Suzanne Romano
28 mai 2022

Prendre la vie du bon côté : tel était le conseil que donnaient la plupart des gens à leurs proches qui traversaient des situations où les solutions n’étaient pas évidentes. Nous sommes dans une vie où les choses ne vont pas très souvent comme on le souhaite. Tous les jours, nous nous levons, faisons des plans de vie, de carrière et autres, mais compte tenu d’une situation qui n’était pas prévue, tous ces plans tombent à l’eau et l’on se retrouve sans rien. Dans ce cas, comment veulent-ils que l’on prenne la vie du bon côté ? Prendre la vie du bon côté était un conseil qui ne pouvait pas s’appliquer à ma vie, car elle n’a aucun bon côté. Strictement aucun bon côté. Je ne sais pas très exactement depuis quand toute cette histoire a commencé, mais tous les membres de mon corps totalement meurtris s’accordent à dire que les matins sont très difficiles à vivre, le courant de la journée est un enfer et que le soir, caractérisé par son coucher de soleil, apporte un semblant de réconfort. Un réconfort qui serait à son paroxysme si, dans la nuit, alors que je dors, le grand barbu auréolé pouvait me reprendre la vie qu’il m’a donnée. D’ailleurs, je ne crois pas lui avoir demandé quelque chose. D’abord, à quoi cela sert-il d’envoyer une personne dans un monde rempli de souffrances, de personnes méchantes, avares, égoïstes ou autres. J’ai toujours trouvé durant les quatorze années de ma vie que mon existence ne servait à rien. Je ne sais pas si ces pensées sont saines et à vrai dire, cela fait bien longtemps que j’ai décidé de ne plus trop y penser, de ne plus juger les pensées qui me viennent à l’esprit. C’était beaucoup mieux comme cela, car laisser libre cours à mes pensées était ce qui me tenait en haleine et me permettait de vider mon cerveau rempli de différents démons de tous genres.
C’est quelque peu impoli de commencer par parler de soi sans d’abord se présenter. Excusez-moi. Je m’appelle Suzanne Mitchell et je suis une jeune fille blonde aux yeux verts, de taille moyenne. Cette année, j’ai eu quatorze ans. Comme tous les enfants de mon âge, j’ai une adolescence difficile. Je suis une fille blanche – vraiment blanche – comme on en voyait très peu. Et, très souvent, les gens ne cessaient de me regarder à cause de l’aspect pâle que présente la plupart du temps cette peau qui est la mienne. Quand je parle des gens, je parle précisément des gens qui sont devenus aujourd’hui mes anciens camarades de classe, des gens que je déteste de tout mon être.
Il y a un peu plus de huit ans, j’étais une jeune fille tout à fait normale. J’étais une fillette qui ne connaissait presque rien à la vie et tout ce que je voyais du monde, je le faisais à travers les yeux de mes parents. Ils faisaient mon éducation et je n’avais qu’à suivre leurs conseils, ce qui n’était pas tout le temps évident. Être l’unique enfant de mes parents était presque une bénédiction, car ils n’avaient d’yeux que pour moi. En même temps, c’était également une malédiction, car toute leur colère était également dirigée vers moi. J’étais le centre de l’attention, et ce, en permanence. Tout ce que je peux dire est que mon père et ma mère faisaient de leur mieux afin que je me sente épanouie.
*
Un beau matin de lundi, le soleil venait de pénétrer dans ma chambre à travers les fenêtres. Les rayons du soleil titillaient mes paupières et je me réveillai brusquement regrettant aussitôt le dimanche qui s’était écoulé. C’était lundi et il fallait retrouver le chemin de l’école. J’avais du mal avec l’école, car dans ce lieu sinistre, je ne trouvais aucun plaisir. Pour moi, l’école était une sorte de prison pour enfant dans laquelle le régisseur et ses hommes (le directeur et les autres autorités) contrôlaient les prisonniers (les élèves) afin que ces derniers soient comme ils le veulent.
Je me levai donc de mon lit et marchai tout droit vers ma salle de bain. Je me regardai dans le miroir et je vis mon visage bouffi, ma cicatrice presque imperceptible sur la joue, et mes cheveux dans un désordre qui ne disait pas son nom. Je ne pus m’empêcher de lâcher un grand soupir avant de décrocher ma brosse à dents. Je la badigeonnai de pâte dentifrice, l’aspergeai d’une faible quantité d’eau puis je l’introduis dans ma bouche. Après m’être brossé les dents, je pris une bonne douche. Je mis ensuite mon uniforme d’écolière et, sac au dos, je descendis les escaliers pour rejoindre la cuisine.
Presque tous les matins, c’était le même spectacle. Ma mère était debout devant la cuisinière, poêle dans une main et spatule dans l’autre en train de faire des œufs tandis que mon père, bien habillé, était assis sur une chaise autour de la petite table. J’entrai dans la cuisine, saluai mes parents et pris mon petit déjeuner avec joie. J’adorais ce moment si particulier avec mes parents qui, pour moi, étaient des héros. Mon père me déposa ensuite à l’école et je savais au fond de moi que c’était dans cette voiture que j’allais esquisser le dernier vrai sourire de la journée. Le reste de ma journée allait être froide, parsemée de frustration, de colère et, surtout, de douleur.
Quand j’entre dans cette école, tout le bonheur que je ressens disparaît et fait place à de l’amertume, au désarroi, à la tristesse, mais aussi à la colère. Cette colère n’était pas provoquée par le régisseur de la prison, mais par les autres prisonniers qui ne cessaient de se moquer de moi ou de s’en prendre à moi. En effet, j’étais une fille chétive qui ne faisait pas vraiment le poids (ni au sens propre ni au sens figuré du terme) devant ces enfants qui même à dix ans étaient bien trop costauds pour leur âge. J’étais maltraitée dans le couloir, dans la salle de classe, dans le gymnase, devant l’école et partout où je rencontrais mes tortionnaires. Le seul moment où j’étais sauvée était quand ces deux garçons étaient avec leurs parents et jouaient aux enfants modèles. C’était pénible, et lors des jours d’école, les heures de récréation étaient les plus douloureuses pour moi.
Je me souviens que ce lundi, alors que je nourrissais depuis quelques jours, dans un coin de ma tête, l’espoir que les choses s’arrangent pour moi, j’ai connu une descente aux enfers qui ne dit pas son nom. En effet, j’étais entrée dans l’école avec la peur au ventre et je priais de toutes mes forces pour que mes tortionnaires soient absents, mais hélas, ce ne fut pas le cas. D’ailleurs, en marchant lentement, le visage inspirant la pitié, je vis venir vers moi Liam et Franck ; ces deux garçons qui n’ont jamais cessé de s’en prendre à moi depuis le début de l’année scolaire. Dans ce couloir et devant une bonne dizaine d’autres écoliers, je me suis fait cogner par ces deux garçons. Ils me jetaient contre le mur, criaient sur moi, me donnaient des coups de poing ou me tiraient par les cheveux. Durant plusieurs secondes, je tentais de résister, de rester debout, mais finalement, je finis par céder puis je tombai sur le sol, ce sol sale. Une fois à terre, je pensais qu’ils allaient me laisser tranquille sauf que je me suis trompé. Franck me donna un coup de pied dans le ventre. C’est à ce moment qu’un des enseignants intervint. Franck et Liam disparurent dans la foule et cette même foule s’effrita, me laissant ainsi seule dans le couloir avec l’enseignant. Ce dernier m’accompagna dans le bureau du directeur, pensant que j’allais raconter ce qui s’était passé. J’avais nettement envie de faire cela, mais je ne pouvais pas. Franck et Liam avaient promis de me casser la mâchoire si un jour, l’envie me prenait d’ouvrir ma « sale gueule » pour les dénoncer. J’avais donc intérêt à me taire et tant que je ne disais rien, les choses allaient bien se passer ; ou du moins les choses ne seraient pas pires qu’elles ne le sont déjà. À la maison, je n’avais aucunement envie de raconter ce qui se passait. Je faisais en sorte de cacher mes bleus à mes parents et devant eux, je devais faire l’effort de ne pas révéler que j’avais mal. Je n’avais pas envie de parler de mon calvaire à mes parents, car j’étais persuadée qu’ils avaient mieux à faire que gérer mes affaires.
Le dernier jour de cette année scolaire était pour moi un jour de célébration. Je savais que cela allait être le dernier jour de maltraitance et que si j’avais un peu de chance, ces abrutis ne seraient pas dans cette école l’année prochaine. Ce matin, comme tous les autres, mon père me déposa devant mon école puis partit au boulot, mais il ne savait pas qu’il allait revenir pour une urgence. En effet, dès que je rentrai dans l’établissement, je vis quelques hommes en train de déployer une sorte de piscine gonflable de couleur bleue. C’était le dernier jour et tout cela sentait la fête de l’école. Je marchais, sourire aux lèvres vers Paula, ma seule amie dans cette école, celle qui tentait tant bien que mal de m’apporter son soutien même s’il arrivait des moments où elle disparaissait des radars.
— Alors, ce dernier jour, comment le vis-tu ? me demanda Paula.
— Je me sens bien. Dernier jour, donc c’est les vacances à partir de demain. Je suis tellement contente ! lui répondis-je avec un large sourire sur le visage.
— Je peux voir cela, me dit Paula avec également un large sourire.
Progressivement, ce sourire commença par disparaître de son visage. C’était comme si elle avait vu une personne revenir d’entre les morts. Je regardai derrière moi et je vis Franck et Liam s’approcher de moi. Paula fit deux pas en arrière et m’invita à faire de même afin que nous puissions fuir. Je refusais de fuir. Je ne voulais pas fuir encore une fois sauf que cet acte n’était pas un acte de courage, mais de fatigue. Durant toute l’année et à chaque fois que j’en avais l’occasion, j’avais fui face à ces deux garçons. Ils me terrorisaient et j’avais aujourd’hui la possibilité de fuir, mais je ne voulais pas. Me voyant immobile, Paula fit deux pas en avant et revint à sa position initiale, c’est-à-dire près de moi. Pendant ce temps, mes deux tortionnaires étaient debout à un mètre de nous.
— Blanche-Neige, me dit Liam en faisant allusion à ma peau.
Je ne dis rien, car cette moquerie n’était rien par rapport aux coups qu’ils avaient l’intention de me donner. Mais contre toute attente, je ne reçus aucun coup depuis qu’ils étaient là et les deux garçons n’avaient pas l’air de chercher la bagarre. Ils étaient étrangement calmes.
— Nous sommes venus pour nous excuser pour tout ce que nous t’avons fait au cours de cette année. C’est le dernier jour alors nous voulons faire la paix, commença par dire Liam avant que Franck ne prenne la parole :
— Oui, nous sommes désolés et nous sommes venus en paix. D’ailleurs, accompagne-nous, nous voulons te montrer quelque chose, finit par dire Franck.
Je me montrais assez réticente, car ce changement de comportement était bien trop suspect. Je ne savais pas quoi penser, mais tout mon être me disait que je ne pouvais pas faire confiance à ces deux « imbéciles » ; pour rester polie.
— Nous ne voulons rien te faire de mal. Tu sais bien que nous sommes venus en paix. Nous voulons juste te montrer un truc au premier étage pour nous faire pardonner pour tout ce que nous t’avons fait subir au cours de cette année. Ne fais pas la difficile, Suzanne, dit Liam avec un air très gentil, ce qui était très inhabituel.
Je restais toujours figée durant quelques secondes sans savoir quelle décision prendre. Je jetais un coup d’œil à Paula qui me regardait également.
— D’accord, répondis-je en trouvant sincère la déclaration de Liam.
Je les accompagnai donc au premier étage en me disant que leurs excuses étaient peut-être sincères et qu’ils avaient certainement quelque chose d’important à me montrer. Quelque part, je savais qu’ils n’étaient pas si sincères, et franchement, j’étais convaincue qu’ils ne pouvaient rien me faire de pire que ce qu’ils m’ont fait endurer durant toute cette année scolaire. Je marchais donc derrière mes deux tortionnaires, jetant un coup d’œil derrière pour voir si Paula y était toujours. Je gravissais les marches d’escalier jusqu’au premier étage.
— Nous sommes venus faire quoi ici ? demandai-je finalement.
— Attends. Viens de ce côté, dit Liam en pointant du doigt le balcon.
Sans me poser de questions, je me mis devant le balcon et quelque chose attira mon attention. Il s’agissait de la piscine gonflable que j’avais vue en entrant dans l’école quelques minutes plus tôt. Depuis le balcon, j’admirais la vue sans craindre les deux garçons derrière moi. Subitement, sans que je ne sache ce qui se passait, je sentais des mains fermes me prendre par les cuisses pour me jeter par-dessus le balcon. Durant quelques secondes, je ne comprenais toujours pas ce qui se passait.
*
Après un temps que je ne pouvais estimer moi-même, je me réveillai dans une chambre totalement peinte en blanc sur un lit qui, vraisemblablement, n’était pas le mien. J’étais drôlement habillée, et près du lit dans lequel j’étais allongée, se trouvait un petit canapé dans lequel était assise ma mère. Cette dernière avait un bouquin entre les mains et ses lunettes accrochées à son nez. Ma mère n’avait pas réellement l’air inquiète. Elle ne savait pas que j’étais réveillée, car je n’avais pas fait le moindre bruit. Je bougeais juste les yeux pour regarder les choses qui étaient autour de moi. Finalement, maman sentit que j’étais réveillée et dans ses yeux, je pouvais lire toutes sortes d’émotions. Elle était ravie de me revoir et mon père finit par nous rejoindre accompagné d’un médecin. Je ne savais pas très exactement depuis combien de temps j’étais dans cet hôpital. Tout ce dont je me souvenais était ce dernier jour d’école où je suis monté au premier étage du bâtiment de l’école avec Liam et Franck. Après cela, je ne me souvenais plus de rien.
Après les premiers examens, mes parents se décidèrent à me raconter ce qui s’était passé. D’après ma mère, cela faisait bientôt trois mois que je ne m’étais pas réveillée. J’étais plongée dans un coma depuis ce temps, car Liam et son ami Franck m’avaient jeté du haut du balcon espérant que j’allais rebondir sur la piscine gonflable, mais malheureusement, ce ne fut pas le cas. J’étais tombé sur le sol, ce qui a créé plusieurs lésions cérébrales et des dommages physiques. Je ne savais pas à cet instant quoi penser. Je ne savais pas si je devrais me mettre à pleurer à cause de ce qui s’était passé ou si je devrais juste rester là à ruminer sur la colère que je ressentais à l’égard de Liam et de Franck.
Cet épisode fut l’un des évènements – ou du moins l’évènement – le plus traumatisant de toute ma vie. Petit à petit, je suis arrivée à me reconstituer cette scène. Les soirs, quand j’arrivais à m’endormir, je voyais Liam et Franck me saisir par les genoux pour me balancer dans le vide. Je ne pouvais pas m’empêcher de voir leur visage avec leur sourire de psychopathes. Avec le temps, les choses ne s’arrangeaient pas. Je n’arrivais presque pas à m’en sortir. J’étais hantée par l’image de ces deux garçons et cette scène au balcon ne quittait pas mon esprit. Même après plusieurs années, les souvenirs étaient encore frais et les séquelles étaient toujours présentes. J’avais du mal à marcher et des difficultés cognitives. À cause de cela, je ne pouvais plus aller à l’école et faire comme tout le monde. Par contre, Liam et Franck avaient repris leur vie comme si de rien n’était.
Je ne sortais plus et donc je n’avais ni d’amis pour m’épauler, ni quelqu’un avec qui parler. Paula avait bien mieux à faire, car ses études lui prenaient assez de temps. Moi, tout ce que je pouvais faire, c’était en effet, prendre de l’âge et être un poids pour mes parents. Ma mère m’avait envoyée chez un psy afin que ce dernier m’aide, et en un peu moins d’un mois, tout ce que j’avais pu retenir de cette espèce de charlatan était que transcrire mes pensées était une bonne solution pour guérir. C’est donc à partir de ce moment que j’ai commencé par tenir un journal intime. J’avais treize ans, et ce cahier était presque devenu mon seul ami, celui à qui je pouvais me confier librement, celui à qui je pouvais dire mes peines, mes doutes, mes pensées.
Un jour, j’étais seule à la maison. Mon père et ma mère avaient tout mis à ma disposition pour que je puisse me débrouiller durant le reste de la journée. J’avais Internet, mais cela ne me plaisait pas vraiment de l’utiliser pour regarder des vidéos de chats comme me l’avait conseillé ma mère. J’utilisais plutôt Internet pour apprendre, pour voir les choses qui se passaient dans le monde. Malheureusement, le monde dans lequel nous vivons est si abominable. Dans mon journal, j’écrivis quelques lignes afin d’exprimer ce que je pensais.
*
« Cher journal, je viens de tomber sur une vidéo assez abominable qui reflète avec exactitude le monde dans lequel nous vivons. En réalité, je me pose la question de savoir si cette vie en vaut vraiment la peine. Les gens se font du mal, d’autres traversent des situations difficiles. Je me classe parmi cette seconde catégorie, car la solitude me ronge et me bouffe de l’intérieur. Des fois, j’ai envie de sortir de chez moi, de prendre de l’air et de me défouler sauf que je ne peux pas. J’ai peur, peur des gens que je vais rencontrer, peur de ne pas à nouveau m’adapter socialement… Bof… Comme si à une époque de ma pauvre et sombre vie, je me suis adaptée à la société. Je sais que… »
*
J’écrivais dans mon journal quand je me retrouvais subitement à la fin de la dernière page. Je n’avais plus d’espace pour accoucher les mots qui se bousculaient dans mon esprit tordu rempli de pensées douteuses. Je ne savais donc plus quoi faire. J’avais une pile de cahiers que j’avais déjà utilisé et je n’en avais plus de neuf. Je ne pouvais pas non plus me lever gaillardement pour sortir de la maison afin d’aller en acheter. Il fallait donc attendre l’arrivée de ma mère ou trouver une autre solution. C’est ainsi que je décidai de ne plus écrire mon journal intime dans un cahier et de le garder pour moi. Même si j’étais seule dans la vraie vie, je pouvais partager les choses que je vivais avec le monde entier. Je pouvais être entourée, et même si c’était virtuellement, c’était mieux que rien.
J’avais quelques connaissances basiques récoltées çà et là sur Internet. Je décidais donc de créer mon blog, un journal intime en ligne. Je ne savais pas pourquoi, mais j’eus envie de reprendre depuis le début. J’avais envie de partager ce que je ressentais avec des personnes même si je ne pouvais pas les voir réellement. De plus, je trouvais que les gens devaient entendre ce que j’avais à dire et dans un journal classique mon amertume vis-à-vis du monde extérieur restait en quelque sorte emprisonnée. Je voulais donc déverser ma haine sur le monde et faire sentir cette haine à la communauté que j’avais l’intention de créer. En une journée, j’avais monté un blog assez basique où je pouvais publier mes pensées tous les jours. Le but n’était pas de créer un blog avec un design hors du commun, mais juste une plateforme sur laquelle écrire et laisser les gens poser leurs commentaires.
Le lendemain de ce jour, j’étais devant mon ordinateur portable rose et sur l’écran se trouvait un cadran blanc avec un curseur qui disparaissait et réapparaissait. Je manquais d’inspiration en ce moment. Je ne savais pas quoi écrire, car c’était la première fois que j’ai pensé réellement à poster quelque chose sur Internet. Les autres fois, je regardais les contenus des autres et les commentais.
Dans le cadran blanc, je me mis à saisir :
*
« Je vous hais tous autant que vous êtes. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte, mais vous êtes des monstres. Consciemment ou inconsciemment, vous êtes tous des Franck et des Liam. Vous détruisez la vie des autres sans aucune raison valable, et ce qui est pire, vous y prenez un plaisir fou. J’espère qu’un jour, la vie vous rendra tout ce que vous avez fait de mal à vos proches. J’espère que vous serez puni à hauteur du mal que vous avez fait, du tort que vous avez causé. Vous n’êtes qu’une bande de losers. »
*
Je publiai ce texte et ensuite je partageai le lien dans plusieurs groupes sur diverses plateformes afin de faire connaître mon blog et aussi pour alerter les gens afin qu’ils sachent que dans les prochains jours, j’allais partager d’autres réflexions. En réalité, je savais au fond de moi que mon blog et ses billets allaient attirer des personnes de tous genres. Il s’agit des personnes qui allaient chercher à me sauver avec leurs versets bibliques ou leurs psychologies à deux balles, des personnes qui allaient lire sans rien dire comme s’ils n’en avaient rien à foutre de mes histoires ou encore des personnes qui allaient se délecter en cherchant encore plus de sensations fortes. Quelques minutes plus tard, je reçus une notification me mentionnant que quelqu’un venait de commenter mon article :
« Bon courage, jeune fille », disait le commentaire.
La personne derrière ce commentaire voulait certainement me réconforter sauf que je n’en avais pas besoin. Je n’avais pas besoin qu’on me dise de prendre courage et que tout ira bien.
— Qu’est-ce qu’il tente de faire là ? me demandai-je. Il cherche à te dire d’être courageuse et que les choses vont s’améliorer. Ces gens, ces hypocrites avec leurs aspects de sainte-nitouche veulent te réconforter. Tu devrais lui répondre et le remettre à sa place, ajouta la voix dans mon esprit. Je trouvais également que c’était le mieux à faire :
« Cher hypocrite, veuillez garder vos phrases motivantes pour vous. ☠ »
Cette émoticône en forme de tête de mort, je ne l'oublierais jamais, car il était comme la représentation de ce que je voulais. Répandre la mort et la souffrance sur les personnes de mon entourage.
*
Dans la nuit profonde, après avoir passé une journée à ruminer sur ma vie qui n’avait strictement plus aucun sens, je dormais espérant trouver un semblant de calme. Subitement, dans mon rêve, je vis mon ancienne école, ce bâtiment, ce premier étage et cette chute de quelques mètres que j’avais faite pour atterrir sur le sol. Je voyais Franck et Liam ricaner alors que j’étais inerte sur le sol. Ils ricanaient encore et encore me laissant agoniser et me vider de mon sang. C’était comme cela que je m’étais représenté avec le temps ce qui s’était passé et c’était ce cauchemar que j’avais l’habitude de faire presque tous les soirs. C’était d’ailleurs à cause de cela que ce marabout de psychiatre m’avait prescrit des somnifères et d’autres médicaments, mais j’avais l’impression que ces médicaments avaient pour rôle de complètement m’assommer ou de me rendre totalement folle. Je n’avais presque pas un état où je me sentais mieux ou du moins normal.
Cette nuit fut la nuit de trop. Je me réveillai brusquement en sueur à la suite de cet énième cauchemar. Mon drap était mouillé comme si l’on avait renversé un seau d’eau sur moi. J‘étais toute nerveuse et surtout très tremblante. J’avais envie de souffrir encore plus, car les choses allaient bien trop vite dans ma tête et cette douleur que subissait mon esprit était bien trop forte, bien trop oppressante. J’avais une lame dans un petit tiroir de mon bureau et pour une fois, j’avais envie de transférer cette douleur de mon esprit à mon corps. Je pris la lame dans ma main droite et dominante puis je commençais par me faire de petites entailles au niveau de l’avant-bras gauche. Le sang commençait par couler petit à petit. Cette douleur était assez confortable. Elle me calmait. Je me sentais bien et surtout je prenais beaucoup de plaisir à faire cela. Qu’il soit un plaisir sain ou malsain, ce n’était pas le plus important.
Cette douleur était encore plus confortable au moment de mettre de l’alcool dans la blessure afin d’arrêter l’hémorragie. C’était si plaisant que je m’endormis sur le sol. Le lendemain matin contre toute attente, ma mère vint toquer à ma porte, me demandant de venir prendre mon petit-déjeuner. À cet instant, je n’étais pas encore debout et je ne pouvais pas lui ouvrir dans cet état, surtout avec le sol couvert de sang, la bouteille d’alcool sur le sol ou encore la petite serviette imbibée d’alcool qui avait servi à arrêter l’hémorragie. J’inventais donc une excuse pour lui faire comprendre que je ne pouvais pas lui ouvrir et que j’allais la rejoindre dans quelques instants. Il était à présent temps de prendre une douche, d’enfiler une tenue avec une manche longue et de feindre une meilleure mine. Faire semblant que tout allait bien.
— Franchement, à quoi ça sert ? demanda la voix qui habitait dans mon esprit.
— Qu’est-ce qui sert à quoi ? Peu importe ce que c’est, je n’en sais rien.
— À quoi ça sert de faire tout ça ? Te lever tous les matins, faire ce que tes parents te demandent, supporter tout ce que ces gens te disent. Tu sais que tu mérites mieux que ça. N’oublie pas que c’est à cause de ces gens que tu es dans cet état aujourd’hui et que tu as du mal avec la société. N’oublie surtout pas qu’ils doivent payer. Tu sais bien de qui je veux parler.
— Oui, je sais. Franck, Liam et tous les autres. Je suis d’accord. Ils doivent payer et pour cela, j’ai envie de faire un grand coup. Masquer les indices de ce que je compte faire à ces gens. Je vais les tuer un à un.
Les jours passèrent et l’envie de tuer tous ces gens commençait par devenir plus forte. Que cela soit avec un coup de couteau dans la poitrine, un poison mortel, une chute mortelle ou autre. J’avais plusieurs idées dans la tête, et à chaque fois, je décrivais cela dans mon journal qui, depuis quelques jours, était suivi par plusieurs dizaines de personnes.
*
« Cher journal de malheur. Je ne sais pas pourquoi, mais je pense que chaque personne mérite une mort spectaculaire. La mort doit être un évènement marquant et je trouve quelque peu sans intérêt de mourir dans son sommeil, à moins que l’on soit étouffé par les oreillers, et ce, par quelqu’un qui nous déteste de toutes ses forces. Pour le Docteur fou, j’ai réfléchi à comment le tuer et je peux vous dire qu’il s’agit d’une manière assez spectaculaire. Je vous ai dit que je réserve le meilleur pour la fin. Je comptais simplement l’endormir grâce à une drogue puissante et l’amener dans une sorte d’entrepôt abandonné, loin de toute civilisation. Une fois dans cet entrepôt, je vais attacher ses deux mains de telle manière qu’il soit détendu de tout son corps. Ses deux pieds, écartés, seront également attachés afin qu’il ressemble à une version 2D de la tour Eiffel. Patiemment, je vais m’assoir devant lui et attendre qu’il se réveille. M’asseoir et le regarder serait pour moi une manière de lui donner un moment de paix avant ce qui pourrait être pour lui l’un des moments les plus douloureux de sa vie, dans tous les sens du terme. Je n’ai jamais compris pourquoi, mais les gens portent une plus grande attention à leur visage. Ils prennent plus soin de leur visage que des autres parties de leurs corps. Justement, cela tombe bien, car je compte commencer la torture par les dents. Les arracher les unes après les autres, et ceci, sans aucune forme d’anesthésie. Le local a été justement choisi pour que personne d’autre à part moi ne puisse entendre ses cris. Chaque dent sera enlevée avec la plus grande brutalité qui soit de telle manière que sa bouche soit remplie d’une grande quantité de sang. Le plus intéressant et aussi le plus difficile sera l’étape suivante ; celle où il est question de couper sa langue afin que ses cris soient plus aigus qu’ils ne l’étaient déjà. Je ne pourrai m’empêcher de balafrer son visage afin qu’il soit méconnaissable. De petites coupures très peu espacées sur son front, sa joue, son nez et partout sur son visage afin qu’aucune machine de reconnaissance faciale au monde ne puisse identifier le Docteur fou. Pour finir et pour sortir de l’ordinaire, je vais me servir du feu, le faire passer près de sa peau afin de détacher l’épiderme du reste. Je pense bien me faciliter la tâche à l’aide d’un couteau tel un cuisinier d’un restaurant cinq étoiles. Je vais lui enlever une grande partie de la peau, et ceci, sur tout le corps. Ses hurlements seront ma récompense. Ils feront mon bonheur. Je le laisserai ensuite là et le temps fera le reste. Il aura envie de mettre fin lui-même à ses jours, mais il ne pourra pas. Faim, soif, douleur et rongeurs seront ses compagnons. ☠ »
Je relus alors mon texte avant de le publier.
— Pourquoi donner le nom du Docteur fou à Franck ? me demanda cette voix dans mon esprit.
— En hommage à Franck Einstein ; pour désigner Franck, l’un de mes tortionnaires du primaire, répondis-je.
— Et si les gens le confondent avec le psychiatre qui te prenait en charge et se disent que tu as l’intention de le tuer ?
— Qu’est-ce que cela peut bien me faire ? demandai-je.
— Ah, je vois. Tu es un monstre.
Après avoir publié ce texte sur la manière de tuer Franck, je reçus divers commentaires. Cela partait des personnes qui appréciaient aux personnes qui pensaient que j’étais folle en passant par ceux qui trouvaient d’autres moyens plus ingénieux d’étoffer certaines étapes de mon plan. Dans tous les commentaires, un attira particulièrement mon attention. Il s’agit d’un homme ou d’une femme derrière le pseudonyme West10 qui dit ce qui suit :
« Tu es abominable et tu brûleras dans les feux de l’enfer. Jamais, durant ta stupide et pénible existence, tu ne rencontreras des personnes qui t’aimeront. D’ailleurs, je pense que même les personnes qui t’ont mise au monde, s’ils sont toujours en vie, ne seront pas fières de ce que tu es devenue. Tu ne mérites même pas de vivre. Tu n’es qu’une bête. Mourir est la seule solution pour que tout ce que tu ressens et toute cette haine en toi puissent disparaître. »
Ce commentaire de West10 me choqua au plus profond de moi et venait de me faire prendre conscience d’une chose. Je ne recevais aucun amour de la part de mes parents ni même d’autres personnes. Je n’avais pas d’amis à qui parler non plus. Il m’arrivait même de penser que j’étais un poids pour mes parents.
— Oui. Tu peux être sûre de cela. Tu es un poids pour tes parents. Je suis certain que ton père serait beaucoup plus heureux de mettre ses revenus dans un voyage à l’autre bout du monde au lieu de payer tes soins qui ne font rien à part aggraver ta maladie. Tu es un boulet. Tu ne vois pas le visage que fait ta mère quand elle vient ici te demander de venir manger ? D’ailleurs, c’est tout ce qu’elle fait. Venir demander si tu as faim. Je crois que West10 a raison, me dit la voix dans ma tête.
— Oui, tu as raison.
— Donc quelque part, tu devrais peut-être penser à t’ôter la vie. Tu connais des manières spectaculaires de tuer les gens. Comment pourrais-tu organiser ton suicide ? Fais quelque chose de grandiose. Ne te contente pas de t’ouvrir les veines ou de te passer la corde au cou. Sois plus créative.
— Je ne sais pas. Tu penses à quoi ? Sauter d’un immeuble ? demandais-je, un peu perdue.
— Cela va dépendre du nombre d’étages puisque tu as déjà survécu une fois.
— Me jeter sous les rames d’un métro.
— Ça, c’est un classique pour ceux qui doivent de l’argent. Ce n’est pas ton cas. Tu es juste une jeune fille complètement paumée qui n’a plus sa raison en place. Alors, vas-y, va plus loin dans tes imaginations.
— Je ne sais pas, répondis-je, car je n’avais pas d’idée sur le coup.
Je me couchai cette nuit avec ce commentaire de West10 qui me hantait ainsi que cette voix dans ma tête qui ne cessait de m’insuffler des pensées les unes plus horribles que les autres. Je n’arrivais pas à dormir et tout ce que mon esprit me projetait était toutes ces fois où mes parents m’ont montré indirectement qu’ils étaient fatigués de moi, du boulet que je représentais. C’était dur à supporter, à tel point que je ne pouvais pas dormir.
— Qu’est-ce qui m’arrive ? demandais-je.
— Tu viens de te rendre compte d’une évidence, me répondit la voix.
— De quoi ?
— De ce qui était le plus important. Tu viens de te rendre compte que c’était toi le problème et non les autres. Tuer les autres ne résoudra rien, tu seras toujours la même fille insignifiante qui ne peut rien faire. Tu ne penses pas que j’ai raison ?
Je restais couchée dans ce lit deux fois trop grand pour penser à ce qui pourrait se passer. Subitement, je me levai précipitamment pour prendre mon journal.
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« Cher journal, peut-être que ce jour est celui de la prise de conscience. Peut-être que c’est aujourd’hui que ma vie prendra une autre tournure. Peut-être que ce ne sont pas les autres le problème. Peut-être que je ne suis pas assez forte pour vivre dans ce monde. Peut-être que le mieux serait que je débarrasse le plancher. Le suicide est un acte qui m’a toujours impressionnée bien au-delà des meurtres. Vous savez, le courage qu’une personne a jusqu’à ôter sa propre vie, c’est assez fascinant. Je trouve qu’il serait peut-être temps que je passe ce cap pour mettre fin à cette souffrance que nul ne devrait avoir à endurer. Je pense que nous avons fait du chemin ensemble. Cela fait sept longs mois que je partage mon quotidien avec vous alors je vais vous faire un cadeau de fin. Je suis certaine que ce cadeau final vous plaira. Vous ne pourrez jamais oublier ces évènements qui vont probablement se dérouler sous vos yeux. »
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J’avais donc prévu passer à l’acte dans trois jours et à soixante-douze heures de cet acte, j’avais l’air détendue et je n’avais peur de rien. J’étais calme et très détendue, car j’étais convaincue qu’il s’agissait d’un simple suicide et que je n’allais manquer à personne. Cette nuit se passa bien, même si durant les heures où j’étais endormie, des images de moi pendue à une corde me revenait très souvent. Dans mon rêve, je ne m’étais pas pendue dans un lieu plus ou moins intime comme ma chambre, dans la forêt ou autres. Je l’avais fait sur une scène d’opéra devant des milliers de personnes qui m’applaudissaient comme une rockstar qui faisait une performance. Je recevais des ovations de la part de mon public et dans ce même public, des gens étaient contents à en avoir les larmes aux yeux. C’était plaisant pour moi de rêver de ce moment.
Le lendemain, j’étais à quarante-huit heures de la scène finale de ma vie. Pour l’une des rares fois de la semaine, je sortis de ma chambre pour discuter avec ma mère. Je voulais la voir pour une dernière fois. C’était mon but, mais je n’avais pas eu le courage de la regarder et de lui parler en face. Je décidai donc de lui laisser une lettre d’adieu le jour ultime lui expliquant les raisons pour lesquelles j’allais poser cet acte qui, certainement, allait la choquer profondément.
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« Maman, papa, les choses ne se sont pas vraiment passées comme prévu. Quand j’étais petite, avant que toute ma vie ne parte en vrille, j’avais des rêves, j’avais des ambitions. Je voulais devenir cheffe d’entreprise et contribuer à l’évolution du monde. Je voulais aider les gens, car à chaque fois que je voyais à la télé des personnes qui venaient en aide aux autres, j’étais contente et je me disais que je ferais pareil une fois que je serais grande. Je voulais fonder une famille comme la nôtre, ou plus grande, mais comme la nôtre où j’allais me battre pour mes enfants et faire tout pour qu’ils aient une bonne éducation. Je voulais étudier, avoir de grands diplômes. Je sais que tout cela est absurde, car à voir la manière dont ma vie se termine, il faut croire que les choses ne se passent presque jamais comme prévu. Avant de mourir, j’étais totalement au fond du trou. Ma vie a pris une toute autre tournure et je dois cela à deux jeunes garçons qui avaient décidé un jour de s’amuser avec ma vie. C’est réussi, car elle n’en vaut plus la peine aujourd’hui. Pendant ce temps, Franck et Liam doivent être en fin de collège et prêts à entrer à l’université. Tous mes rêves de gamine ont été anéantis par ces deux jeunes garçons. Toute cette lumière que j’avais dans les yeux quand je regardais le monde a été éteinte par deux jeunes garçons. Si tu lis ces lignes, c’est que je suis morte, morte d’une manière qui me convient. Je regrette d’avoir vécu. Même face à la mort, je ne pense pas que je puisse vraiment trouver un sens à la vie, car elle n’en a aucun. Adieu, maman. Adieu, papa. Nous nous retrouverons de l’autre côté. »
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Je relus cette lettre plusieurs fois, car dedans, j’avais dit des choses que personne ne savait. Je crois que ma vie a été gâchée bien trop tôt. J’aurais aimé faire payer cela à ces deux garçons, mais je pense que le monde est rempli de milliers de personnes malhonnêtes, d’hypocrites, d’égoïstes et des psychopathes de tous genres. Je ne peux pas tous les tuer. Ainsi, la solution est de quitter ce monde qui ne me convient pas dans l’espérance qu’après ma mort, un nouveau monde m’attendra, un monde dans lequel les souffrances, les douleurs, la tristesse et l’amertume n’existent pas. Un monde dans lequel la cruauté n’est pas infligée impunément aux gens. Je ne sais pas si le choix de mettre fin à mes jours est le meilleur, mais tout ce que je sais, c’est que ce monde ne me mérite pas et je ne mérite pas d’être dans ce monde.
La veille du jour où je devais passer à l’acte, j’ai pensé laisser un petit message sur mon blog expliquant comment j’allais procéder, mais je finis par me raviser. Pour beaucoup, mon blog était un moyen de me distraire et d’écrire ce que je pense. Quelque part, c’était vrai. En plus, pour ces mêmes personnes, je n’étais pas sérieuse dans tout ce que j’avais écrit. Pour elles, je n’avais pas le cran nécessaire pour tuer des personnes comme je l’avais décrit ni pour mettre fin à mes jours comme je l’avais annoncé sur mon blog. À leurs yeux, j’étais juste une gamine qui traversait une mauvaise période.
Le lendemain, il sonnait onze heures quand je me suis levée de mon lit. Pour une fois depuis plusieurs jours, j’esquissai un léger sourire. Je descendis de mon lit et me dirigeai vers la salle de bain où je fis mon éternel rituel qui était de me brosser, de prendre une douche et de m’habiller. Ce jour, j’avais porté un pantalon blanc, un tee-shirt sans manches blanc et, comme chaussures, j’avais mis mes sandales. Je sortis de ma chambre pour me rendre dans la cuisine. Là-bas, je vis ma mère qui préparait le déjeuner, car mon père allait rentrer à midi. Je pris donc mon petit-déjeuner tout en échangeant quelques mots avec ma mère qui avait l’air très occupée. Elle ne se doutait pas que j’étais en train de prendre mon dernier repas. Et dire qu’après une quinzaine d’années de vie, mon dernier repas est du café accompagné d’un morceau de pain sec et durci. J’allais m’en contenter.
Dès que je finis mon petit-déjeuner, je restais quelques secondes assise, fixant ma mère qui me faisait dos. Elle ne se doutait toujours de rien puis je ramassais les bols que j’avais utilisés pour manger afin de les laver et de les poser à leur place. Je remontai ensuite dans ma chambre, puis pris mon téléphone. Je lançai un live sur Twitch afin de poser l’acte le plus important de toute ma vie. Quelques instants après avoir lancé le live, dix personnes étaient déjà connectées grâce au titre racoleur que j’avais écrit. Après avoir dit que j’allais me suicider, en moins de dix minutes, plus de cent personnes étaient connectées sur le live, car ils se relayaient l’information auprès de leurs amis. Les gens connectés étaient de plus en plus nombreux et les commentaires étaient divers.
— Elle ne peut pas le faire.
— On ne se suicide pas comme cela. Elle plaisante avec nous.
— Si tu veux faire quelque chose, vas-y, fais-le. Nous t’attendons.
— Vas-y. Passe-toi la corde au cou, au sens littéral, car je viens de le faire au sens figuré.
— Tu es très courageuse, j’aimerais oser faire pareil.
Les commentaires étaient très divers. Certains voulaient que j’arrête et d’autres m’encourageaient à le faire, car cela allait être sensationnel. Moi, j’avais l’intention de passer à l’acte. Leurs commentaires ne me faisaient donc ni chaud, ni froid.
Avant cela, j’avais décidé de programmer un dernier texte pour mon blog, un texte détaillant la manière dont j’allais mettre fin à mes jours. Ledit texte devrait être posté automatiquement à quinze heures, le même jour.
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« Dans quelques minutes, je vais descendre de ma chambre, le téléphone dans une main et une corde dans l’autre. Cette corde, je l’ai trouvée dans le local d’outils de la maison... Je ne sais pas vraiment ce que mes parents faisaient avec cette corde. Tout ce que je sais, c’est qu’elle me sera utile pour faire ce que j’ai à faire. En ce moment, ma mère serait toujours à la cuisine en train de concocter l’un de ses repas dont elle seule a le secret. Je vais donc me faufiler dans le jardin, un jardin au milieu duquel se trouve un grand arbre qui ne donne presque jamais de fruits. À l’aide d’un escabeau se trouvant dans le jardin, je vais attacher la corde au grand arbre et pendant ce temps, le téléphone sera posé au sol, contre une pierre, et la caméra dirigée vers les branchages.
Les minutes vont passer et je suis certaine que le nombre de personnes suivant ce live ne va pas cesser d’augmenter. Avec un peu de chance, nous serons peut-être à sept ou huit-cents personnes connectées. Après avoir minutieusement fait le nœud, je reviendrai vers le téléphone afin de mieux le poser pour que toute l’audience puisse suivre le moment tant attendu. Je vais poser le téléphone sur le sol en l’adossant à une pierre.
Je suis certaine que les commentaires seront encore plus nombreux et vont défiler à vive allure comme lors des lives des stars interplanétaires. Je vais tourner dos à la caméra, marcher lentement tout en fixant la corde et le nœud que j’aurai fait quelques minutes plus tôt.
Près de l’escabeau, je fixerai une dernière fois mon téléphone sans pour autant lire ce que les gens diront. Je serai bien trop loin pour lire quoi que ce soit sur cet écran frappé par les rayons du soleil.
Je vais donc gravir les marches de l’escabeau. À la bonne hauteur, j’attraperai la corde et mettrai ma tête dans le cercle. Je fermerai le nœud d’échafaud, ferai un grand soupir, donnerai un coup de pied à l’escabeau, puis me laisserai tomber dans le vide. Durant plusieurs secondes, je me balançerais dans le vide tentant de me débattre, même si cet acte est fait de mon plein gré. Et après quelques secondes, plus rien. Je serai morte, inerte, le corps sans vie accroché à la corde. Quelques minutes plus tard, je suis persuadée que ma mère viendra et se rendra compte de ce qui s’est passé.
Désolée, maman. Désolée, papa. Je n’en pouvais plus.
Au revoir… »