Le Suprême et le Mentor

10 septembre 2021

Chapitre I

Les différentes religions de ce monde étaient constituées de personnes aux bons cœurs, capables de venir en aide aux nécessiteux. C’était d’ailleurs l’une des missions les plus honorables qui soient dans ce bas monde. C’était d’autant plus honorable quand on voyait le nombre de personnes aux intentions noires qui n’hésitaient pas à piétiner les autres pour avoir ce qu’ils voulaient.

Toute cette histoire avait commencé dans la ville de Marseille, en France. Dans cette belle et grande cité phocéenne vivait Daniel Verdon, un jeune prêtre de trente-deux ans qui appartenait à l’un des regroupements religieux de la ville.

Daniel avait intégré la congrégation de Marseille depuis peu en provenance de la grande capitale française. Tout ce que les autres prêtres savaient sur lui était qu’il était exemplaire en tant qu’homme de Dieu et que son plus grand défaut était sa timidité. Daniel était réellement timide : il manquait d’empathie naturelle envers les autres. Tout ce qui l’intéressait était de célébrer ses messes, discuter quelques fois avec certains fidèles, exécuter les différentes tâches que lui confiaient ses supérieurs… Les rencontres entre prêtres dans le but de passer du temps ensemble n’étaient pas l’une de ses activités favorites. Tout le monde savait donc que le prêtre Daniel était timide et on l’acceptait ainsi. C’était même l’une des valeurs que prônait la congrégation ; accepter l’autre tel qu’il était sans le mettre mal à l’aise.

*

Les semaines passaient et l’atmosphère était la même. Daniel se plaisait dans sa nouvelle ville et l’on ne pouvait pas en dire autant de plusieurs autres personnes. En effet, la situation politique était assez tendue dans le pays. Les Français vivaient dans une atmosphère quasi dictatoriale où plusieurs hommes politiques se voyaient menacés dès qu’ils prenaient des décisions ou faisaient des déclarations qui allaient à l’encontre des opinions du pouvoir en place. Des morts non élucidées, des personnes disparues du jour au lendemain, des agressions répétées, des menaces de mort… Voilà quelques-unes des nombreuses conséquences qui pouvaient s’abattre sur une personne qui osait défier le Président Arthur et son gouvernement. Malgré le fait que le gouvernement prônait une réelle démocratie, les dessous de ce régime étaient tout autre. La dictature était donc voilée par une démocratie en carton qui s’effritait à chaque fois que quelqu’un prenait position en public et contre le gouvernement en place.

Le père Daniel était très intéressé par l’actualité politique en général et en particulier par les personnes qui tenaient tête au président et ses décisions. Cet intérêt du père Daniel n’était pas anodin. Le jeune prêtre avait l’intention d’aider ces personnes afin qu’ils soient — ou, du moins, se sentent — plus en sécurité dans le pays. Pour le père Daniel, il était impensable d’être Français et de se sentir perpétuellement menacé sur le territoire. Il fallait donc adapter cette situation et le jeune prêtre se sentait de taille pour cette mission.

Le prêtre décida donc de contacter José Dominguez, un politicien d’origine portugaise et naturalisé français, un farouche opposant du pouvoir en place. Les deux hommes se donnèrent rendez-vous dans le bureau du prêtre afin d’avoir une discussion — loin des caméras et des regards indiscrets. Le jour du rendez-vous, l’homme politique vint à l’heure et fut chaleureusement accueilli par le prêtre Daniel.

— Bonjour. Comment allez-vous, homme de Dieu ? demanda humblement José, l’homme politique.

— Je vais bien par la grâce de Dieu. J’espère pouvoir en dire autant de vous, répondit le prêtre.

— Je vais bien également, mais reste à savoir si c’est par la grâce de Dieu.

— Je vous rassure, nous vivons tous selon la grâce de Dieu et aucun être ne déroge à cette règle. Ni vous, ni moi, ni personne d’autre. 

— C’est votre avis en tant qu’homme de foi, pas le mien.

— Vous savez que ce que je dis est vrai. Vous savez que Dieu existe et qu’il agit sur le monde dans lequel nous vivons. Vous avez forcément vu ses diverses actions dans votre vie. J’ai la nette impression que vous, hommes politiques, avez souvent honte d’admettre l’existence de Dieu ; même si vous faites semblant devant le peuple de par le passé catholique de notre pays.

— Avez-vous déjà vu l’une de mes interventions où je parle de Dieu ? Je laisse ce soin au piteux président qui gère ce pays. Je suis sûr que vous ne m’avez pas appelé pour parler de Dieu, sourit l’homme politique.

— Je vous donne raison, répondit le prêtre Daniel avec un léger sourire au coin de la bouche. Je vous ai appelé, car vous êtes en danger ; et ce danger est imminent. 

— Depuis que je suis né, j’ai toujours été en danger. Cela est d’autant plus vrai maintenant que j’ai décidé de m’ériger contre ce dictateur de président qui se trouve à la tête de notre beau pays. Mes assistants lisent tous les jours près de sept mille messages dont la moitié sont des lettres de personnes qui me détestent. Ils lisent des lettres de menaces de mort dans lesquelles les personnes décrivent comment ils vont m’assassiner. Tout cela pour vous dire que je suis conscient du monde dangereux dans lequel je vis. 

— Le danger dont je souhaite vous faire part n’est pas un danger du genre à vous envoyer une lettre de menace de mort. Ils vont vous tuer et personne ne pourra vous venir en aide si vous n’êtes pas préparé à ce qui est en train de se passer. Actuellement, il n’y a que moi qui peux vous aider à vous en sortir indemne. 

— Vous servez Dieu ou vous vous prenez pour Dieu ? Pourquoi pensez-vous que vous êtes la seule personne pouvant me venir en aide ? s’étonna l’homme politique. 

— Les gens du pouvoir vont attenter à votre vie et je doute qu’ils ratent leur coup. Pensez ce que vous voulez, mais je suis la seule personne dans ce pays pouvant vous aider à rester en vie, avertit le père Verdon.

— Vous pensez ? demanda Dominguez en se levant de la chaise sur laquelle il était assis. Je suis assez grand et je sais comment me défendre. J’ai des gardes du corps. Je n’ai pas besoin d’un homme de Dieu pour me venir en aide. Je n’ai rien contre vous, mon Père. Occupez-vous de vos fidèles ; c’est votre mission, dit-il en se retournant pour sortir du bureau du prêtre.

— Attendez. La prochaine fois, quand vous allez vouloir m’appeler, faites-le sur ce numéro, depuis une cabine publique, insista le prêtre Daniel en tendant une carte à l’homme politique. 

— Et qui vous a dit que je vais vous appeler ? demanda Dominguez avec un sourire dessiné sur le visage.

— Croyez-moi, insista l’homme de Dieu.

L’homme politique ne comprenait pas vraiment de quoi voulait parler l’homme de Dieu. Néanmoins, le prêtre Daniel savait parfaitement ce qu’il faisait.

*

Deux jours plus tard, l’homme de Dieu prit les journaux et lut aux gros titres : « Tentative d’assassinat sur la personne de l’opposant José Dominguez. »

En effet, l’homme politique venait d’échapper à une grosse explosion qui avait emporté toute sa maison. Heureusement qu’il avait passé plus de temps que prévu dans le restaurant dans lequel il avait dîné avec des membres de son parti. Ce fut la première grosse tentative d’assassinat à son encontre. Après avoir lu les journaux, le prêtre Daniel s’attendait à ce que l’homme politique l’appelle afin qu’ils continuent leur discussion d’il y a deux jours.

Le prêtre Daniel ne reçut aucun coup de fil.

Trois jours plus tard, et dans le même journal, le prêtre lut une deuxième tentative d’assassinat à l’encontre de la personne de José Dominguez. Cette fois-ci, ce dernier passa le coup de fil depuis une cabine téléphonique comme l’avait indiqué le prêtre quelques jours plus tôt. Le prêtre lui donna rendez-vous à nouveau dans son bureau ; au plus vite.

Une fois dans le bureau, les deux hommes entrèrent dans le vif du sujet 

— Vous avez menti, homme de Dieu, s’emporta l’homme politique en s’asseyant sur une des chaises dans le bureau. 

— À quel propos ? répliqua le prêtre d’un air étonné. 

— Vous aviez dit que si le pouvoir en place voulait me tuer, il n’allait pas me rater. Deux tentatives et je suis toujours en vie.

— Vous avez peut-être de la chance. Et qui vous a dit que c’est le pouvoir en place qui a tenté de vous tuer ? demanda le prêtre. 

— Qui voulez-vous que cela soit ? demanda l’homme politique. 

— Peut-être moi, répondit le prêtre avec un sourire sur le visage comme pour faire une blague. 

— Elle est bonne votre blague ! dit l’homme politique en riant. Alors que me proposez-vous pour ma protection ?

— Vous vous retirez de la scène politique. C’est ce que je vous propose. 

— Quoi ? Vous êtes tombé sur le crâne ? demanda Dominguez. 

— Contrôlez votre langage. Nous ne sommes pas des collègues-politiciens. Là où vous êtes, je suis la seule personne qui peut vous aider à rester en vie. Vous avez déjà sur le dos deux tentatives d’assassinat et je pense que ce n’était pas la dernière. Si vous avez envie de prendre le risque de mourir alors vous pouvez sortir de ce bureau. Je ne vous donne même pas une semaine et vous allez finir, au mieux, dans un sac de morgue, ou, au pire, jeté dans le port, enchaîné à une grosse pierre. Vous avez le choix : soit vous tentez votre chance tout seul, soit vous me laissez vous aider à sauver votre vie.

L’homme politique resta figé quelques secondes après le monologue du prêtre. Il comprit que son interlocuteur avait raison. 

— OK, très bien. Que proposez-vous ?

— Bonne question. Je suis dans cette église depuis peu, mais j’ai déjà vu plusieurs dizaines de personnes dans des situations pareilles à la vôtre. Ils ne sont pas menacés de mort comme vous, mais ils ont besoin d’un nouveau départ. Ce que je veux, moi, c’est créer un endroit loin de la civilisation où les gens qui gênent le pouvoir en place, comme vous, puissiez avoir un nouveau départ, puissiez vivre une nouvelle vie loin de toute civilisation et loin des coups bas de la vie. Vous savez, vous avez besoin de cela. Aujourd’hui, vous avez plus de vingt ans d’expérience dans la politique. Vous luttez pour des causes que vous-même savez, au fond de vous, qu’elles sont vouées à l’échec. Vous savez au fond de vous que vous ne pouvez pas gagner ce combat, car vos adversaires sont plus forts que vous. Ils ont des moyens financiers bien au-delà de votre parti et vous ne pouvez pas combattre cette politique. 

— Pourquoi pensez-vous que je ne peux pas survivre dans ce monde ? Comme vous venez de le dire, j’ai survécu durant vingt années dans ce monde de sauvages.

— Je peux vous dire une chose. Jusque-là, vous aviez à vous méfier de vos ennemis politiques. Mais je pense que dans les prochains mois, vous aurez plus à vous soucier de vos amis. Je parie que dans votre entourage immédiat, vous doutez de la loyauté de certains de vos alliés. Ai-je tort ? demanda l’homme de Dieu. 

José Dominguez ne répondit pas et ce silence en disait long. Le prêtre reprit la parole.

— Pour vous montrer ma bonne foi, je démissionne de mon poste dans cette église. 

— Pourquoi ? Pourquoi vous laissez votre Dieu pour des personnes aussi désespérées que nous ? 

Après avoir entendu le mot « désespéré » de la part de l’homme politique, le prêtre comprit qu’il avait réussi à rallier José Dominguez à sa cause. 

— La mission d’un homme de Dieu n’est pas forcément de servir Dieu. Cela peut également passer par servir les autres. Aider les personnes qui sont dans le besoin. C’est aussi mon rôle.

L’homme politique resta longtemps silencieux et pensa à ce que venait de lui dire ce prêtre qui se tenait devant lui. La discussion fut terminée par un accord entre eux deux.

Le prêtre avait donc un puissant allié rattaché à son projet. Il démissionna de son poste de prêtre – comme prévu – et se consacra à sa nouvelle mission. L’ex-prêtre Daniel créa un nouveau centre sur une superficie d’environ deux hectares. Toute l’installation fut financée par l’homme politique qui, au fil des discussions, avait complètement adhéré à la cause.

À cette cause, tous deux avaient réussi à rallier plus de quarante personnes. Il s’agissait d’exilés politiques, de réfugiés, d’immigrés, de marginaux, et autres personnes rejetées par la société. Ce centre était une sorte de ville dans la ville phocéenne. Les habitants pouvaient y trouver tout ce qu’ils voulaient. Ils n’avaient pas de factures à payer et pouvaient apprendre à renaître. Tous se sentaient heureux et le « Suprême Daniel » — son titre honorifique — faisait tout pour que ce bonheur dure.

De jour en jour, l’endroit devenait l’endroit le plus sûr de la ville. Toute personne pouvait s’y sentir heureuse. Des gardes surveillaient l’endroit à toute heure afin de garantir la sécurité des habitants. Les agents de sécurité étaient les alliés des résidents. Tous les habitants étaient donc en paix et vivaient dans une harmonie presque parfaite, comme promit par le Suprême Daniel. Tous les mercredis, les membres de la communauté devaient assister à une sorte de messe animée par le Suprême Daniel en personne. C’était l’occasion pour les habitants d’être en contact avec leur sauveur, celui qui guidait la communauté. Pour ce mercredi, le Suprême Daniel ne manqua pas son rendez-vous. Dans cette grande salle remplie, l’ancien prêtre devrait s’adresser à ses disciples. Devant l’assemblée, il prit la parole. 

— Chers fidèles ; encore une fois, une grande joie m’anime quand je vous vois tous aussi heureux et si brillants. Vous avez réussi à vous détacher du monde extérieur afin de vous concentrer sur vous. Nous avons soigné les toxicomanes, nous avons annihilé la pauvreté, nous avons atteint des objectifs nobles. Ici, vous êtes appelés à atteindre un niveau inimaginable, la meilleure version de vous-même. Je suis fier de vous et de vos progrès. Je suis également fier de moi. Je suis fier d’avoir eu cette idée qui a permis à plusieurs dizaines de personnes de changer de vie. Vous étiez des personnes rejetées par la société et je vous ai pris en charge. Je vous nourris, je vous habille, je vous héberge. Je n’attends rien de vous à part un travail sur vous-même afin de devenir de meilleures personnes. J’attends également de vous un respect des différentes règles de la maison, car toute société est régie par des règles. C’est la présence des règles qui devrait maintenir la paix, la quiétude, l’harmonie, le respect dans lequel nous avons vécu jusqu’ici. 

Après avoir fini son discours, un des disciples leva la main dans le but de poser une question. 

— Oui, Martin, tu as une question ? demanda le Suprême Daniel avec un sourire sur le visage. 

— Oui, Suprême. J’ai une question. Cela fait quelques jours que je n’ai plus vu le Mentor José, commençait par dire l’habitant avant de se faire interrompre par Daniel. 

— Oh, José. Il est l’une des personnes qui maintiennent cette communauté. Il est donc à l’extérieur et règle quelques problèmes administratifs que nous avons avec le gouvernement français, ainsi que la gestion de notre budget financier. Il travaille sur un grand projet dont seul lui-même peut s’y investir. Il reviendra d’ici quelques semaines. C’est grâce à lui que nous recevons des financements et c’est aussi la raison pour laquelle vous ne payez rien. Je ne vous demanderai jamais le moindre centime. Je remercie notre Mentor d’être l’un des piliers de notre groupe.

*

Durant les jours qui suivirent, les choses se passèrent comme prévu. Les membres de la communauté respectaient les règles au grand bonheur du Suprême Daniel. Les nouveaux habitants qui rejoignaient la communauté étaient bien accueillis et vivaient bien. L’endroit était calme et les activités étaient variées dans le but d’épanouir davantage les habitants. Tous vivaient une vie de rêve et le Suprême Daniel se réjouissait d’être en bonne voie sur sa nouvelle mission. Mais, visiblement, c’était le calme avant la grosse tempête.

Un jour, l’une des ménagères du groupe rangeait le bureau du Suprême quand elle vit une lettre dans la pile de dossiers posée sur son bureau. Il s’agissait d’une lettre écrite par José Dominguez et qui pouvait s’apparenter à une lettre de suicide de la part de ce dernier. La ménagère était face à une situation qui la dépassait. Très vite et ne pouvant garder cette information capitale pour elle, la ménagère alla informer une de ses collègues. Elle discuta de cela avec une collègue de confiance qui l’interrogea :

— Tu es sûre de ce que tu as lu ? Nous sommes en train de parler du Suprême Daniel. Pourquoi nous mentirait-il si le Mentor José s’était suicidé ?

— Je ne sais pas. Moi, je te dis juste ce que j’ai vu…

— Tu as vu autre chose de suspect dans le bureau du Suprême ? demanda la collègue de la ménagère.

— Non, rien d’autre. Mais quand même, je n’ai pas fait attention. La lettre m’a fait paniquer et j’ai dû quitter le bureau à toute vitesse. Répondit la jeune fille.

— Cette affaire nous dépasse. Tu te rends bien compte de cela n’est-ce pas ?

— Promets-moi que tu ne vas en parler à personne. Je n’ai pas envie de perdre mon travail.

— Oui, je comprends… 

Le lendemain, la confidente révéla l’information. Telle une traînée de poudre, la nouvelle se répandit dans toute la communauté. Dans la foulée, le Suprême Daniel avait également appris l’information. Durant deux jours, il ne se prononça pas sur la nouvelle et personne ne savait réellement quoi penser. Il fallait attendre le mercredi, lors de la grande messe hebdomadaire, pour espérer entendre la version du guide, de celui que tout le monde suivait.

Le mercredi venu, le Suprême Daniel fit une des mines les plus sincères qui soient. Il avait l’air attristé et dévasté par ce qu’il allait dire ; il prit la parole :

— Mes chers disciples, chaque jour, nous faisons de notre mieux dans le but de vous rendre heureux et d’être la base de votre épanouissement. Dans cette mission que j’ai commencée avec le Mentor José, je me suis promis que j’allais être transparent avec vous tous afin que notre vie commune, loin du monde, soit parsemée de confiance. Étant un ancien prêtre, je me dois de vous dire la vérité. Vous avez appris le décès de notre frère, de votre Mentor, de notre ami José. Vous l’avez appris d’une manière qui me dépasse, car, en effet, il n’est pas mort. Il est bel et bien en vie et je ne sais pas pourquoi des gens laissent échapper de telles nouvelles dans notre communauté. Certainement pour semer le doute et la confusion. 

En parlant, l’ancien prêtre sécha une larme, tandis que des fidèles incrédules avaient des questions importantes à lui demander, mais il continua : 

— Je suis navré, terriblement navré, que certains d’entre vous ne me fassent pas confiance. 

— Où est le Mentor, dans ce cas ? cria un fidèle.

— Il n’est pas ici. Il a des affaires à régler avec Marseille et je ne peux vous en dire davantage ; mais il est vivant. Il l’est. Sachez-le, finit-il par dire avant de descendre de l’estrade.

Une grande partie du discours du Suprême Daniel était convaincante et la majorité des membres de la communauté avait cru à son discours. Néanmoins, il y avait un petit groupe qui ne croyait pas en la thèse du « Mentor trop occupé pour être présent », car cela faisait des jours, et ce n’était pas habituel.

Martin, un jeune qui était très proche du frère José Dominguez, avait été, selon lui, tué, et la lettre de suicide saisie sur un ordinateur n’était pas crédible. Pour Martin et pour quelques autres membres de la communauté, le Suprême Daniel cachait des choses aux autres. Ils décidèrent donc de se lancer dans de petites enquêtes afin de découvrir la vérité sur ce qui était arrivé au Mentor José. Cette mission n’était pas facile, car, à vue d’œil, le Suprême Daniel transpirait la sainteté et il était irréprochable. Il ne laissait rien transparaître pouvant indiquer qu’il était au courant ou même ait été l’auteur d’un meurtre ; et, si tel était le cas : pourquoi ?

*

Les plans étaient ficelés par le frère Martin et sa bande. En effet, durant le reste de la semaine après le discours du Suprême Daniel, ils n’avaient rien trouvé d’anormal. Il fallait donc passer à une vitesse supérieure, et cela passait par le fait de fouiller le bureau du Suprême Daniel. C’était l’endroit où la ménagère avait trouvé des informations compromettantes et, avec un peu de chance, le frère Martin et ses acolytes pourraient également en trouver. Le jour idéal pour fouiller le bureau du Suprême était le mercredi, car il allait passer plus de quatre-vingt-dix minutes à animer la grande messe hebdomadaire. Martin pouvait donc profiter de ce laps de temps pour s’introduire dans son bureau et faire sa fouille.

Ce mercredi, le frère Martin avait procédé à la fouille et avait trouvé des informations bien compromettantes. En effet, le Suprême Daniel gardait des traces écrites de tout ce qu’il avait pu faire. Il avait dans son armoire une pile de cahiers qui s’apparentait à des journaux personnels. Sur le coup, le frère Martin se dit qu’il venait de remporter le gros lot, car ses cahiers allaient lui permettre d’en apprendre beaucoup plus sur le Suprême Daniel. C’était le cas, mais il était pressé par le temps. Il n’avait pas de solution pour faire sortir une dizaine de cahiers en même temps. Il décida donc de n’en prendre qu’un seul, de le cacher sous sa chemise et de l’emmener dans son dortoir. Une fois dans son dortoir, et après avoir passé plus d’une heure à lire tout ce qui était écrit dans ce cahier, le frère Martin découvrit la face cachée de ceux qu’ils appellent tous le Suprême. Le journal qu’il avait pris sur lui était celui remontant au temps où le Suprême Daniel était encore prêtre ou du moins, quelques semaines avant sa démission. Dans ce cahier, le frère Martin pouvait lire toutes les atrocités commises par l’ancien prêtre. En effet, dans le but d’attirer José Dominguez et de le rallier à sa cause, le prêtre avait attenté deux fois à sa vie en payant des hommes pour faire exploser sa maison et tirer à bout portant sur le véhicule de l’ancien homme politique. C’était donc le Suprême Daniel qui avait orchestré tout cela afin de mettre José dos au mur.

Après avoir lu tout le document, le frère Martin se devait de faire un compte-rendu à ses deux acolytes : Luc et Marc. Les trois hommes se retrouvèrent dans le dortoir de Luc. 

— Tu penses que le frère José a découvert ce qu’avait fait le Suprême Daniel et ce dernier l’a tué ? demanda Marc. 

— Pour moi, il n’est plus le Suprême Daniel. C’est simplement Daniel, un meurtrier, répondit Martin. 

— Nous n’avons pas de preuve de ce que nous avançons, les amis. Et même si nous en avons, comment ferions-nous pour le dénoncer aux autorités ? Ici, c’est le Suprême Daniel qui est l’autorité. La police de Marseille ne viendra jamais jusqu’ici.

— Tu fais quoi de la lettre de suicide saisie à l’ordinateur ? De plus, ce journal renferme des aveux écrits. Je pense que c’est largement suffisant pour que cet homme puisse payer pour ses crimes. Il y a d’autres cahiers dans sa chambre et quand j’aurai une nouvelle fenêtre de manœuvre, je pourrai aller en chercher de nouveaux. 

— D’accord, mais sois prudent, insista Marc. 

— Donc depuis tout ce temps, c’est un meurtrier qui nous gère, qui nous prêche la bonne parole et nous invite à rester en paix ? Donc c’est cet homme qui a probablement tué le frère José qui nous invitait à nous aimer dans la communauté et que nous ne trouverons pas une meilleure communauté ailleurs, se demanda Luc avec un visage consterné…

— Je crois, oui, nous avons été dirigés tout ce temps par un homme narcissique qui en réalité ne nous aime point, insista le frère Martin. Vous ne devez parler de cette histoire à personne, même pas aux membres de votre famille. Il faut rester sur vos gardes et savoir que nous avons affaire à un homme dangereux.

La réunion prit fin et chacun avait rejoint ses activités avec de l’angoisse. À la tombée de la nuit, les choses se calmèrent. Les familles étaient dans leur appartement respectif et les gardes sécurisaient toute l’installation. Dans cette nuit, Martin se réveilla brusquement, alluma la lampe de sa chambre et vit quelqu’un assis sur une des chaises de sa chambre. Au début, il avait la vision floue parce qu’il venait de se réveiller, mais après quelques secondes, il vit de qui il s’agissait. 

— Suprême Daniel ? Mais que faites-vous ici ? demanda-t-il d’un air étonné. 

— Suprême Daniel ou juste Daniel ? demanda l’ancien prêtre. 

— Suprême Daniel, bien sûr. Mais que faites-vous ici à une heure aussi tardive ? demanda le frère Martin qui, au fond de lui, était totalement paniqué. 

— Je vais aller droit au but, car il se fait tard. Je ne sais pas si vous le saviez, et je suis certain que vous ne le saviez pas, mais je range de façon très minutieuse mon bureau. (Silence.) À voir la tête que vous venez de faire, nous savons de quoi il est question. Ne vous en faites pas, ce n’est pas de votre faute.

— Où voulez-vous en venir, Suprême Daniel ? demanda le frère Martin. 

— J’ai deux faits absolument fascinants à vous raconter, sauf que je ne sais pas par lequel commencer. Essayons. Tout d’abord, en rentrant de ma grande messe de ce jour, j’ai pu constater qu’il me manquait un cahier important. On me l’a volé. Vous avez une idée de qui pourrait être le voleur ? finit par demander le Suprême Daniel sans attendre réellement de réponse.

— Non, non, non, insista le frère Martin en bégayant. Je n’en ai aucune idée. Il se fait tard, nous pouvons discuter de cela demain ; n’est-ce pas ?

— C’est vous, Martin. Je vais vous expliquer ce qui va se passer. Vous allez commencer par me rendre le journal que vous m’avez volé. Je préfère ne pas me répéter et je serais reconnaissant que vous ne niiez pas les faits, insista le Suprême Daniel. Ensuite, je passerai au deuxième fait.

Daniel comprit qu’il était démasqué. Il fit sortir le journal, se leva et le tendit au Suprême Daniel. 

— Merci. Maintenant, je vais vous expliquer pourquoi tout ce que vous pensez être vrai n’est que fantaisie. Le Mentor José finalise des opérations de grande envergure dans un autre pays, car nous sommes menacés par la ville de Marseille, et de manière plus générale, par le gouvernement français. Le Mentor José a donc racheté, après plusieurs pourparlers, plusieurs hectares de terrain au Nicaragua.

— Vraiment ? Alors pourquoi cette lettre de suicide ?

— Je l’ai rédigée, c’est vrai. Pour lui. Mais il y en avait aussi une pour moi-même ; ces lettres sont préventives. Elles ne sont pas à l’ordre du jour, puisque ni le Mentor, ni moi-même, sommes morts ; mais s’il devait nous arriver quelque chose, ces lettres seraient alors divulguées.

— Mais vous avez commis deux attentats contre lui uniquement pour le rallier à votre cause ! Vous vous servez de lui et de son argent !

— Gardes, cria-t-il, faites-les entrer !

La porte s’ouvrit et des gardes firent entrer Luc et Marc à l’intérieur de la chambre de Martin.

— Vous trois, continua le Suprême Daniel, me posez des problèmes et je n’ai pas l’intention de céder. Maintenant, je vais vous dire ce qui va se passer. Vous allez prendre un papier et un stylo et vous allez rédiger une lettre d’adieu assez émouvante. Vous allez prendre une corde et vous allez vous pendre, devant moi, ici, et tout de suite.

Après quelques minutes d’hésitations et de supplications, les frères Martin, Luc, et Marc, se rendirent compte qu’ils n’avaient pas le choix. Ils s’exécutèrent en s’ôtant eux-mêmes la vie devant les yeux du Suprême Daniel.

*

Le lendemain, c’était la panique totale. Trois événements ayant l’air d’un suicide s’étaient produits dans la même nuit. Tout le monde était dévasté ; y compris le meurtrier de ces trois hommes. Tout le monde était peiné par ce qui se passait. Dans cette cour noire de monde, le Suprême Daniel ne manquait pas de prendre la parole, tel un leader, en proclamant ces mots :

— Chers frères et sœurs. Ce matin, en nous réveillant et en nous apprêtant à vivre à nouveau une journée merveilleuse, nous avons été confrontés à un horrible événement. Trois de nos frères se sont donné la mort pour des raisons que nous ne saurons jamais. Je sais que nous sommes dévastés par cette perte, mais nous devons honorer la mémoire de ces trois piliers de notre communauté. Je sais que cela va être difficile de se relever de ces pertes, mais nous devons continuer ce combat, car c’est notre mission. Pour eux, mais aussi pour nous, car nous devons nous relever, car nous devons continuer de faire de cet endroit un lieu sûr pour nous et pour nos enfants. Nous devons faire de notre mieux pour ne pas nous faire contaminer par le monde extérieur. La paix et l’harmonie doivent être les bases de notre communauté. Nous devons être forts. Même si vous n’avez pas la force d’être fort pour vous-même, soyez-le pour vos enfants, vos parents, vos voisins, vos frères et sœurs de sang. Regardez celui ou celle qui est près de vous et dites-lui : « Nous allons surmonter cela ensemble. » 

Les membres de la communauté s’exécutèrent et tous s’unirent pour traverser ce moment. Dans la foulée, des personnes commençaient par se douter de quelque chose comme les trois défunts quelques jours plus tôt. La réticence et la méfiance commençaient donc par gagner du terrain. À défaut de mener des enquêtes pour savoir ce qui se passait, certains membres tentaient de quitter les installations afin de retrouver leur vie d’avant. Le seul problème était que les gardes avaient reçu l’ordre formel de ne laisser sortir personne. Les nouveaux rebelles décidèrent donc de prendre une approche plus pacifique en allant discuter avec le Suprême Daniel. Ce dernier manifestait un refus catégorique, mais il jurait qu’il laisserait sortir qui le désire au retour du Mentor José.

*

Les rebelles calmèrent leurs ardeurs et firent momentanément confiance au Suprême Daniel. Les jours passèrent et aucune nouvelle du Mentor José…

Le mercredi suivant, après la célébration enrichissante du Suprême Daniel, il enchaîna avec un discours important :

— Je dois également vous parler d’un sujet très important. Ces derniers temps, nous avons traversé ensemble une période de deuil, de soupçons, et de doutes. Cela nous a affectés négativement et notre plus grand souhait est que ce genre de moments n’arrive plus dans notre communauté. Dans cette période que je pourrais qualifier de « douloureuse », des membres ont douté de mon engagement et de ma loyauté envers certains fidèles. Certains se sont également rebellés et ont manifesté une envie formelle de partir, de rejoindre le monde qu’ils avaient quitté il y a quelques mois. Étant un homme de parole, je vais tenir ma promesse, mais avant cela, je vous demande d’accueillir ici, le Mentor José qui est revenu parmi nous après une longue période d’absence.

Toute la salle était surprise et impatiente de revoir le Mentor José. Ce dernier entra dans la grande salle par la porte de derrière avec un pas assuré et un sourire rayonnant. Il avait l’air si énergique qu’il semblait avoir de bonnes nouvelles à annoncer. Il était donc bel et bien vivant et tous les soupçons fallacieux s’effondrèrent.

— Bonjour à ma grande famille ! commença-t-il par dire après que le Suprême lui céda sa place. J’espère que vous vous portez bien. Je me suis absenté quelques semaines pour régler certains problèmes dans le but de mieux nous protéger. Le Suprême Daniel pouvait vous parler de ma mission à l’extérieur, mais il a préféré me laisser cet honneur. Je suis sûr que vous êtes impatient de savoir de quoi il s’agit, alors je ne vais pas vous faire attendre encore plus longtemps. Le gouvernement français a des doutes sur la nature de notre communauté. Ces doutes, dans un futur proche, vont entacher notre paix et notre quiétude. Pour éviter cela, nous, le Suprême Daniel et moi-même avons décidé de délocaliser notre grande famille. Bientôt, nous allons nous installer au Nicaragua. C’est un pays d’Amérique centrale qui ne nous posera aucun problème, quel qu’il soit. Comme vous pouvez vous en rendre compte, cette démarche vise à nous protéger, à nous faire sentir mieux, à ne pas subir les différentes pressions du gouvernement français. Les constructions de nos nouvelles installations ont déjà commencé et se termineront d’ici quelques semaines. Merci à vous tous de vous être inquiétés pour moi, je suis touché, et merci au Suprême Daniel pour avoir enduré tout cela dans le but de me laisser revenir afin de vous annoncer la grande nouvelle. Je suis content d’être de retour parmi vous ! finit-il par dire avec enthousiasme.

José descendit du pupitre et c’était au tour du Suprême Daniel de reprendre la parole.

— Maintenant, vous le savez. Vous savez ce pour quoi le Mentor José était absent tout ce temps. Il est bel et bien en vie. Revenons sur un point important. Certains des membres de cette communauté ont manifesté le désir de se retirer, de reprendre leur ancienne vie dans le monde. Nous prônons la paix et la liberté, alors vous devez savoir que vous êtes tous libres autant que vous êtes. Vous pouvez sortir de cette communauté si cela vous chante. J’avais dit d’attendre le retour du Mentor José avant que cela ne soit possible. Maintenant, vous le pouvez. Si vous pensez que vous aurez une meilleure vie à l’extérieur de ces murs, soyez libres de nous quitter. Nous, ceux qui restent, ne pouvons que vous souhaiter bonne chance. Alors, qui sont ceux qui souhaitent nous quitter ?

La salle resta silencieuse un instant. Quelques secondes plus tard, deux pères de famille levèrent la main et manifestèrent leur désir de se retirer. Deux familles, soit sept personnes, quittèrent officiellement la communauté en quittant les lieux de suite. 

Le Suprême Daniel reprit la parole :

— Ainsi soit-il. À vous qui êtes encore là, je vous remercie pour la confiance que vous placez en nous. Je vous promets que nous allons vivre de merveilleuses aventures, bien au-delà de vos espérances, soyez-en assurés. Restez dans la paix.

Le Suprême Daniel descendit du pupitre et toute la salle applaudit. On pouvait lire de l’admiration et de l’amour dans les yeux des fidèles, car ils venaient de comprendre que cet homme, leur guide, ne leur voulait que du bien.

*

Chapitre II

Depuis ce jour, la communauté était devenue plus solide et les valeurs que voulaient transmettre le Suprême Daniel et le Mentor José étaient de plus en plus respectées. Il y avait encore de nouveaux fidèles qui arrivaient et venaient trouver la paix et ils pouvaient réellement prendre un nouveau départ. Ils pouvaient rencontrer de nouvelles personnes et avaient une nouvelle manière de voir le monde.

La communauté avait un impact phénoménal sur ses membres. De ce fait, le Suprême Daniel était adulé et tout le monde lui vouait une grande admiration. Pour les membres de la communauté, l’ancien prêtre était une sorte de porte-parole de Dieu. Selon eux, il n’existait pas un autre mot pour qualifier un tel homme qui prenait soin d’eux. Il les logeait, il les nourrissait, et il contribuait à leur épanouissement. Les jours se suivaient et les événements venaient confirmer que le Suprême Daniel était vraiment leur sauveur.

Cela faisait une semaine que le Mentor José avait fait son grand retour. Ce matin, le Suprême Daniel était dans son bureau en train de prodiguer des conseils à un des membres de la communauté quand quelqu’un tapa à la porte du bureau.

— Qui est-ce ? demanda le Suprême Daniel.

— C’est moi, José. Il faut que nous parlions d’un sujet.

— Accordez-moi un quart d’heure. Je suis en pleine discussion avec un de nos membres. Vous allez devoir m’excuser.

— Sans problème ; faites ce que vous avez à faire.

Après environ un quart d’heure, quand le Mentor revint, le bureau était libre et la porte était ouverte.

— Vous êtes disponible ? demanda-t-il.

— Que voulez-vous, très cher José ? Ce sont des nouvelles de notre chantier du Nicaragua ?

— Non, non. Le chantier évolue bien. Nous allons pouvoir intégrer nos nouveaux locaux plus tôt que prévu.

— Alors, dites-moi la raison de votre visite, mon cher ami ?

— J’ai discuté avec certains de mes filleuls de la communauté et certains étaient toujours sous le choc des trois suicides.

— Hm, je comprends, murmura le Suprême. Cet événement malheureux. Nous sommes toujours sous le choc, mais nous devons juste nous ressaisir et aller de l’avant. Pour le moment, nous sommes en train de réussir, nous ne…

— Pardonnez-moi de vous couper la parole, mais ma question est de savoir pourquoi une enquête n’a pas été ouverte pour régler ce regrettable accident ?

— Eh bien, comme vous venez de le dire, c’est en effet un regrettable accident. Le suicide est quelque chose de personnel, ils ont décidé de le faire, parce que je pense qu’ils n’ont pas pu trouver la paix dans la communauté, ni dans le monde en général. Nous avons découvert sur les lieux trois lettres d’adieu, ce qui porte à croire qu’il s’agit de trois suicides ; il n’y a donc pas de meurtres.

— Mon enquête ne vise pas à trouver un meurtrier, mais à dénicher le problème qui a poussé trois membres à se suicider dans une même chambre et dans la même nuit. Je connaissais le frère Martin et il se portait bien physiquement et mentalement. Je ne peux pas imaginer ni comprendre les raisons qui ont pu le pousser à se passer la corde au cou. J’aimerais que l’on mène une enquête pour savoir ce qui s’est passé dans cette chambre.

— J’admire votre bravoure pour la mémoire de ces hommes qui nous ont quittés précipitamment. Je comprends parfaitement, mais mener une enquête reviendrait à rouvrir une plaie que les membres de la communauté ont encore du mal à panser. Votre geste est honorable et je vous l’assure, mais il s’agit d’une mauvaise idée. Trop de souvenirs vont refaire surface et je doute que la communauté soit prête à revivre cela. Il s’agit du passé et j’aimerais que cela reste ainsi ; il faut veiller à ce que cela ne se reproduise plus. C’est l’avenir qui importe.

— Je vous comprends. Cependant, si vous ne voulez pas vous en mêler, je me porte volontaire pour prendre en charge cette enquête. Vous avez juste à me donner votre accord.

— Justement, mon cher ami : je ne vous le donne pas. Je ne veux pas rouvrir des plaies qui cicatrisent. Ce sont des souvenirs douloureux pour les familles impliquées. Cependant, nous pourrons enquêter dans un futur proche, mais pas maintenant.

Le Mentor José comprit que sa proposition butait sur un mur. Il n’allait pas avoir gain de cause et cela le frustrait. Il n’avait pas d’autres solutions.

— D’accord. Nous ferons ainsi, conclut le Mentor.

— Merci. (Le Mentor s’éloigne pour sortir du bureau.) Attendez. Vous savez, vous êtes une personne très importante dans notre dispositif et je pense que nous lancer dans des enquêtes pourrait nous faire dévier de nos buts principaux. Restez dans les rangs, cela serait bénéfique pour vous, pour moi, et pour les fidèles.

— Merci pour votre confiance, dit le Mentor en faisant un signe de la tête en guise de remerciement avant de sortir du bureau.

Sur le visage de l’ancien homme politique, il y avait un sentiment d’insatisfaction. Il n’était pas d’accord pour que les choses en reste là et eût bien l’intention de mener une enquête afin de savoir ce qui s’était réellement passé.

Cette discussion avait créé une tension entre les deux plus gros cadres de la communauté et cela pouvait se voir à certains moments. Lors de certaines apparitions publiques, les fidèles ressentaient des désaccords entre eux.

Le mercredi suivant, à la fin de la grande messe, le Suprême Daniel invita le Mentor José à venir se prononcer sur l’avenir de la communauté. Ce dernier s’empara du pupitre et commença son allocution :

— Bonjour, chers frères et sœurs. C’est encore un immense plaisir de me retrouver devant vous aujourd’hui. Ce matin, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer. Notre délocalisation pour le Nicaragua, qui était normalement prévue pour le mois prochain, se fera à partir de la fin de la semaine prochaine. Je vous invite donc à vous préparer, car l’idéal est de vous mettre dans les conditions nécessaires pour que ce transfert se fasse de la meilleure des manières. Vous pouvez dès à présent reprendre vos activités.

Le Mentor José conclut ainsi le discours et les fidèles reprirent leurs occupations habituelles. Le Suprême Daniel s’approcha et demanda d’une voix basse :

— Comment avez-vous fait cela ?

— De quoi parlez-vous ?

— Comment se fait-il que le transfert soit pour la fin de la semaine prochaine sans que je sois mis au courant ? demanda l’ancien prêtre d’une voix ferme.

— Le chef de notre chantier m’a contacté ce matin pour me dire que le chantier pourrait être livré cette semaine. J’ai donc réaménagé le programme. Voilà. Rien de plus.

— Sans m’en parler ? remarqua le Suprême.

— Désolé. J’ai été pris par le temps et cela m’a échappé.

Le Suprême Daniel se retourna brusquement sans dire mot à son interlocuteur. Cela pouvait nettement se voir qu’il était remonté contre le Mentor José.

Les jours suivants, la situation ne se tassa guère. Les deux hommes, en public, avaient une harmonie parfaite, mais dès que les regards des fidèles n’étaient plus sur eux, ils reprenaient leurs attitudes rancunières.

*

Quelques jours plus tard, tout le monde se rendit à l’aéroport Marseille-Provence et s’envola pour le Nicaragua. Ainsi, le gouvernement français – qui soupçonnait la communauté être une secte religieuse – ne pouvait plus mener une enquête.

Les nouvelles installations étaient dans le courant architectural et artistique du style néogothique. L’église était similaire à l’église de Igreja de Santo Ildefonso, située à Porto. Il y avait une façade couverte d’azulejos remarquables. Elles représentaient des scènes de la vie de Saint Ildefonse et des allégories de l’Eucharistie.

 Cette atmosphère offrait un style qui plaisait à tout le monde. Le nouveau cadre inspirait de la joie, une bonne ambiance, et un esprit zen. Tout était donc mis en place pour que leur nouvelle vie soit la plus agréable possible. Tous les membres de la communauté étaient heureux de cette réalisation et ne manquèrent pas de remercier le Suprême Daniel et le Mentor José. Malheureusement, en privé, l’ancien prêtre et l’ancien homme politique continuaient toujours leurs luttes d’idées et leurs désaccords.

*

Un après-midi, le Mentor José était dans la cour en train de lire un livre quand, subitement, il entendit la voix de quelqu’un derrière lui.

— Bonjour, Mentor José ! Comment allez-vous ?

Le Mentor José se retourna et vit un visage familier. Il s’agissait de l’une de ses filleules qui voulaient sans doute discuter avec lui.

— Je vais bien, merci. Et vous, ma sœur ?

— Je vais bien et je rends grâce au tout-puissant. Puis-je vous parler un instant ? demanda la dame. 

— Oui, bien sûr. De quoi souhaitez-vous me parler ?

— Je ne sais pas vraiment comment aborder ce sujet, alors je vais aller droit au but. Depuis un certain temps, j’ai constaté que les relations ne sont plus vraiment bonnes entre vous et le Suprême Daniel. C’est clair que vous faites semblant d’être de parfaits amis quand vous êtes en public. Néanmoins, un œil avisé pourrait vous démasquer.

— Eh bien, on peut dire que vous avez un œil avisé.

La jeune dame sourit ; l’homme déclara d’une voix assurée :

— Bon. D’abord, je vous remercie de vous être confessée et d’avoir fait part de votre constat. Vous savez, dans toutes relations interhumaines, il peut y avoir des tensions ou des querelles. Ce qui est sûr, c’est que le Suprême Daniel et moi-même travaillons sur ce point et nous ferons en sorte d’améliorer nos relations dans les jours à venir.

— Je n’en doute point, mais je suis venue pour vous entendre parler de ce problème qu’il y a entre vous et le Suprême Daniel.

— Ma chère sœur, Félicia, je suis vraiment touché par votre intérêt, mais je ne crois pas que nous ayons besoin de discuter de ce problème.

— J’insiste, Mentor José. Vous avez été là pour moi dans des moments où j’avais besoin de parler avec quelqu’un et la moindre des choses est d’être là quand vous en avez besoin. Vous êtes le bras droit de notre Suprême, vous passez votre temps à écouter les autres et à vous montrer attentionné. La grande question est de savoir qui vous écoute, vous ?

L’intervention de la demoiselle eut un effet positif sur le Mentor José. Finalement, ce dernier raconta à la jeune dame et en toute confiance les différents événements qui ont eu lieu entre le Suprême Daniel et lui. Il raconta à Félicia son envie de faire une enquête sur le triple suicide qui avait été refusée par le Suprême Daniel. Il expliqua également à Félicia que le Suprême Daniel semblait furieux d’avoir été écarté dans les planifications et les projections du transfert de la communauté jusqu’au Nicaragua.

— Oh. Je comprends. Le problème est assez complexe, mais si j’étais vous, je ferais ce que mon cœur me dit de faire. Là, tout de suite, je pense que vous devez mener cette enquête et voir la cause de ces suicides douteux. Je ne sais pas ce que vous pensiez au départ, mais vous devez absolument suivre votre conscience, peu importe ce que dira le Suprême Daniel. En trouvant la cause de ces morts, vous pourrez permettre aux trois familles de faire leur deuil. Vous allez pouvoir aider ces familles à se sentir mieux. Je vous soutiens dans cette enquête, conclut la sœur Félicia.

— Très bien, c’est d’accord. Je vous ai compris et je prends en compte votre remarque. Je vais en tenir compte ; croyez-moi.

Les deux restèrent là et discutèrent encore un quart d’heure, puis la jeune demoiselle se leva et partit rejoindre ses amies. Après cette discussion, la réponse de la sœur Félicia trottinait dans l’esprit de l’ancien homme politique qui trouvait une grande part de vérité dans ce que venait de dire la fidèle. Il ne savait plus quoi faire ; et pour la première fois depuis plusieurs mois, l’idée de désobéir au Suprême Daniel lui traversa l’esprit. Sur le coup, il ne prit aucune décision et voulut d’abord prendre le temps de peser le pour et le contre. Il ne fallut pas plus d’une heure avant qu’il accepte finalement à suivre les conseils de la sœur Félicia. Il fallait qu’il mène cette enquête. Le Mentor José n’était pas à la base un policier, mais il fallait qu’il trouve des informations sur ce qui s’était réellement passé. Il décida donc d’aller rendre visite aux familles éplorées dans le but de récolter des informations. La femme du frère Luc était la première à recevoir la visite du Mentor José.

— Je vous sers un café ? proposa la jeune veuve.

— Oui, avec plaisir ; sans sucre, répondit le Mentor José.

— C’est noté.

Pendant que la dame préparait le café, le Mentor José jeta un coup d’œil à la salle de séjour. Cette dernière était très jolie et sur les murs étaient accrochées les photos de la jeune femme et de son mari. Ils avaient l’air tellement heureux que Luc ne semblait pas avoir une raison de se suicider. Il admirait une belle photo sur le mur où l’on voyait la nymphe avec Luc.

— Nous l’avons prise quand nous nous sommes rencontrés. C’était il y a sept ans. Nous étions si heureux…

— Je suis navré qu’il soit parti si tôt. Je n’ose même pas imaginer la douleur que vous pouvez ressentir, affirma le Mentor José.

— Oui, la douleur est grande. Depuis qu’il est parti dans ces conditions tragiques, je n’arrive plus vraiment à dormir. C’est vrai que la communauté arrive à m’apporter du bonheur et un grand réconfort, mais je ressens toujours l’absence de mon mari. Ce dernier était tout pour moi. Depuis qu’on s’est connu et à chaque grande étape de nos vies, nous étions là l’un pour l’autre, mais là, je suis seule, dans un lit vide et j’essaye jour après jour de sortir la tête de l’eau…

— Je sais que c’est difficile, mais je pense que vous êtes une femme forte et que vous allez vous en sortir. Les autres membres de la communauté sont également là pour vous soutenir ; vous et les familles des deux autres victimes.

— Je vous remercie infiniment ; vous et le Suprême Daniel, car je me demande même ce que ma vie serait devenue si vous n’étiez pas là, assura la jeune femme qui essuya une larme sur sa joue.

Le Mentor José resta silencieux un instant avant de la questionner à nouveau :

— Vous avez constaté quelque chose de suspect avant la mort de votre mari ou même après son départ ?

— Dois-je comprendre par là qu’une enquête est ouverte ? Vous pensez que ce n’est pas un suicide et que mon mari aurait été tué par quelqu’un ? demanda la jeune dame avec un air impatient.

— Non, calmez-vous. Ce n’est pas encore ça. D’abord, cette visite n’est pas officielle. Je me disais que si nous arrivons à déterminer les causes de la mort de votre mari, nous pourrions empêcher d’autres membres de la communauté de… dit le Mentor José qui ne savait pas quel mot utiliser pour terminer sa phrase.

— De finir comme lui. C’est ce que vous vouliez dire ?

— Non, ce n’est pas ça, répondit le Mentor José d’un air gêné.

— Vous n’avez pas à vous en faire. D’ailleurs, j’ai quelque chose à vous dire. Je ne suis pas sûre de ce que c’est, mais je pense que je peux vous faire confiance, annonça la jeune dame qui avait un ton calme et posé.

— De quoi s’agit-il ? demanda le Mentor José.

— Après le décès de mon mari dans nos installations à Marseille, je n’ai pas touché à ses affaires. C’était trop dur pour moi. J’ai été obligée de le faire quand nous avons dû quitter la France. Arrivée ici et en déballant ses affaires, j’ai découvert une lettre écrite par Luc quelques jours avant sa mort.

— De quoi parle cette lettre, madame ? demanda le Mentor José.

— Attendez, je vais vous l’apporter. Vous devez la lire.

— Allez-y. Je reste ici, je vous attends.

— D’accord. Je fais vite.

Après quelques minutes, la jeune femme revint avec un papier dans les mains et le tendit au Mentor José. Après avoir lu les mots qui étaient écrits dessus, l’homme resta figé quelques secondes sans pour autant savoir ce qu’il allait dire.

— Vous en avez parlé avec quelqu’un ? demanda-t-il.

— Non, à personne. Qu’en pensez-vous ?

— Je ne sais pas encore quoi penser de cette note. Elle élimine presque la thèse du suicide, mais elle ne nous donne pas plus d’informations que ça. J’aimerais que vous me rendiez un service, finit par dire le Mentor José.

— Dites-moi. Je suis à vos ordres. Je vous fais confiance.

— Brûlez cette note afin qu’elle ne tombe pas dans de mauvaises mains. J’ai quelques doutes sur la théorie selon laquelle votre mari se serait suicidé. En plus de ça, les deux autres personnes qui étaient proches de lui ont leurs noms dans cette note. Je doute que cela soit une coïncidence.

— Vous pensez qu’il s’agit d’une… commença par dire la jeune femme avant de se faire interrompre par le Mentor José.

— N’allons pas vite en besogne. Nous faisons peut-être fausse route. Brûlez cette lettre et ne dites rien à personne. Je vais continuer mon enquête et je vous tiens au courant.

— D’accord. Je vais de ce pas brûler ce papier.

— Très bien. Maintenant, il faut que je parte, dit le Mentor José en se levant du canapé dans lequel il était assis.

Les deux personnes quittèrent la maison. Ce dernier prit un air pensif. Au fond, il savait que la jeune dame avait raison : ce n’était pas des suicides. Les grandes questions étaient de savoir qui avait tué ces trois braves hommes et pourquoi les avoir tués. Pour obtenir des réponses, le Mentor José devait poursuivre son enquête en faisant attention à ne pas éveiller les soupçons des fidèles.

La sœur Félicia s’éloigna pour rejoindre ses amis, tandis que le Mentor José, sous le porche, se lança dans un monologue :

— Sur qui portait l’enquête que menaient ces trois jeunes et qui les a conduits à la mort ? Qu’ont-ils bien pu découvrir ? Comment connaître celui qui a exécuté ces trois hommes et a fait passer cela pour des suicides ? Et les trois lettres qui ont été découvertes, comment ont-elles pu être écrites par ces hommes si ce n’était pas un suicide ? Le meurtrier les a forcés à les écrire ? Qui a bien pu orchestrer tout cela ?

C’était autant de questions que se posait l’ancien homme politique, mais aucune théorie valable ne lui venait à l’esprit. La grande question était de savoir comment coincer ce meurtrier avant qu’il ne s’attaque à un autre membre de la communauté. Cette découverte était une grande menace et il fallait vite régler ce problème.

Le Mentor José décida de se faire aider par l’homme le plus puissant de la communauté : le Suprême Daniel. D’après le Mentor José, si le Suprême Daniel était au courant de la menace d’un meurtrier dans la communauté, il prendrait des mesures drastiques, ainsi que l’ouverture d’une enquête. Le Mentor José prit alors la décision de parler de sa découverte au chef Suprême.

*

Le lendemain matin après le petit-déjeuner, il se dirigea vers le grand bureau du Suprême afin d’avoir une conversation avec lui.

— Entrez, je vous prie, dit le Suprême après avoir entendu quelqu’un toquer à la porte.

Le Mentor entra dans le bureau et referma soigneusement la porte derrière lui.

— Bonjour, Suprême Daniel. Comment allez-vous ?

— Je vais bien, merci. Que me vaut l’honneur de cette visite matinale ? demanda-t-il à l’ancien politicien qui s’assit sur la chaise pour être face au Suprême.

— Ces derniers temps, nous avons connu quelques tensions qui ont refroidi nos relations amicales si soudées d’il y a quelques mois. Je pense que l’idéal pour nous deux serait d’enterrer la hache de guerre pour le bien de la communauté que nous gérons.

— Je pense que vous avez raison et votre démarche me touche beaucoup. Je suis partant pour qu’on enterre cette hache de guerre. Vous êtes un homme bien et je pense qu’en tant qu’ancien prêtre, le pardon doit guider mes pas. Soyons de nouveau unis pour le bien de notre communauté, conclut le Suprême Daniel.

— Ravi de vous entendre le dire. En parlant du bien de la communauté, j’ai découvert une menace qui nous guette et je pense que si celle-ci n’est pas repérée et éradiquée, nous risquons d’avoir de sérieux problèmes dans un futur proche.

— Pardon ? De quoi s’agit-il ? demanda le Suprême avant de se faire interrompre par le bruit de la porte. Quelqu’un venait de taper à la porte du bureau du Mentor.

— Entrez, s’il vous plaît, s’exclama le Suprême.

Un jeune homme entra et passa rapidement un message au Suprême :

— La sœur Luna va accoucher d’ici quelques minutes. Elle a demandé que vous soyez avec elle pendant ce moment, s’exclama le jeune garçon.

— Excusez-moi, Mentor José ; je dois me rendre là-bas. Une de nos pensionnaires est sur le point d’accoucher et je dois être présent. Pouvons-nous remettre cette discussion pour plus tard ?

— D’accord. Allez-y.

Le Suprême et le jeune homme sortirent du bureau et laissèrent le Mentor tout seul. Il regarda autour de lui. Il fixait les tableaux accrochés au mur, l’horloge et tout le décor du bureau. Subitement, un tableau attira son attention. C’était celui d’un petit enfant vêtu d’un gilet rouge qui pêchait au bord d’un lac. Le Mentor fixa l’image quelques secondes et fut traversé par une illumination :

— Et si je posais un appât pour attirer le meurtrier ? murmura le Mentor José. Je dois mener une enquête.

Il sortit précipitamment du bureau afin de mettre en exécution son idée. Il passa des heures à se demander comment il allait pouvoir poser un piège au meurtrier. Finalement, il eut une idée géniale et subtile. Le lendemain, tout le monde voyait un étrange message collé au grand tableau d’affichage. Sur le papier était écrit : « Je suis au courant de ce qui s’est passé avec les évangélistes qui se sont pendus. Rendez-vous ici à 21 heures. »

Les membres qui passaient devant le tableau et qui lisaient ce message n’y comprenaient rien. Néanmoins, le Mentor avait espoir que le meurtrier, s’il était toujours dans la communauté, allait comprendre ce message. Depuis son bureau, le Mentor José pouvait entrevoir le tableau d’affichage et cela était bien pour son plan.

*

À 21 heures, personne ne se présenta vers le tableau d’affichage. Pendant ce temps, le Mentor José observait depuis son bureau tout ce qui se passait. Pour être discret, il avait éteint toutes les lumières de son bureau.

Quinze minutes plus tard, un homme vint vers le tableau d’affichage. Le Mentor ne pouvait pas très bien voir le visage de la personne, mais il pouvait voir de qui il s’agissait.

— Suprême Daniel ? murmura le Mentor surpris par ce qu’il voyait. Qui d’autre que lui pouvait bien comprendre ce message ?

En effet, décoder le message n’était pas bien compliqué pour un ancien prêtre. « Martin » était dans le texte pour indiquer le prénom d’un des trois hommes tués cette nuit-là. Les deux évangélistes dans le message représentaient Luc et Marc comme dans la Bible. Ces détails avaient attiré l’attention de l’ancien prêtre qui s’était souvenu de ses actes horribles.

— Le Suprême Daniel est-il l’assassin de ces trois hommes ou est-il venu là par pure coïncidence ? se demanda le Mentor José qui n’en revenait pas.

Il fallait mener cette fois-ci des enquêtes dans le but de confronter le Suprême Daniel. Il fallait trouver des preuves pour que cet homme puisse payer pour ses crimes, tout du moins, si c’était vraiment lui qui les avait commis.

Le soir, le Mentor José n’arrivait pas à trouver le sommeil. Il n’avait pas l’énergie nécessaire pour rejoindre sa maisonnette et avait dormi dans son bureau. Finalement, il réussit à s’endormir.

Au petit matin, il fut réveillé par le bruit de son téléphone qui sonnait. Sur l’écran, il pouvait lire « Suprême Daniel ». Le Mentor José eut d’abord l’idée de ne pas décrocher son téléphone, mais finalement il se ravisa et décrocha dans le but de faire comme si de rien n’était :

— Oui, allô ? dit-il d’une voix pâteuse.

— Vous venez de vous réveiller, c’est cela ?

— Oui, j’ai eu une longue et interminable nuit.

— D’accord. Allez vous apprêter. Veuillez me rejoindre dans mon bureau afin que nous puissions finir notre discussion de la fois dernière.

— De quelle discussion parlez-vous ?

— Celle qu’on a commencée avant de se faire interrompre par l’accouchement de l’une de nos membres. Vous vous souvenez ?

Le Mentor José resta silencieux quelques instants.

— Ah, oui, bien sûr. D’accord. Donnez-moi une demi-heure. Je me prépare et je viens vous voir.

— Prenez votre temps, je ne suis pas pressé, finit par dire le Suprême Daniel en coupant la transmission.

Le Mentor José avait une occasion rêvée d’être dans le bureau du Suprême Daniel. Cet endroit pourrait regorger des informations utiles pouvant lui permettre de savoir si le Suprême Daniel était réellement l’assassin.

Après s’être habillé pour sortir, il était prêt à se rendre dans le bureau du Suprême. Avant d’entrer, le Mentor prit son téléphone et appela la sœur Félicia. Une fois cet appel terminé, il se rendit dans le bureau du Suprême.

Le Suprême Daniel et le Mentor José commencèrent par discuter quand quelqu’un vint à nouveau taper à la porte.

— Oui, entrez s’il vous plaît, s’exclama le Suprême Daniel.

— Bonjour, Suprême Daniel !

— Bonjour à vous. Dites-moi tout.

— Je viens de la part de la sœur Félicia. Elle est en train de faire une crise et demande votre présence. C’est assez urgent et vous devez venir tout de suite, s’écria la jeune dame.

— D’accord, je viens tout de suite.

— Je viens avec vous, proposa le Mentor.

— Non, restez ici. Nous devons finir cette discussion aujourd’hui. Je ne veux pas que l’on se lance ensemble dans des courses et qu’on finisse encore par se perdre de vue. Restez ici, je reviens dans dix ou vingt minutes ; je n’en aurai pas pour longtemps.

— D’accord. J’attends votre retour.

Le plan du Mentor José fonctionna ; la crise qu’avait mentionnée la sœur Félicia était un leurre, car tout avait été planifié par le Mentor José quand il avait appelé la sœur Félicia. C’était une stratégie afin d’éloigner le Suprême de son bureau.

À présent, seul dans le bureau, le Mentor José pouvait chercher des éléments et des preuves pouvant lui permettre de rétablir la vérité.

D’abord, l’ordinateur était protégé par un mot de passe. Il en était de même pour le coffre-fort qui demandait une clef. Le Mentor José continua de fouiller dans les tiroirs, mais rien de suspect n’attira son attention. Il n’y avait pas d’armes, pas d’enregistrement, rien pouvant indiquer que l’ancien prêtre n’était un assassin. Le Mentor se rua à l’étage supérieur, car le rez-de-chaussée n’était que son bureau et un petit salon. Dans l’appartement, c’était tout autre chose. Tout comme Martin, quelques semaines plus tôt, le Mentor José découvrit l’armoire dans laquelle étaient cachés les journaux personnels du Suprême Daniel. Il prit le premier cahier posé sur la pile l’ouvrit et comprit à son tour qu’il s’agissait d’un journal personnel. Le Mentor José passa quelques secondes à le lire et comprit qu’il s’agissait d’un récit. D’un geste instinctif, il prit d’autres cahiers et les ouvrit et constata que tous les cahiers étaient des journaux personnels. Sur le coup, il ne savait pas quoi faire. Tout comme Martin quelques semaines plus tôt, il n’avait pas les moyens de transporter cette pile de cahiers hors de l’appartement du Suprême. Il mit donc le premier cahier dans sa veste et descendit. Par chance, le Suprême n’était pas revenu. Le Mentor José alla donc s’asseoir dans le canapé. Il rapprocha de lui la table basse et se mit à jouer au jeu d’échecs.

Après une demi-heure d’attente, le Suprême Daniel revint :

— Toutes mes excuses, mon cher ami, dit-il en refermant la porte.

— Pas de problème, assura le Mentor en revenant s’asseoir sur la chaise pour être face au Suprême qui s’assit également.

— Alors, de quoi voulez-vous qu’on discute ? dit le Suprême Daniel qui avait l’air d’accorder toute son attention au Mentor José.

— Je pense que nous devons renforcer la sécurité dans nos locaux. Nous sommes dans un pays que nous ne connaissons pas vraiment et ne pas avoir une sécurité assez solide pourrait nous surprendre dans certaines conditions. Je voulais vous parler de cela afin que nous puissions prendre une décision ensemble pour renforcer la sécurité de nos membres.

— Bonne idée, mon cher ami. Je pensais à cela aussi. Je crois que je vais vous revenir pour des propositions. À base de cela, nous pourrons prendre des décisions.

— D’accord, je vais également faire quelques propositions.

La discussion entre les deux hommes prit fin et le Mentor José revint dans son bureau avec un des journaux du Suprême Daniel. Il ne perdit pas de temps et se mit à lire ce qui était écrit. C’était avec un grand étonnement qu’il découvrit ce que le Suprême Daniel avait pu faire pour le faire adhérer à sa cause : deux tentatives d’assassinats.

— Et dire qu’il m’avait dit que c’était lui qui attentait à ma vie et je n’ai pas voulu le croire. J’ai cru qu’il était en train de faire une blague, se dit-il.

Après quelques secondes, il reprit son monologue.

— S’il a été capable de payer des gens pour faire exploser ma maison et pour fusiller ma voiture, je pense qu’il serait également capable de tuer ces trois hommes. Sûrement qu’ils ont découvert quelque chose de compromettant sur lui. Nous vivons donc depuis tout ce temps avec un meurtrier ?

L’ancien homme politique était sous le choc. Sur le coup, il ne savait plus quoi faire et ne savait pas non plus à qui en parler.

Le mercredi qui suivit, c’était le jour de la grande messe hebdomadaire. Tous les membres étaient là. Le Suprême Daniel avait pris la parole et comme à son habitude, il prêchait tout ce qu’il y avait de bon dans ce monde. Il était si convaincant que toute cette grande salle était captivée par ses mots. Le Mentor José, quant à lui, était assis parmi les autorités de la communauté. Il regardait tous ces membres ainsi que le Suprême Daniel et se dit : « Tout ce peuple mérite de connaître la vérité. »

Durant cette grande messe, le Mentor José s’en alla afin d’aller déposer le journal dans son appartement. Après la messe, le Mentor José décida de mettre son plan à exécution.

L’homme alla parler de ses découvertes à la veuve du défunt frère Luc. Ensemble, les deux décidèrent de rendre l’histoire publique en exigeant justice pour ce triple meurtre. 

Le lendemain, des affiches avec la mention « Justice pour Martin, Marc, et Luc ! » parsemaient toute l’installation. On pouvait voir ces affiches partout et toute la communauté était au courant de ce mouvement. Certains n’étaient pas d’accord et pensaient que ce mouvement avait été créé uniquement pour profaner la dépouille de ces trois hommes décédés dans des conditions tragiques. D’autres pensaient que cette histoire méritait d’être clarifiée.

Petit à petit, la communauté se divisait en deux clans. Un premier clan qui avait à sa tête le Mentor José et le second clan avec en tête le Suprême Daniel. La situation commençait par se compliquer quand un des sages convoqua un conseil dans le but de calmer les tensions.

Le jour du conseil, l’atmosphère était tendue. Le Suprême Daniel et le Mentor José osaient à peine se regarder. À un moment et débordé par la situation, le Mentor José perdit le contrôle lors de sa prise de parole habituelle du mercredi :

— Mes chers frères et sœurs, je dois vous parler. Il faut arrêter cette mascarade. Nous savons tous que cet homme ne peut plus diriger notre communauté. C’est un meurtrier que nous avons devant nous. Vous ne pouvez pas vous en rendre compte, car cela m’a également pris du temps pour m’en rendre compte. Il est à l’origine du triple meurtre qui a eu lieu quand nous étions encore en France. Il a exigé que ces hommes se pendent. Je ne sais pas comment il a réussi, mais c’est lui.

La foule de fidèles était choquée.

— Vous avez des preuves de ce que vous avancez ? demanda le Suprême Daniel d’un air confiant.

— Non, pas de cela. Je n’ai aucune preuve que c’est vous qui avez tué ces trois hommes.

— Alors, de quoi m’accusez-vous, cher ami ?

— Je n’ai pas de preuve pour le triple meurtre, mais je sais que c’est vous qui avez été à l’origine des deux tentatives de meurtre sur ma personne. J’ai des preuves de cela.

— Et quelles sont vos preuves ? demanda un fidèle.

— Elles sont dans son appartement. Il s’agit d’un journal dans lequel il avait tout planifié. Il avait payé des gens afin que l’on puisse m’effrayer dans le but de me rallier à sa cause. Si vous ne me croyez pas, vous pouvez fouiller dans l’armoire de son appartement.

— Vous n’allez fouiller nulle part ! s’emporta-t-il en haussant le ton.

— Pourquoi ? s’emporta un fidèle. Si vous n’avez rien à vous reprocher, alors pourquoi ne pouvons-nous pas fouiller votre armoire comme le dit notre Mentor ?

— Je suis le Suprême dans cette communauté et personne ne peut me forcer à faire quoi que ce soit. Personne ne va fouiller dans mon appartement ; ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais.

— Vous voyez, reprit le Mentor, cet homme est coupable et c’est notre meurtrier. Je mettrais ma main à couper. Vous avez été démasqué. L’autre soir, quand vous vous étiez pointé au niveau du tableau d’affichage, j’ai eu des doutes. Vous êtes un meurtrier et tous les mercredis, vous venez devant nous pour prêcher la bonne parole et pour demander aux gens de s’aimer. Vous n’êtes qu’un putain de narcissique profondément malade, et je n’accepte plus de rester une seule seconde dans la même pièce que vous, hurla le Mentor José en sortant de la salle.

*

Les jours qui suivirent, les choses ne s’arrangeaient guère pour le Suprême Daniel. Son refus de laisser fouiller son appartement avait été vu par beaucoup de personnes comme un aveu de culpabilité. Les veuves des trois hommes étaient de plus en plus remontées contre le Suprême Daniel, ce qui suscitait de l’empathie chez plusieurs autres membres de la communauté. D’autres ont demandé à quitter les lieux afin de rentrer chez eux. À leur grand étonnement, les gardes ne les laissaient pas sortir. En effet, ces derniers avaient reçu l’ordre de ne laisser personne sortir. Face à ce refus, des groupes se formèrent et allaient protester en face de l’immeuble dans lequel se trouvait le bureau et l’appartement du Suprême Daniel. Plus de la moitié de la communauté était contre l’ancien prêtre. « Nous voulons notre liberté », scandaient-ils à longueur de journée. Pendant ce temps, le Suprême Daniel n’osait pas descendre afin de ne pas subir la colère de la foule.

Dans la soirée de ce jour, tard dans la nuit, le Suprême devait rendre visite à un malade hospitalisé dans la clinique de la communauté. En bas de l’immeuble, les manifestants avaient quitté les lieux et il pouvait donc se rendre dans la clinique en toute quiétude. Le malade n’était au courant de rien et ne se doutait point des rumeurs qui planaient autour de l’ancien prêtre.

À son retour, il eut moins de chance qu’à l’aller. Un des membres de la communauté l’avait reconnu et alerta les autres.

— Meurtrier, meurtrier, meurtrier ! scanda-t-il en alertant ainsi les voisins qui sortirent pour avoir le face-à-face tant voulu entre les deux hommes.

En quelques minutes, l’endroit était noir de monde, les fidèles entouraient les deux hommes au centre du cercle de fidèles. Le Suprême Daniel ne savait pas quoi faire.

— Vous êtes un meurtrier ! commença par dire un des fidèles. Comment avez-vous pu tuer trois hommes ? Trois femmes et des enfants vivent un deuil sans réponse. Comment avez-vous pu leur ôter la vie de la sorte ? Vous n’avez pas honte ?

— Est-ce que vous vous regardez dans le miroir quand vous vous réveillez le matin ? Vous devez avoir honte d’ôter la vie à vos semblables ; peu importe la raison ! cria un autre fidèle.

— Comment doit-on vous appeler maintenant ? s’emporta un autre fidèle. Vous êtes le Suprême Daniel ou l’Assassin Daniel ? Je ne saurais le dire, car cet endroit ressemble de plus en plus à une prison. Des innocents sont enfermés avec les meurtriers et les gardes ne nous laissent pas sortir. Ma famille et moi souhaitons retourner en France. Je suis sûr que d’autres personnes sont dans le même cas et souhaitent également s’éloigner de cet endroit !

Les membres intervenaient à tour de rôle et le Suprême Daniel était sur l’estrade et recevait en pleine face toutes les invectives.

— Assez ! cria-t-il. J’en ai marre de vous entendre. Vous tous, avec votre air pathétique en train de me faire la leçon comme si vous valiez mieux que moi ! Vous ne savez rien de ce que j’ai pu faire pour en arriver là. Vous ne savez strictement rien, alors abstenez-vous de me juger !

— Nous savons ce que vous avez fait. Vous aviez tenté de tuer notre Mentor ; deux fois ! Et vous avez tué de sang-froid trois hommes en faisant passer cela comme des suicides. Il reste autre chose dont vous souhaitez nous tenir au courant ? demanda un des membres.

— Toi, Mike, je te regarde aujourd’hui en train de me traiter de meurtrier, répondit le Suprême, et je pense que tu ne sais pas vraiment d’où tu viens. Tu fais preuve d’une ingratitude déconcertante, car c’est grâce à moi et grâce au Mentor que tu es là où tu te trouves aujourd’hui. C’est grâce à moi que tu as une famille avec qui tu peux être heureux. C’est grâce à moi que ta femme et ta fille vivent en paix ! Tu devrais me remercier au lieu de me juger sur des actes dont je n’ai aucun lien ! cria le Suprême.

Après s’être adressé à Mike, le Suprême Daniel s’adressa à toute la foule.

— C’est moi le maître ici, putain de merde ! hurla-t-il. C’est facile de juger les gens quand on ne sait pas ce qui les a poussés à opérer les choix qu’ils ont eu à faire ! Vous vivez en paix ! Vous ne payez rien, vous vivez dans l’harmonie, vous mangez, vous buvez, tout est gratuit ! C’est moi qui ai créé cet endroit ! Sans moi, vous seriez à la rue, toxicomanes, morts, ou que sais-je ! Sans moi, certains seraient déjà expédiés dans leurs pays d’origine en guerre, comme de vulgaires colis ! Sans moi, vos vies ne seraient pas ce qu’elles sont aujourd’hui ! Vous devriez vous mettre à genoux et me remercier pour tout ce que j’ai eu à faire pour vous ! Et au lieu de cela, vous vous tenez ici, devant moi, à me faire la leçon comme si vous étiez parfaits !

Après quelques secondes de silence, il reprit :

— N’oubliez pas que cet endroit est un refuge pour les personnes brisées qui cherchent un nouveau départ. N’oubliez pas que parmi vous se trouvent des criminels repentis, de probables meurtriers. Vous n’êtes pas parfaits et vous devez être conscients de cela. Moi, j’ai fait des choix dans le but de permettre à un plus grand nombre de personnes de survivre, et si cela était à refaire, je le referais avec plaisir. J’ai une mission : j’ai un peuple à guider. Vous êtes mes fidèles et vous devez me soutenir. Vous devez être convaincus que notre communauté est plus importante que tout ce qui pourrait se passer. Et cette communauté, c’est moi qui la maintiens en équilibre, c’est moi qui fais qu’elle vit et c’est moi qui fais qu’elle rayonne ! Ainsi, c’est vous qui rayonnez ! Vous me devez tout ce que vous possédez, alors non, vous ne pourrez aller nulle part ! Encore une fois, je tiens à vous dire que vous êtes tous importants pour moi et que nous pouvons toujours vivre dans la paix qui nous a toujours caractérisés jusqu’ici. (Silence.) Arrêtez de pointer vos armes sur moi, c’est moi le maître ici, putain de merde ! hurla-t-il. C’est moi qui vous nourris, qui vous habille, qui vous loge, qui vous permets de vivre dans la paix ! J’ai tout fait pour vous ! Vous croyez pouvoir me faire ça à moi ?! Réfléchissez bien ! Maintenant, si vous n’avez pas l’intention de me tuer, vous pouvez me laisser rentrer dans ma demeure ! Baissez vos armes !

Les armes furent baissées, la foule se dégagea et le Suprême Daniel put accéder à son appartement. Toute cette scène s’était déroulée sous les yeux du Mentor José qui était en retrait ; silencieux.

*

Une semaine après, la situation n’avait connu aucune amélioration. Les traitements étaient toujours aussi militaires. Les habitants étaient retenus de force. Il fallait donc que quelqu’un intervienne avec violence dans le but d’arracher le pouvoir au Suprême Daniel.

Un matin, le Mentor José concocta un plan à l’aide de quelques membres. Le but était d’endormir certains gardes afin de s’emparer de leurs mitraillettes dans le but d’attaquer le bureau du Suprême et l’obliger à libérer les membres. Quand les gardes burent ce que le Mentor proposait aux gardes, ils s’endormirent après une trentaine de minutes. Il avait dissous des comprimés de neuroleptiques très sédatifs et les gardes s’endormirent.

Le Mentor et quelques fidèles prirent les mitraillettes et se dirigèrent vers le bureau de l’assassin. Le Suprême Daniel était surpris quand la porte s’ouvrit avec le Mentor et quatre fidèles armés. Il ne s’attendait pas à cela.

— Vous prenez votre radio et vous donnez l’ordre à vos gardes de laisser sortir ceux qui veulent rentrer chez eux, dit le Mentor José en braquant son arme sur l’ancien prêtre.

— Vous vous prenez pour des révolutionnaires ?

— Faites ce que j’ai dit, insista le Mentor José en agitant son arme devant le Suprême Daniel qui prit peur.

Il prit sa radio et donna l’ordre de laisser sortir quiconque souhaitait sortir. Les gardes, à moitié endormis, acceptèrent.

— Nous allons revenir ici dans une heure, reprit le Mentor. Vous ramassez vos affaires et vous foutez le camp de cette communauté. Nous ne voulons plus vous voir parmi nous. Vous avez une heure pour ranger vos affaires et dégager, dit le Mentor José en se retournant pour sortir du bureau du Suprême Daniel ; les fidèles firent de même et refermèrent la porte derrière eux.

Informés de l’action menée par le Mentor José, les membres de la communauté s’étaient rassemblés en bas de l’immeuble. Le Mentor José arriva avec un large sourire dessiné sur le visage.

— Chers membres, je suis heureux de vous annoncer que vous êtes libres. Les gardes ont reçu l’ordre formel de laisser sortir quiconque désire s’en aller. Dans moins d’une heure, l’ancien Suprême sortira et quittera notre communauté. Nous avons ici une belle congrégation et je n’aimerais pas qu’elle disparaisse après ce qu’a fait cet homme. J’aimerais que ceux qui souhaitent rester puissent rester afin de nous reconstruire dans la paix et dans l’amour. Vous êtes libres de partir et sachez qu’après vous, notre combat pour notre épanouissement va continuer. Sachez que vous allez nous manquer, mais nos portes seront grandes ouvertes si vous souhaitez revenir, s’exclama le respectueux Mentor.

Après ce message fort, la foule commença par se disperser quand subitement on entendit un coup de feu provenant de l’immeuble dans lequel se trouvait le bureau du Suprême Daniel. Le Mentor José monta précipitamment pour voir ce qui s’était passé. En ouvrant la porte du bureau, il vit le Suprême Daniel dans son fauteuil avec un crâne plombé par une balle, et une lettre posée sur la table.

Le Suprême s’était buté. La communauté était choquée de cet acte violent envers lui-même et ne comprenait pas les raisons.

Un enterrement fut organisé pour accompagner sa dépouille dans sa dernière demeure. Tous les fidèles savaient que cet homme avait fait des choses horribles, mais il avait réussi à créer une belle communauté. Il avait fait beaucoup de choses pour les fidèles, il avait recueilli des dizaines et des dizaines de miséreux qui, maintenant, sont confiants et heureux. Il était difficile de savoir s’il fallait éprouver de la haine envers cet homme ou s’il fallait plutôt être reconnaissant de tout ce qu’il avait fait.

Le Mentor José devint le Suprême José, et il nomma la sœur Félicia en tant que Mentore Félicia. Elle accepta son grade avec plaisir et remercia mille fois le nouveau Suprême pour la confiance accordée.

La communauté devint solide et les fidèles vécurent dans la paix pendant de nombreuses années. C’était ce que la lettre sur le bureau de l’ancien Suprême demandait. Il voulait travailler dur pour pouvoir assurer un bon avenir à toute la communauté. Il le voulait vraiment. C’était son rêve. C’était sa noble aspiration. Le Suprême José s’en occupa avec honneur, à la mémoire du défunt Daniel qui, espérait-il, reposait en paix…