller de l’avant, conclut Doug.

— Comment aller de l’avant après avoir perdu tout le reste de sa famille ? Comment va-t-on de l’avant avec un tel sentiment de vide ?

— Je n’ai plus de famille depuis des années ; et j’ai appris une chose : c’est que le temps guérit beaucoup de souffrances, même la perte d’êtres chers à nos yeux. Rentrons. J’espère que nous aurons la paix, désormais.

*

Trois semaines après, la nuit était sur le point de tomber. Le froid devenait de plus en plus intense, sauf que Doug n’avait plus de bois pour faire le feu. Il décida donc de se promener dans la forêt afin de s’en procurer. Doug, sentant Emma de plus en plus triste depuis qu’elle avait compris ce qui était arrivé à ses parents, se disait qu’une petite virée en forêt ferait du bien à la jeune fille. Il se mit donc à la chercher, mais en vain. Elle n’était ni dans la cabane, ni dans le petit jardin, ni dans l’enclos à lapins. Elle ne se trouvait ni sur la plage, ni au grand rocher. Le seul endroit qu’il restait était la falaise, l’endroit le plus haut d’où l’on pouvait apercevoir toute l’île. Doug se rendit là-bas à toute vitesse et vit au bord de la falaise l’adolescente qui était sur le point de se jeter dans le vide.

— Emma ! Qu’est-ce que tu fais ? s’écria Doug d’un air paniqué.

— Tout ceci n’a plus de sens, répondit Emma en faisant un pas vers l’avant.

— Quoi ? Qu’est-ce qui n’a plus de sens ? Explique-moi ce qui se passe. Mais d’abord, fais un pas en arrière s’il te plaît, demanda Douglas. 

Après quelques secondes, Emma ne fit rien. Doug reprit la parole.

— Je sais que la mort de tes parents t’affecte. Je sais que cela te détruit, mais te tuer n’est pas une solution. Fais un pas en arrière, s’il te plaît, Emma. Je t’en supplie, Emma ! implora Douglas.

— Non, je ne peux pas. Je suis si près du but. Si près de me sentir enfin libre et d’être avec les gens que j’aime.

— Penses-tu réellement que c’est le meilleur choix à faire ? Penses-tu que tes parents seraient fiers de cela ? Penses-tu que c’est ce qu’ils veulent de là-haut ? interrogea Doug en faisant discrètement quelques pas vers Emma.

— Ils ne veulent rien actuellement, car ils sont morts. Les morts ne veulent rien. Ils ne ressentent rien et c’est ce que je veux. Ne plus ressentir ce mal-être, ne plus ressentir ce chagrin et ne plus me souvenir de rien.

— Et que fais-tu de ce merveilleux endroit si calme ? Je sais que tu vas pouvoir te reconstruire. Je sais que tu peux rebondir et vaincre tout ceci. Je le sais parce que je suis là pour t’aider et t’accompagner. Tu es la petite sœur que j’ai toujours voulu avoir. Je vais t’aider et ensemble nous allons nous en sortir. Qu’est-ce que tu en penses ? demanda Douglas en s’avançant toujours la main en avant, espérant vivement qu’Emma y pose la sienne. 

La jeune fille finit par se laisser convaincre. Elle décida d’abandonner cette idée de se jeter dans le vide. Douglas venait de sauver la petite fille d’elle-même et, à présent, ils pouvaient se mettre à chercher du bois sec pour le feu du soir.

Alors que les deux marchèrent dans la forêt, Douglas sentit un bruit étrange, comme si quelqu’un ou quelque chose les suivait. Ce genre de bruit était courant dans cette forêt. Il pouvait s’agir d’un oiseau ou d’un lapin, mais cette fois-ci, l’homme avait un mauvais pressentiment. Le bruit disparut et emporta avec lui ce mauvais pressentiment. Quelques secondes plus tard, le bruit revint.

— Je sens qu’on nous suit, dit Doug discrètement à Emma qui s’accrocha à la main de son protecteur.

— Quoi ?

Doug se retourna pour voir ce qui se passait quand, aussitôt, il reçut une flèche qui lui traversa l’épaule. Il s’écroula immédiatement sur le sol, le regard fixant le ciel caché par les feuillages des arbres. Emma se jeta au chevet de Doug, tentant de retirer la flèche, mais ce dernier le lui interdit fermement. Il lui ordonna de s’enfuir et de se cacher. Emma n’avait pas l’intention de l’abandonner, surtout après tout ce qu’il avait fait pour elle durant ces derniers mois, sauf qu’à un moment, elle allait comprendre qu’elle n’avait plus le choix.

— Cours, murmura Douglas à Emma.

Doug cassa la pointe de la flèche de son autre bras et la retira d’un coup sec, hurlant de douleur. La jeune fille se mit à courir en pleurant, brouillant sa vision, ne sachant pas où aller. Elle courait, sautait, tombait, se relevait puis courait encore de plus belle pour sauver sa vie. Elle avait surtout peur pour son protecteur, alors elle se dirigea dans la cabane.

Le tireur s’avança, l’arc à la main, prenant une deuxième flèche dans son carquois artisanal.

— Tu es revenu pour... écouter mon histoire ? ricana Doug.

Le type se mit à rire également avant de lui répondre :

— Ta petite protégée, elle ne fait que courir dans le vide. Crois-moi. Je lui ferai sa fête, mais pour le moment, c’est moi qui vais te faire ta fête. Tu croyais vraiment que...

Un coup de feu retentit. Le type s’effondra en hurlant de douleur, tandis que Doug se saisit de l’occasion pour prendre la pointe de la flèche par le bout de bois à l’extrémité et l’enfoncer dans le crâne du vaurien. Il se tut aussitôt.

Douglas souffla après un instant, laissant à nouveau place au silence nocturne.

— Wow. Eh bien… Merci... Emma... murmura-t-il, à nouveau couché sur le dos.

— J’ai eu si peur pour toi ! dit-elle en s’agenouillant, pleurant sur l’épaule blessée de son sauveur.

— Je vais bien. Je vais bien. (Silence.) Nous allons bien... Retournons... dans la cabane... soigner ma blessure...

— Tiens-toi à moi !

— Attends. Fouille-le, il a peut-être d’autres flèches ; prends son carquois et son arc… Ça nous sera utile…

Emma se précipita avec dégoût sur celui qui allait les tuer et lui prit ses affaires avant de revenir vers Doug et l’aider à marcher jusqu’au campement. Une fois à l’intérieur, la jeunette pansa sa plaie avec ce qu’elle put et était aux petits soins pour lui.

— Maintenant, c’est juste toi et moi… sourit Doug.

— Oui. Toi... et moi... lui répondit-elle d’une voix douce.