Un braquage de routine

10 août 2021

Le paysage presque désertique du Dakota du Sud laissait souvent perplexes ceux qui vivaient dans cette partie des États-Unis. C’était l’un des endroits les plus perdus de cet immense pays. Presque personne n’y vivait. Qui acceptait volontiers de vivre dans cette zone désertée quand il y avait d’autres perspectives en Californie, en Floride, en Pennsylvanie ou encore au Texas ?

Sur une longue voie abandonnée, une voiture roulait à vitesse moyenne. Il s’agissait d’une Chevrolet Camaro, une vieille guimbarde de couleur rouge. Elle filait, soulevant derrière elle du vent et de la poussière. Au volant de cette bagnole, deux Latinos : Antonio et Carlos.

Carlos, un Colombien de vingt-neuf ans, conduisait la bagnole. C’était un gars assez calme et réservé qui ne bavardait que quand c’était nécessaire. Sur le coup, il était habillé dans des survêtements – tel un sportif – et conduisait la guimbarde américaine.

À côté de lui se tenait Antonio ; ou Antonio la pipelette. C’était un Hispano-Italien qui était tout le contraire de Carlos, et seul Dieu pouvait savoir ce que l’un trouvait à l’autre. Antonio était un moulin à paroles : il parlait de tout et de n’importe quoi. Il était très excentrique et avait un véritable don pour l’humour noir. Un de ses points forts était son style vestimentaire. Bien que la plupart jugeait son style vestimentaire assez folklorique, il savait quand même choisir ses fringues qui le distinguaient des autres. Néanmoins, ce qui allait certainement le tuer était la combinaison de cigarettes et de cocaïne.

— N’en prends pas trop, insista Carlos.

— Ouais, t’inquiète ; je gère. Roule, hombre.

Dans cette voiture qui filait vers une destination enfouie dans le désert se trouvait deux hommes totalement fauchés. Ils avaient absolument besoin d’argent pour survivre. La vie était devenue si dure que même des hommes dans le genre d’Antonio et de Carlos n’avaient plus un rond sur eux. Il fallait donc se renflouer les poches et même envisager l’option de quitter cet État pour une ville beaucoup plus vivante… et beaucoup plus riche.

— Eh amigo, tu penses que cela peut marcher ? demanda Antonio qui, depuis le début du trajet, avait déjà brûlé deux cigarettes.

— Oui, je pense que ça peut marcher, mais je reste quand même un peu réticent sur ce coup. Quelque chose ne me plaît pas, finit par dire Carlos qui avait les yeux rivés sur la route.

— Quoi ? Tu ne vas quand même pas te dégonfler maintenant, mon ami. Nous allons, nous entrons, nous prenons ce que nous voulons, puis nous nous tirons de là vite fait. Ni vu ni connu ; incognito, comme on l’a toujours fait, mon gars. Ce sera juste un braquage de routine. On a déjà la main, de quoi as-tu peur ? Même des petits qui n’atteignent pas notre calibre font ce genre de braquage presque tous les jours.

— Qui t’a dit cela ? demanda Carlos qui jeta un coup d’œil rapide sur son ami assis dans le siège passager.

Ce dernier se mit à rire de toutes ses forces.

— Mon gars, alors laisse-moi te raconter une petite histoire. Dans mon quartier, il y avait un jeune garçon du nom de Mario. Il a braqué une grande épicerie de la ville avec un sweatshirt à capuche et un pistolet à eau ; un pistolet à eau, je te dis ! Jusqu’aujourd’hui, personne n’a pu l’arrêter pour ce vol. Mais nous deux sommes bien au-dessus de ce gars… et nous allons y arriver. D’ailleurs, tu penses que nous avons le choix ? Tu as combien dans ta poche ? finit par demander Antonio à son ami.

— Je ne sais pas, presque quatre dollars, répondit Carlos

— Quatre malheureux dollars américains, mon ami. Moi, je n’ai rien, strictement rien dans ma poche à part ma petite dose de coke, mon paquet de cigarettes et deux briquets. Je n’ai rien et je n’ai pas envie de crever dans ce trou paumé au milieu de nulle part sans aucun sou. Tu peux me comprendre, bordel ? s’écria Antonio qui venait de hausser un peu la voix.

— Bon, ça va. Tu n’as pas besoin de crier. Nous allons le faire. Ensuite, nous nous tirerons de cette zone, conclut Carlos.

— Oh, ça oui !

La voiture roulait à une vitesse modérée. Sans aucun autre véhicule ni feu de signalisation, c’était le bonheur total pour Carlos de rouler sans aucune restriction. Il mettait les gaz à fond, ce qui n’avait pas vraiment l’air de déranger son compagnon qui était habitué à ce genre de situation. Antonio profitait de l’ambiance Fast and Furious pour sortir sa coke. Il versa une bonne dose sur le tableau de bord et tenta de la sniffer. Malheureusement, la vitesse de la voiture ne lui permettait pas de tout ingurgiter. Une petite quantité s’était versée sur la moquette du véhicule. Ce n’était donc que partie remise.

Après quelques minutes en voiture, ils arrivèrent à la station-service. Elle était ouverte tous les jours, mais très peu de personnes s’y rendaient. En voulant faire ce braquage, Antonio et Carlos ne s’attendaient pas vraiment à amasser une grosse fortune, mais juste de quoi tenir pour les prochaines heures. Avec un peu de chance, ils allaient ramasser quarante à deux cents dollars en liquide et prendre un peu de bouffe en conserve afin de se remplir l’estomac de retour sur la route.

Carlos gara la Camaro tel un client normal qui voulait juste prendre de l’essence.

— Eh ! Tu as ton arme ? demanda Antonio qui venait à nouveau de sortir sa coke afin d’en prendre une bonne dose.

— Tu sais très bien que je n’aime pas les flingues. Je ne suis pas un tueur.

— En tout cas, il t’arrivera rien avec ton gilet pare-balles.

— Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— OK, écoute-moi, hombre. Nous allons entrer dans l’épicerie. Tu vas repérer les choses que nous pouvons prendre ; comme tu n’as pas d’arme. Je vais dissuader le caissier avec mon revolver afin de lui prendre quelques billets. Dès que tu sens que je prends mon ton menaçant, tu commences par ramasser tout ce qui pourrait nous être utile dans les prochaines heures. Tu vois ce que je veux dire ? demanda Antonio pour être sûr que son interlocuteur le comprenait.

— Oui, je comprends, répondit Carlos qui avait l’air un peu effrayé par ce qui allait se passer.

— Ne me dis pas que tu as peur. Nous avons déjà fait ce genre ce coup ensemble, mon ami. Je ne vois pas pourquoi tu dois avoir peur. Il n’y a personne autour, donc cela va se passer très vite et nous allons reprendre notre chemin, rassura Antonio. Et n’oublie pas : on n’abandonne personne. On est ensemble. Tu es mon ombre.

— D’accord. OK. Très bien.

— Tu prends donc tout ce que tu peux. Moi, je prends les billets, puis on se rejoint dans la voiture. Tu démarres et on dira « gracias y ¡hasta la vista! » !

Le plan était donc tout tracé et il fallait simplement le suivre à la lettre en espérant qu’aucun contretemps n’allait perturber le cours des événements.

Antonio sortit du véhicule, chargea son arme et le planqua discrètement dans l’arrière de son pantalon. Après quelques secondes, le Colombien sortit du véhicule. Il plaça la pompe à essence dans le véhicule et fit mine d’être un client ordinaire. Pendant ce temps, Antonio le regardait depuis l’autre côté du véhicule. Il attendait simplement son signe afin qu’ils puissent entrer tous les deux dans l’épicerie.

Le réservoir était à présent plein.

*

Les deux amis se dirigèrent à présent vers l’épicerie où ils allaient perpétrer leur braquage de routine. Les deux amis marchèrent l’un près de l’autre. Carlos avait des pas très assurés, mais de l’autre côté, son ami sentait déjà les effets des diverses drogues qu’il avait prises jusqu’à présent. Il titubait un peu, mais arrivait quand même à se ressaisir et à avoir l’air normal.

Carlos ouvrit la porte à son ami Antonio qui entra en premier. Dès qu’ils entrèrent dans cette épicerie, ils ne pouvaient s’empêcher de rester figés au seuil de cette porte pour analyser l’endroit.

Il y avait déjà cette musique de merde qui puait les années quatre-vingt, cette musique dont l’instrument principal était une trompette avec un artiste qui chantait l’amour.

— Tony, Tony, chuchota Carlos à son ami en sentant ses doigts, ça pue la merde !

— Quoi ?

— La musique, là. Je la sens pas !

« Ah, station to station, coast to coast,

Well, you can hear all his records on the radio. »

— Oh, calme-toi l’ami. Tout va bien se passer, c’est moi qui te le dis, répondit Antonio qui fit l’effort de parler à voix basse.

De loin, le caissier les regardait d’un air méfiant. Ce dernier n’avait pas l’air vraiment souriant et on pouvait le comprendre. Il avait l’allure d’une personne qui travaillait dix-huit heures par jour dans une entreprise qui le payait une somme ridicule tous les mois. Ce n’était donc pas un accueil cinq étoiles comme celui des hôtels de luxe à Pierre, la capitale de l’État.

— Ça sent la poisse, mec ! insista Carlos.

— Bon, tu vas choisir des trucs à acheter ou je m’y colle ? chuchota Antonio.

Le plan pouvait à présent être mis en exécution et chacun savait ce qu’il devait faire. Carlos se dirigea vers les rayons de l’épicerie comme convenu. De son côté, Antonio ne se dirigea pas de suite vers le pompiste. Il prit le temps de regarder quelques articles de mode qui lui tapaient à l’œil. D’un air décontracté, il enfila même une paire de lunettes de soleil et trouvait que cela ne lui allait pas vraiment.

— Vous n’avez rien de mieux que ces lunettes moches ? Qui a bien pu créer de telles lunettes ? demanda ironiquement Antonio au caissier qui visiblement n’avait toujours pas l’air amusé.

De l’autre côté, Carlos exécutait à la perfection sa partie du plan. Il avait déjà repéré quelques chips, packs de bières et autres qu’il pourrait emporter vite fait si son ami commençait par menacer le caissier.

Le pompiste, de son côté, observait les deux hommes depuis quelques minutes. Il attendait juste qu’ils choisissent ce qu’ils voulaient, viennent payer et foutent le camp de son magasin.

Carlos observait la scène de loin et continuait de mettre des provisions dans son sac de sport quand, soudainement, Antonio sortit son arme, un Smith & Wesson 43c, modèle courant chez les braqueurs. Antonio commença donc par menacer le caissier avec une arme qu’il n’arrivait presque plus à tenir.

— Vide-moi la caisse, mon gars, menaça Antonio devant le regard anxieux et totalement angoissé du pompiste qui ne s’attendait pas à un tel scénario.

— Attendez, attendez, commença par dire le type tout affolé.

— Plus vite, mon garçon. Plus vite, si tu ne veux pas que je te colle une bastos entre les deux yeux !

De son côté, et bien que les choses se déroulaient comme prévu, Carlos sentait toujours que quelque chose clochait. Il fit donc quelques pas pour se rapprocher de son ami qui allait perdre d’une minute à l’autre son sang-froid et faire quelque chose qu’ils allaient tous regretter.

*

Dans ses menaces – et ayant les mains tremblantes à cause de la cocaïne –, Antonio fit tomber par mégarde son arme sur le comptoir. Le gérant ne se fit pas prier pour ramasser rapidement l’arme à feu ; plus rapidement qu’Antonio. Le caissier était à présent en position de force en pointant l’arme sur son propriétaire.

— Les… Les mains en l’air ! Je veux voir v-vos mains en l’air, hurla nerveusement le pompiste qui, visiblement, n’avait jamais utilisé une arme à feu de sa vie.

— Tu ne vas quand même pas tirer sur moi, hein ? supplia Antonio qui leva les mains afin de les mettre bien en évidence.

— Je ne vais pas hésiter ! Rappelle ton ami, dit le caissier qui vit Carlos s’avancer les mains également en évidence.

Carlos regretta à ce moment le fait de ne pas avoir une arme sur lui. Il n’avait pas vraiment eu le temps de comprendre ce qui se passait quand un coup de feu retentit.

Le caissier venait de tirer une balle qui se logea entre les deux yeux d’Antonio ; il tomba raide mort.

Dans un excès de rage, le caissier se mit à tirer dans tous les sens, vidant le chargeur de l’arme qu’il tenait entre les mains, mais il ne restait que deux balles et aucune n’atteignit Carlos. Dans le visage du Colombien, il y avait de la fureur. Il fit le tour du comptoir, saisit le pompiste par le col de son tee-shirt de service et se mit à le rouer de coups.

L’homme calme venait de perdre le contrôle et rien ni personne ne pouvait l’arrêter. Le caissier ne pouvait se défendre à son âge. Il subissait juste les nombreux coups de poing violents que lui assénait son adversaire. Finalement, le gérant de l’essencerie ne réagissait plus et resta inerte.

Carlos — en pleurs — revint près du corps sans vie de son ami. Il ne savait pas quoi faire. Plusieurs questions lui traversaient l’esprit, mais il ne savait vraiment pas quoi faire. Devait-il laisser le cadavre de son acolyte dans cette épicerie de merde ou devait-il l’emmener avec lui dans la vieille Camaro ?

Finalement, il décida de s’en aller, car le corps d’Antonio allait le ralentir. Il fit le tour du comptoir à nouveau, enjamba le pompiste toujours inconscient, puis fouilla la caisse-enregistreuse. Il y avait quelques billets : cent vingt dollars. Sur le coup, c’était mieux que rien. Il se saisit de l’argent et voulut sortir de l’épicerie quand il entendit un bruit qui le figea sur place : les sirènes des voitures de police. Le pompiste avait dû appuyer sur un bouton sous son comptoir pour les rameuter.

— Oh, la mierda…

À travers la baie vitrée, Carlos pouvait voir qu’il n’avait pas suffisamment de temps pour quitter l’épicerie afin de rejoindre la bagnole. Il n’avait donc pas d’autres solutions que de se barricader dans cet endroit merdique en attendant de trouver une autre solution ; ou du moins, une échappatoire.

Le Colombien se souvint, après quelques secondes de réflexion, que la plupart des caissiers avaient une arme sous le comptoir ; la plupart du temps. Ce fut le cas : il s’agissait d’un fusil à pompe Remington 870 avec une capacité de 4 coups. Il y avait aussi un carton avec des cartouches.

*

Pendant ce temps, la police se mettait en position tactique derrière leurs véhicules et demandait aux braqueurs de sortir les mains en l’air.

— Police ! Rendez-vous ! Sortez doucement et les mains bien en évidence ! Vous êtes encerclés et vous n’avez plus aucune issue ! proclama un homme dans un haut-parleur.

Carlos venait à cet instant de comprendre qu’il était dans de sérieux problèmes. Se rendre et aller en prison n’était pas une option pour lui, car il venait d’en sortir il y a quelques mois. Le Colombien resta donc figé derrière le comptoir ; puis il finit par récupérer le fusil à pompe.

Les policiers, au-dehors, reprenaient sans cesse la même phrase, donnant l’ordre à Carlos de sortir de cette épicerie les mains en l’air. Le jeune homme était déterminé à y rester afin de livrer bataille ; ne serait-ce que pour rendre justice à son acolyte. Il n’avait plus rien à perdre. Il venait déjà de perdre son meilleur ami, il n’avait même pas deux cents dollars, et il n’avait pas vraiment d’autres perspectives que de retourner en prison…

Après avoir récupéré l’arme, il inspecta à nouveau le carton dans lequel se trouvaient quelques cartouches. Cela le réconfortait, car il avait de quoi livrer bataille. Il rechargea son arme en y insérant 4 cartouches ; sa capacité maximale. Il en mit également plein dans ses poches, même les poches arrière. Carlos vit à terre l’arme de son acolyte qui, quelques minutes plus tôt, se trouvait dans les mains du caissier. Sans réellement savoir pourquoi, Carlos ramassa l’arme et le mit sous la ceinture de son pantalon.

À l’allure où les choses se déroulaient, il n’allait pas s’agir d’une discussion pacifique entre la police et un braqueur. Les policiers n’allaient pas appeler un négociateur, puisqu’ils pouvaient clairement voir que Carlos était le seul à bouger dans l’épicerie. Le Colombien n’avait donc pas d’otage et n’avait donc rien à offrir à la police.

Du côté de la flicaille, elle ne pouvait pas entrer de force, car elle ne savait pas quelles étaient les armes dont disposait le braqueur. Une balle de chevrotine que possédait Carlos dans son arsenal faisait d’énormes dégâts. En effet, une seule cartouche de chevrotine de calibre 28 contenait vingt-huit projectiles qui se projetaient, pouvant atteindre une cible immense. À portée réduite, ce fusil avec un tel calibre était d’une puissance infernale.

Finalement, Carlos tira une balle à travers la vitrine en restant planqué sous la fenêtre. Les projectiles éclatèrent la tôle, les fenêtres, et les pneus de deux voitures, et trois balles traversèrent la jambe d’un policier.

— Homme à terre ! À couvert !

À cet instant, tous les policiers sur le terrain sortirent leurs armes et se mirent en position de tirer derrière leurs bagnoles. Carlos savait que la police allait répliquer à son tir et que, d’une seconde à l’autre, les choses allaient dégénérer… mais rien ne se passa.

— Mais qu’est-ce qu’ils foutent ? (Silence.) Si ce fumier d’Antonio était là, nous aurions pu couvrir plus de zones et éloigner ces fils de putes ! Moi, seul, je ne pourrai pas… mais je vais tenir jusqu’à mon dernier souffle ! Il est hors de question d’aller croupir en taule ! grogna le Latino en tirant une nouvelle fois par la fenêtre avant de recharger deux balles dans son fusil 4 coups.

Cette fois-ci, les projectiles atteignirent à nouveau les bagnoles, alors la police se mit à répliquer avec une première rafale de tirs en direction de l’épicerie. Bien qu’il soit caché, une des balles effleura le jeune homme.

— Ah, ¡hijos de puta! Ils ont failli m’avoir, ces bâtards ! s’emporta-t-il en se repositionnant mieux derrière un des rayons de l’épicerie.

La police arrêta les tirs. C’était à présent au tour de Carlos de tirer pour que l’échange de tirs prenne réellement un sens. Carlos ne se fit pas prier. Il épaula son fusil, sortit de sa cachette pour mieux viser et tira successivement quatre balles qui éclatèrent les pare-brises et la tôle, sans faire de victimes, cette fois-ci. Il rechargea son arme et n’eut pas le temps de se cacher à nouveau que la police fit pleuvoir un déluge de balles en direction de l’épicerie. Cette fois-ci, Carlos eut moins de chance. Il fut touché au niveau du torse et trébucha, un genou fléchi, poing au sol.

La flicaille continuait toujours de tirer pour débusquer le braqueur, mais ce dernier — à terre — évitait presque toutes les balles qui venaient dans sa direction. Les rayons du supermarché étaient saccagés et la majorité des emballages, conserves et bouteilles furent totalement endommagés.

Carlos revint à lui, tira son tee-shirt légèrement vers le haut. Il comprit que son gilet pare-balles venait de lui sauver la vie. Si cet objet était vivant, il l’aurait certainement serré fort dans ses bras. Le gilet l’avait protégé, certes, mais il ressentait toujours la douleur et la chaleur de l’impact d’une balle. Il zieuta la police au travers d’une des vitres de cette épicerie et profita de ce temps de répit pour se ranger derrière un des rayons afin de se mettre à l’abri. En un instant, Carlos regretta encore plus amèrement le départ d’Antonio.

— Il n’avait qu’à ne pas se droguer ce hijo de perra, pour une fois, et nous serions deux faces à ces fumiers ou même peut-être que nous nous serions déjà tirés de cet endroit de merde. Il a fallu qu’il sniffe sa putain de coke ! Je lui ai toujours dit que c’était la drogue qui allait le tuer un jour et… merde, j’aurais préféré avoir tort…

Carlos jeta un coup d’œil dehors et vit les policiers toujours statiques. Il continua alors son monologue :

— Il n’a pas toujours été un drogué, ce con. À une époque, nous étions clean, tels des saints, mais les choses ont dégénéré dans notre quartier. Même les enfants pouvaient avoir de la came entre les mains. Il suffisait d’en demander à un aîné drogué ou de se rendre à un coin de rue. Oh, ces trafiquants nous ont pourri l’adolescence. C’est vrai que nous avons également trempé dans ces choses, mais ce n’est pas de notre faute. Disons même que notre chemin était tout tracé, mon vieux, disait Carlos comme s’il s’adressait à son défunt ami dont le corps se trouvait près du comptoir du caissier.

Subitement, Carlos fut interrompu par le bruit du haut-parleur de la police :

— Si vous ne vous rendez pas, nous allons utiliser d’autres moyens et nous pouvons vous assurer que ce ne sera pas beau à voir.

— Beau à voir ? Mon cul. Comme si tout ce qui se passait jusqu’à présent était beau à voir, murmura-t-il. Pour conclure sa phrase, il tira de nouveau une balle dans le tas avant de recharger son fusil. Les policiers, visiblement, étaient des inexpérimentés qui attendaient que Carlos tire avant de répliquer.

— Mon pote, oui, je te parlais, reprit Carlos interrompu dans son monologue. Dans le temps, quand nous étions ados, la drogue était une marque de respect. Si tu savais fumer, cela montrait que tu étais un dur à cuir. Tu te souviens d’Oncle Gab, celui qui nous a filé notre toute première dose ? Paix à son âme ; mais ce type était un vrai fumier. Je me souviens de ce jour où il t’a fait faire un concours de crack débile. Heureusement que tu n’avais pas toussé, rit Carlos. J’y avais participé. Il m’a mis en face de ce petit dont je ne me rappelle plus le nom. Nous avons tiré notre première bouffée de crack et je ne pouvais m’empêcher de tousser, tellement c’était plus fort que moi. Je crois même que ce petit avait l’habitude de fumer, sinon il n’aurait pas pu tenir. Oh… Le bon vieux temps. Malheureusement, tu n’es plus là pour qu’on puisse se remémorer tous ces bons vieux souvenirs. Mais bon, avec mes balles et ce fusil de merde, je vais défendre notre honneur et éloigner les flics d’ici. Crois-moi, mon gars. On se l’est toujours dit : « On n’abandonne personne ! »

*

À ce moment, aucune des deux parties ne tirait. Ni la police, ni Carlos. Il voulut profiter de ce moment de paix afin d’aller au comptoir. Il se faufila entre les rayons, rampant tel un soldat, afin de ne pas se faire voir. La police, de son côté, préparait un assaut qui allait leur permettre d’entrer dans cette épicerie afin de mettre un terme à cette histoire.

— Nous allons entrer ! s’écria la voix dans le haut-parleur. Vous devez vous rendre parce que vous n’avez pas d’autres choix. Rendez-vous et nous allons vous promettre de glisser un mot au procureur.

Pendant ce temps, Carlos avait réussi à atteindre le comptoir après avoir dépassé le cadavre de son ami Antonio. Il vit à ce moment le caissier allongé. Il était mort après avoir reçu des balles dans le dos. C’étaient les tirs des policiers qui eurent raison de lui en franchissant le mur. Une idée désespérée traversa l'esprit de Carlos. S'activant avec une nouvelle détermination, il traîna le corps flasque du pompiste jusqu'à une chaise voisine. Il le hissa dessus, puis trouva rapidement un bout de corde pour l'assujettir au dossier. Le plus dur restait à faire : masquer la mort. Repérant un sac plastique ordinaire près de la caisse, il le tira sur la tête du cadavre, dissimulant le visage livide. Enfin, il fit pivoter et glisser la chaise et son occupant macabre jusque devant la grande vitrine, bien en vue de l'extérieur.

— J’ai un otage, j’ai un otage ! s’écria-t-il. Si vous tentez d’entrer, je le bute !

— Arrêtez tout, il a un otage ! cria un policier qui, visiblement, était celui qui donnait l’ordre et parlait dans le haut-parleur. Que voulez-vous en échange ? finit-il par demander.

Pendant ce temps, Carlos devait jouer le jeu, car la police était dupée par son faux otage. Il n’y avait pas assez de lumière, les flics ne voyaient pas la supercherie. Ils pensaient que l’otage était inconscient. Cela avait un effet dissuasif.

— Laissez-moi du temps, cria-t-il. N’entrez pas et cet homme sera relâché ; sinon, je le bute !

La police n’osait pas entrer et ne tirait plus en direction de l’épicerie. Cela offrait donc un moment de répit à Carlos qui s’assit derrière un étalage près de son pote. À défaut de trouver un plan ingénieux, il se remit à penser à tout ce qu’il avait vécu avec lui.

— Antonio, mon pote, tu te souviens de notre première grosse mission ? Ce jour où j’avais reçu une balle. Je pissais du sang sur ce pont en bois. C’était ma première balle, et même si c’était au bras, j’avais cru que j’allais y rester. J’avais tellement peur, car si je mourais, qui allait s’occuper de ma mère et de mes frères ? disait Carlos en riant.

Les deux parties étaient au point mort. La police analysait les choses et Carlos était assis dans cette épicerie à parler tout seul. Une dizaine de minutes passèrent sans accroc. Le plan de Carlos fonctionnait et la police n’y avait vu que du feu. Le seul problème était que ce plan n’était pas suffisamment solide pour durer éternellement.

Sans prévenir, l’un des policiers tira une balle qui finit sa course dans la porte de l’épicerie. Carlos, pris de peur et ne sachant pas quoi faire, se leva et se précipita vers le corps du caissier. De toutes ses forces, il réussit de nouveau à le faire tenir sur pieds pour continuer son leurre. Cependant, il y eut un couac : un des agents de police venait de voir le pot-au-rose. C’était du bluff ; c’était évident, maintenant. Cet agent alerta son chef.

— Vous ne tenez aucun otage ! cria le policier dans le haut-parleur. Il est mort ! Nous vous donnons trente minutes pour vous rendre. Si vous n’obtempérez pas, nous serons obligés d’entrer de force !

Se sentant découvert et sans d’autres solutions, il balança le corps du caissier qui s’affala sur le côté. Il prit ensuite le fusil posé près de lui et commença par tirer en direction des policiers. Une, deux, trois et quatre balles furent tirées coup sur coup. Cette attaque-surprise, après de longues minutes de silence, surprit les agents qui ne s’attendaient pas à cette offensive qui fit d’énormes dégâts sur les véhicules ; mais aucun blessé.

Carlos avait une réserve de munitions quasiment illimitée, il pouvait se le permettre. Quelques secondes après les tirs du braqueur, les policiers se mirent à tirer vers l’épicerie. Carlos se baissa et, une fois encore, fut effleuré par deux-trois balles. Le jeune homme leva un peu les yeux pour voir un des rayons se trouvant près de lui. C’était donc là qu’il vit une friandise avec un sachet bleu et jaune. Il fut inondé d’émotions, car cette friandise symbolisait en quelque sorte son enfance…

— Qu’est-ce que je suis devenu, bon sang. Là, je braque une épicerie pour manger et je me fais tirer dessus par des flics, alors qu’il y a quelques années, je voulais aussi devenir un flic pour aider les gens.

Carlos rechargea son fusil de quatre cartouches, puis continua :

— Les choses ont bien changé ; je me demande même pourquoi. Je me souviens que, dans mon enfance, nos parents nous aimaient de tout leur cœur. Mon père venait chercher mes deux frères et moi à l’école afin que l’on n’aille pas jouer avec d’autres enfants qu’il traitait de « peu recommandables ». Dès que nous rentrions, maman avait déjà préparé le déjeuner et on mangeait à notre faim. Je ne me souviens pas avoir passé une seule journée le ventre vide grâce à mes parents. Paix à leur âme. Les fois où je dormais le ventre vide, c’était les fois où je voulais bouder. Maman me suppliait de venir manger, mais je refusais. Je ne pouvais pas accepter, car ma fierté allait prendre un coup, soupira Carlos en riant. À l’école, j’étais le roi de ma classe. Je n’étais pas le roi parce que je me sapais bien ou que j’étais le plus fort, mais parce que j’étais le plus doué parmi les élèves. Aucune matière scolaire ne pouvait me résister. La littérature, j’étais également fort dans cela. Dire que certains pensent que ceux qui sont doués en science ne foutent rien en littérature, s’étonnait Carlos avant de se faire interrompre pas le haut-parleur de la police.

— Nous vous laissons encore vingt-cinq minutes pour sortir.

— Mon œil, murmura Carlos. Où en étais-je ? (Silence.) Ah, mon enfance. Voilà, mademoiselle Gina était ma professeure de mathématiques. Je crois même que c’était la seule femme qui m’avait gardé dans cette matière. À chaque fois, quand j’avais la plus forte note de la classe, elle me donnait une de ces friandises et je débordais de joie. Quand elle m’en donnait une, je devais venir à la maison et la montrer à ma maman avant de la manger. Quand je présentais donc cette friandise à maman, elle savait que je venais encore de foutre la honte à tous les autres élèves et que j’avais encore eu la meilleure note de la classe. Elle était si fière de moi et de mes efforts ! Putain, cette époque… Le jour de son enterrement, je n’ai même pas pu lui dire au revoir, car à ce moment, j’étais déjà l’indésirable de ma famille. Plus personne ne voulait me parler et plus personne ne voulait me voir. J’aurais tellement aimé lui dire « merci pour tout » et j’aurais tellement aimé lui dire combien je l’aimais. Je sais que je l’ai déçue, mais je crois que quelque part dans son cœur, elle se souvenait de moi comme un bon garçon, elle se souvenait du petit garçon sage et travailleur que j’étais.

À ce moment, une statuette religieuse vendue dans l’épicerie tomba sur le sol, près de Carlos. Cela ne manquait pas de réveiller des souvenirs dans l’esprit du jeune homme. Carlos avait été durant de longues années un fervent croyant. Ses parents l’avaient élevé dans la foi et il y croyait jusqu’à une certaine période. Le matin, avant d’aller à l’école, avant de manger, avant de dormir ou avant de faire n’importe quelle activité importante, Carlos avait pris l’habitude de prier. Depuis quelques années, il avait rompu avec cette habitude.

— Est-ce que le bon Dieu m’a lâché ? Ou c’est moi qui l’ai lâché ? Je ne sais pas, mais je crois que l’un d’entre nous a lâché l’autre. J’ai fait une descente aux enfers mémorable, ce qui m’a conduit sur ce chemin. Je crois que si j’avais l’occasion de remonter le temps, je l’aurais fait. J’aurais continué mes études pour avoir mes diplômes. Je serais peut-être devenu un grand capitaine de police ou j’aurais pris peut-être une autre voie. J’aurais pu être un grand avocat pour défendre les plus pauvres. Mais, là, tout de suite, les carottes sont cuites, soupira-t-il en regardant vers les policiers qui n’avaient pas bougé.

Carlos était submergé par les souvenirs d’antan et de tous ces bons moments qu’il avait passés dans son enfance.

— Je me souviens que ma mère me mettait en garde contre les mauvaises fréquentations et que je pourrais finir en prison si je ne faisais pas attention à moi. Cela m’avait beaucoup aidé dans le temps, mais bon, je suis là, assis dans cette épicerie minable qui tombe en ruine, avec la police qui me colle au cul. Si ma mère était là, qu’est-ce qu’elle aurait voulu que je fasse ? Heureusement que maman n’est pas là, sinon elle m’aurait botté le derrière comme elle savait si bien le faire quand je déconnais. Je crois qu’elle aurait aimé que je me rende ; que je me laisse embarquer par les policiers ; que j’aille en prison, afin de payer pour mes fautes et que je ressorte en homme nouveau et changé. Ma mère était de ces personnes qui croyaient en la rédemption, souffla-t-il avant de se poser une question. Dois-je me rendre, pour au moins faire sentir fière ma mère depuis là-haut ? J’ai tellement fait de mauvais choix dans ma vie que cela pourrait être… un bon choix. C’est peut-être ça la solution ?

Carlos resta figé quelques secondes tout en pensant à ce qui pourrait lui arriver s’il se rendait. Pendant ce temps, il vérifia que son fusil à pompe était chargé — ce qui était le cas — sans réellement savoir pourquoi il le faisait. Il scruta à nouveau les policiers qui n’attendaient que lui.

Carlos se leva et marcha lentement en direction de la sortie. Ses mains étaient en l’air — le fusil tenu dans une main — et les policiers pouvaient clairement voir son arme.

— Je vais sortir. Je vais sortir, assura Carlos qui avançait petit à petit pour se livrer à la police.

— Jetez votre arme ; puis sortez, demanda le sergent dans son haut-parleur.

— Laissez-moi sortir, je vais sortir. Je vais me livrer, répéta-t-il toujours en direction de la porte, l’arme à la main, en évidence.

Les policiers se rangèrent derrière leurs voitures pour se mettre à l’abri. Le braqueur qui se trouvait devant eux ne voulait pas jeter son arme, mais, paradoxalement, sortait quand même de l’épicerie comme ils l’avaient demandé. Dès que Carlos s’avança suffisamment, il jeta un coup d’œil à sa droite où se trouvait le corps de son ami, et des nouveaux souvenirs lui remontèrent à l’esprit. Il s’agissait de tous ces braquages, de toutes ces aventures dangereuses auxquelles il avait eu droit en compagnie d’Antonio. Ce qui lui plaisait était toute cette adrénaline et tout ce frisson qu’il pouvait ressentir. La vie de gangster était certes très risquée, mais Carlos avait aimé cette vie-là. Elle lui permettait de fuir, de ne jamais rester sur place, et de ne s’attacher à rien. Il était libre et pouvait faire tout ce qu’il voulait. Quand il avait de l’argent, il pouvait se payer toutes les filles, s’amuser dans les boîtes de nuit, et se payer des objets de luxe. Cette vie était une vie qu’il allait regretter. Finir en cellule. Pour vingt ans ?

Carlos se ravisa immédiatement. Il ne voulait plus se livrer à la police, mais se battre jusqu’à son dernier souffle — comme convenu depuis le début avec Antonio.

Il épaula son fusil en une seconde et tira quatre balles en direction des policiers. Il avait eu suffisamment de temps pour voir que ses balles venaient d’atteindre plusieurs flics qui criaient de douleur. Ceux qui ne furent pas touchés et qui se tenaient derrière les portières entamèrent une rafale de tirs.

Carlos n’eut pas suffisamment de temps pour vite se cacher. Il venait de recevoir une balle dans le bras. Son gilet pare-balles ne pouvait l’épargner de cette balle qui était visiblement ressortie. Il finit par se cacher dans l’épicerie, tandis que les policiers tiraient toujours dans sa direction. Son sang coulait et entachait toute la manche de son sweatshirt. Il finit par l’enlever pour mieux voir la blessure qu’avait occasionnée la balle. Elle n’était pas belle à voir. Étrangement, Carlos ne ressentait pas tant de douleur liée à la blessure. Son niveau d’adrénaline était bien trop élevé pour ressentir quoi que ce soit.

— Nous n’allons rien lâcher, murmura-t-il en rechargeant son fusil de quatre nouvelles cartouches. Que Dieu bénisse le propriétaire pour avoir laissé tout cet arsenal. Vous voulez jouer ? Alors jouons ! cria-t-il en se planquant derrière un étalage.

Il revint à la charge et se mit de nouveau à tirer dans le tas avant de recharger trois balles — les dernières. La police était à couvert et ne pouvait donc pas répliquer. Dès qu’il finit son show, la police reprit son offensive, mais cette fois-ci, Carlos eut le temps de vite se cacher sans recevoir de balles. Il ne lui restait plus que trois cartouches. Il était à trois cartouches de l’arrestation ou à trois cartouches de la mort. Dans le carton contenant les cartouches qu’il avait ramenées du comptoir, il y avait l’arme d’Antonio qu’il avait également pris avec lui. L’arme était vide, car le caissier avait vidé le chargeur dans un excès de colère. Carlos avait déjà pris le revolver de son collègue qui était dans sa ceinture. Pour les trois dernières cartouches qui restaient, Carlos voulait en faire bon usage. Il se leva donc de son emplacement, visa de nouveau, puis tira. Les vitres sur les voitures des policiers volèrent en éclats et le bruit qu’elles firent au contact du bitume. Les policiers sentirent qu’il n’avait plus de munition.

— Rendez-vous ! Maintenant ! Vous avez assez fait de dégâts, il est temps d’arrêter votre mascarade. Nous allons compter jusqu’à dix et vous laisser sortir vivant. (Silence.) Un… deux…

Le policier commençait par compter et Carlos savait qu’il était foutu. Se rendre aux policiers n’était pas une évidence et se faire capturer n’était pas également une option envisageable. Carlos décida donc de sortir, mais pas pour se rendre à ces flics qui l’attendaient au-dehors. Il avait un bien meilleur plan. Il fit donc discrètement sortir ses mains et les mirent bien en évidence afin que les policiers puissent les voir. En ce moment, le policier qui comptait était au chiffre « sept » et il ne restait que trois secondes avant qu’il ne donne l’assaut visant à capturer Carlos.

— C’est bon. Je me rends. Cette fois-ci, je me rends, souffla Carlos avec son bras ensanglanté qui lui faisait à présent mal.

Automatiquement, les policiers se mirent de nouveau en position de tir et celui qui comptait arrêta de compter.

— Ne tirez pas, j’ai dit que je me rendais, putain. Vous voulez que je me rende, alors je me rends. Ne tirez pas, insista Carlos. Je vais vous envoyer le fusil. Je me rends pour de bon, je n'ai plus de balles, plus rien...

Le Colombien jeta le fusil par la vitrine pour prouver sa bonne foi.

— OK. Nous voyons le fusil au sol. Mettez vos mains bien en évidence. Nous voulons les voir d’ici, ordonna le sergent dans son haut-parleur.

— Elles sont là, mes mains, vous pouvez bien les voir, insista encore Carlos qui était près de la porte de l’épicerie.

Il jeta encore un dernier coup d’œil à son pote italien allongé sur le sol et lui fit ses adieux : « Addio amigo mio, on va se retrouver en enfer, fils de pute ». Carlos sortit ensuite lentement de l’épicerie pour la première fois. Il commença par regarder autour de lui. Le soleil ne brillait presque pas, mais quelques rayons de soleil illuminaient son visage. Il leva le visage vers le ciel comme s’il voulait sentir la beauté de la nature une dernière fois.

Au fond de lui, il savait que c’était la fin.

Pendant ce temps, les policiers se méfiaient toujours du malfrat. Ils étaient toujours en position et étaient prêts à tirer si Carlos tentait quelque chose de débile. La vérité était que le Colombien n’avait nullement l’intention de se rendre à la flicaille.

En marchant vers les policiers et, à une quinzaine de mètres, Carlos s’arrêta. Il savait que c’était la fin. Ses gestes étaient lents et mesurés pour prouver sa bonne foi ; puis, subitement, il sortit le revolver de sa poche arrière et visa un flic au hasard.

Les policiers se mirent à cribler de balles le malfrat. Son gilet pare-balles arriva à le protéger contre certains tirs, mais il finit par être touché à la gorge. Le sergent ordonna donc de cesser les tirs.

Carlos mit un genou à terre en suffoquant, puis jeta vers les flics son pistolet. Il repensa à certains moments avec ses parents quand il était petit, certaines fêtes en familles, ses frasques étant adolescent, ses grands moments avec ses amis dont certains sont morts aujourd’hui et, enfin, en dernière position, lui vient une image d’Antonio et lui. Il s’agissait d’une photo qu’ils avaient prise lors d’une fête à Miami avec un grand baron de la drogue. C’était mémorable, absolument mémorable. Carlos aurait aimé que les choses finissent autrement ; mais les choses sont ce qu’elles sont.

Il s’affala sur le sol et prononça ses dernières paroles : « Tout ça pour braquer quelques dollars à un épicier de merde… », puis il s’effondra totalement et rendit son dernier souffle.

Le pistolet était vide ; et il le savait…