Au milieu de nulle part

11 juin 2022

Ce beau matin de vendredi avec un soleil doux annonçant la fin de la semaine et le début du week-end, les travailleurs avaient l’air plus relax et moins stressés que les lundis. Les rues étaient noires de monde et les voitures klaxonnaient à tout-va. Chacun essayait de se frayer un chemin dans ce grand embouteillage des matins. Sur le trottoir, le spectacle était similaire à celui qui se déroulait sur la chaussée. Les piétons se bousculaient et chacun voulait dépasser l’autre afin d’aller plus vite vers sa destination. Dans ce vacarme qui ne disait pas son nom, se trouvaient quelques imprudents qui, suite à un moment d’inattention, marchaient sur le pied de leurs voisins, renversaient leur café sur eux, et autres. 

Ce spectacle du matin n’était pas l’apanage de toutes les villes. En effet, la grande ville du sud du pays faisait le plus souvent exception. Cette ville, de quelques milliers d’habitants, était majoritairement habitée par des personnes très fortunées. Seuls les gens appartenant à la haute société pouvaient se permettre de payer les loyers exorbitants des appartements, des bureaux, des hôtels, des restaurants et autres lieux se trouvant dans cette ville de rêve. Cette partie du pays abritait de très larges voies et plusieurs habitants volaient à bord de leur hélicoptère pour atterrir sur le toit de leurs bureaux. Cette ville était loin devant les autres villes grâce à sa technologie, ses grandes maisons modernes, ses bureaux spacieux, ses restaurants de luxe, ses commerces avec les expositions des plus grandes marques de l’univers. 

Dans cette atmosphère de riches pourris gâtés vivait Kurt Harris, un jeune chef d’entreprise qui, du haut de ses trente-et-un ans, pesait plusieurs millions. Kurt était un beau jeune homme, de grande taille aux cheveux bruns coupés. Avec ses yeux bleus, il dégageait un charme qui ne manquait pas de séduire ses vis-à-vis. Le fils unique des Harris avait la carrure d’un véritable chef d’entreprise et cela pouvait se comprendre, car il avait eu assez de temps pour se préparer à ce poste de haute exigence. En effet, contrairement à la plupart des gens de la ville du sud qui ont bâti leur fortune de leurs propres mains, Kurt avait hérité la sienne de son père, Kyle Harris, récemment décédé d’un arrêt cardiaque. Kurt, étant fils unique de ses parents, avait logiquement hérité de l’entreprise familiale qu’il gère depuis bientôt deux ans avec sa femme, Irène, une ravissante jeune femme qui a été d’un grand secours à Kurt dans les moments difficiles de sa vie ; notamment lors du décès de son père.

Depuis quelque temps, la relation entre les deux tourtereaux, amoureux depuis la fac, a commencé par battre de l’aile. Il s’agit des disputes interminables, des désaccords sur les sujets les plus bénignes. Le sujet le plus important sur lequel le jeune couple n’arrivait pas à s’entendre était celui d’avoir un enfant ou pas. En effet, Irène, se sentant prête à accueillir dans sa vie un enfant, mettait la « pression » à Kurt qui était foncièrement contre cette idée. Pour le jeune homme, le temps n’était pas favorable pour faire un enfant, car cela représenterait trop de charges et une trop grande dépense d’énergie ; énergie qu’il aurait aimé consacrer à la réussite de sa mission au sein de l’entreprise laissée par son feu père. Cette manière de penser n’émanait pas totalement de Kurt. Sa mère était la principale garante, car elle trouvait que l’entreprise était bien plus importante que faire des enfants avec Irène. 

La relation entre belle-mère et belle-fille n’était pas ce qu’il y avait de plus reluisant au sein de la famille Harris. En effet, Michelle, la mère de Kurt a eu une dent contre Irène depuis le premier jour qu’elle a mis les pieds dans leur somptueuse maison. La mère du jeune et beau Kurt trouvait que son fils méritait mieux qu’Irène, la fille « d’un comptable de bas étage » et d’une « sage-femme de pacotille ». Michelle méprisait donc tout ce que représentait Irène ; et cette dernière n’était pas la première à subir la fureur de la veuve. Toutes les filles que Kurt avait présentées à sa mère n’étaient jamais bien pour son fils, car la plupart ne venaient pas de familles aisées. Celles qui venaient de familles relativement fortunées, Michelle pensait que ces filles espionnaient peut-être les actions de sa famille pour le compte des entreprises concurrentes. La vieille femme était paranoïaque, ce qui faisait qu’elle protégeait son fils et l’entreprise familiale comme la prunelle de ses yeux. Personne ne pouvait entrer dans la famille sans que sa vie soit passée au peigne fin par les avocats et enquêteurs de la famille. Cela faisait cinq longues années que Kurt et Irène s’étaient mariés lors d’une gigantesque cérémonie. Toutes les grosses figures de la ville étaient présentes à cet évènement qui aurait pu faire passer la fête de l’investiture du président du pays comme une quelconque fête d’anniversaire.

*

Ce vendredi soir, alors qu’il sonnait vingt heures et trente-sept minutes, Kurt rentra du boulot avec un bouquet de pivoines posé sur la banquette arrière de sa voiture. C’étaient les préférés d’Irène, et son mari voulait profiter de cette soirée afin de faire « redémarrer » leur mariage qui filait inévitablement dans le décor. Tous ces efforts, c’était également pour éviter de se réveiller dans les prochaines semaines avec sa tête à la une de tous les grands journaux avec à côté, le mot divorce ou séparation. Un divorce ne serait pas bon pour les affaires, et Michelle, la mère de Kurt, risquerait de péter un plomb si elle apprenait cela. 

Kurt entra donc dans la maison et contre toute attente, personne ne vint à sa rencontre, ni pour lui souhaiter la bienvenue, ni pour prendre son sac. C’était bizarre, car une demi-douzaine de domestiques étaient là pour cela. Le jeune homme avançait d’un pas très peu assuré avec un regard totalement perdu et un sourire ridicule accroché sur le visage en direction de la chambre qu’il partageait presque toutes les nuits avec sa tendre épouse. Au seuil de ladite porte, les bruits provenant de la chambre à coucher indiquaient que son épouse était là et Kurt n’avait plus qu’à pousser la porte. Main sur la poignée de la porte, il s’arrêta et tenta de savoir ce qui se passait à l’intérieur. Curieux, il colla son oreille à la porte et écouta la conversation. 

— Oh oui, je ne pense pas. Nous avons quelques grandes affaires en cours, donc ce n’est pas évident. Alors, tu viens ? demanda Irène à son interlocuteur dont Kurt ignorait toujours l’identité. 

Après la réponse de ce dernier, Irène reprit la parole. 

— D’accord, je t’attends. 

Cette réponse calma les ardeurs romantiques de Kurt qui n’ouvrit plus la porte, mais se dirigea vers l’une des chambres d’amis situées au fond du couloir. 

Une demi-heure plus tard, les ricanements d’Irène ainsi que ceux d’un homme alertaient Kurt. Le jeune homme attendait toujours dans cette chambre, assis sur le lit, la tête entre les mains. Son esprit bouillait et il essayait de s’imaginer ce qui se passait entre cet homme et sa femme. Son cerveau était comme en feu et rien ni personne ne pouvait éteindre cet incendie qui semblait vouloir ravager son couple. Au fond de lui, Kurt savait ce qui se passait et quelque part, il l’a toujours su, sauf qu’il ne voulait pas l’admettre. Il ne voulait pas le reconnaître, car cela reviendrait à incriminer ou à juger sévèrement la femme qui a été là pour lui durant de nombreuses années et qui l’a aidé, à certains moments, à tenir tête à sa mère ou à se montrer à la hauteur des attentes de son feu père. 

Un quart d’heure plus tard, des gémissements commençaient par s’échapper de la chambre conjugale et sans savoir pourquoi ni quand, Kurt se mit à couler les larmes d’un seul œil. Il ne pouvait plus tenir en place. Il sortit de cette chambre d’ami en laissant derrière lui son sac et son bouquet de fleurs et se dirigea vers la chambre conjugale dans laquelle Irène et un autre homme s’adonnaient à une partie de jambes en l’air. 

Dès qu’il ouvrit la porte, Irène sursauta, prit le drap et se couvrit la poitrine. De l’autre côté, son amant qui n’était personne d’autre que Phillipe, son ex petit-ami de la faculté, dû user de ses mains pour se couvrir le sexe. Quelques secondes plus tard, il prit l’un des oreillers pour mieux se couvrir. 

— Attends, Kurt, je peux tout t’expliquer, bafoua Irène couverte de sueur. 

— C’est souvent la première phrase que les gens disent quand ils sont surpris en flagrant délit d’adultère. Qu’est-ce que tu as l’intention de m’expliquer ? Veux-tu me dire que tu n’as pas renvoyé chez eux tous les domestiques dans le but d’accueillir dans notre lit ton amant ? Veux-tu me dire que ce n’est pas parce que tu pensais que j’allais passer la nuit au bureau que tu as invité ce moins-que-rien ici dans notre chambre ? Il y a autre chose que je dois savoir, c’est ça ? demanda Kurt qui avait les larmes aux yeux, tellement choqué par ce qu’il venait de voir. 

Irène était donc assise sur le lit toute honteuse, alors que son amant, totalement gêné, était debout près du sommier du lit, en train de chercher du regard ses habits presque éparpillés dans toute la pièce. 

— Monsieur, veuillez sortir de ma maison, dit Kurt, quand subitement sa femme reprit la parole avec une grande énergie.

— Il n’ira nulle part. Je crois que cette fois-ci, j’en ai marre de tout, soupira Irène en rejetant la couverture qui couvrait sa poitrine, étant maintenant seins nus.

— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Ici, c’est ma maison et je veux qu’il sorte, répliqua Kurt en haussant la voix. 

— Tu oses hausser la voix sur moi ? Je te dis que j’en ai marre et Phillipe n’ira nulle part. S’il sort de cette maison, je sors avec lui et mon avocat t’enverra les papiers du divorce. 

Kurt n’en croyait pas ses oreilles. Pourtant, c’était la jeune femme qui a été surprise en flagrant délit d’adultère qui lui parlait ainsi. 

— Qu’est-ce qui t’arrive ? demanda Kurt, cette fois-ci avec une voix tendre. 

— Rien. J’en ai juste marre de toi et de ta mère. Vous deux, vous me fatiguez. Vous me gonflez. Depuis que j’ai rencontré ta mère, je n’ai pas vécu une seule minute heureuse. Je te suis partout, je serre des mains et je m’efforce de sourire comme si j’étais une femme heureuse. Et toi, avec ton air d’enfant de riche, tu ne fais que te pavaner dans tes costumes sur mesure, de fête en fête à courir tel un chien quand ta maman te siffle. Tu es bien pire qu’une marionnette. À cause de cette femme, tu n’es même pas foutu de fonder une famille. Tu passes toute ta vie dans cette entreprise à obéir à ta mère. Pauvre de toi, pauvre de nous. Désormais, tout cela est derrière nous. Tu n’es qu’un pauvre lâche Kurt, un lâche. Voilà ce que tu es. Lui au moins, il s’assume et est un homme. Tu as beau avoir de l’argent, tu as beau être riche, tu as beau avoir tous les prestiges, tu ne sais pas ce que c’est d’être un homme. Tu as toujours été dans les jupes de ta mère, et la belle preuve, tout cet argent que tu possèdes appartient à ton feu père, et c’est grâce à cet argent que ta maîtresse, que dis-je, ta mère, te manipule à sa guise. Tu n’as jamais rien bâti de tes propres mains, et sans tes parents, tu n’es rien. Tu n’es personne. 

Kurt était debout, complètement figé, à suivre le monologue de sa future ex-femme. Il ne pouvait d’ailleurs rien faire à part écouter. Chaque mot que balançait la femme de Kurt arrivait tel un poignard dans le cœur de ce dernier qui n’en pouvait plus. Il sortit donc de la pièce devant le regard presque compatissant de Phillipe, l’amant.

— Vas-y, va pleurer chez maman. Pauvre lâche, dit Irène alors que Kurt sortit de la chambre en clopinant, traversant la pièce principale pour se retrouver dans le garage. 

De sa poche, il fit sortir la clef de sa voiture qu’il avait garée quelques minutes plus tôt. Il sortit de la maison en défonçant la porte du garage avec l’arrière de la voiture et commença par rouler à vive allure vers une destination inconnue. Tout ce que le jeune homme voulait en ce moment était de s’éloigner de tout cela ; de sa femme, de l’amant de sa femme, de sa mère, de l’entreprise et de toute cette vie. Il voulait faire le vide et cela revenait à conduire, conduire dans cette nuit noire, les phares rivés sur le bitume, les yeux floués par les larmes qu’il tentait tant bien que mal de refouler. Les mots d’Irène avaient eu un impact destructeur et jamais de sa vie, Kurt n’aurait pensé que sa femme, celle avec qui il avait passé une grande partie de sa vie, pourrait lui dire cela. Mais c’était arrivé, et se défouler au volant était l’une des solutions que Kurt avait trouvées pour évacuer sa colère. En roulant, Kurt commençait par sortir de la ville et la voie devenait de plus en plus déserte. Pas d’hommes, pas de motos, pas de voitures, pas de camions, ni aucun engin sur plusieurs kilomètres. Kurt en profita donc pour mettre le gaz. Il criait de toutes ses forces en donnant des coups au volant et accélérait à en casser l’aiguille du cadran de vitesse. Le jeune homme était furieux contre la vie et tout se bousculait dans sa tête. 

À bord de cette voiture dont le moteur ronflait de toutes ses forces – une vieille Ford Mustang –, Kurt se remémora toute sa vie notamment son aventure avec Irène ; cette jeune femme relativement perdue qu’il avait croisée dans la bibliothèque de la faculté et dont il a été épris d’un amour fou sans aucune limite. Kurt se souvint de ces nombreuses heures passées ensemble avec Irène à ricaner et à discuter de tout et de rien. L’homme pensait à ce ravissant sourire qu’avait l’habitude de faire sa femme. Tous ces souvenirs venaient d’un coup et envahissaient l’esprit du jeune homme déjà torturé par ce qu’il avait vu ce soir dans sa chambre conjugale. Il devait également supporter ces douloureux souvenirs. Le plus poignant dans tout cela était les quelques clichés de son mariage avec Irène qui lui revenait et toute la fierté qui pouvait se lire dans le regard de son défunt père. À vrai dire, Irène avait procuré tant de plaisir et de bonheur à ce jeune homme que le fait d’imaginer son monde sans elle était réellement dur à envisager.  

La voie était de plus en plus déserte et le jeune homme ne voyait absolument rien à l’horizon. Kurt aurait vivement souhaité que cette voiture soit beaucoup plus puissante qu’elle ne l’est déjà. Roulant à vive allure sur cette grande voie, et surtout les larmes aux yeux, Kurt se mit soudainement à presser de toutes ses forces la pédale des freins. Le jeune homme venait en effet de s’apercevoir qu’il y avait une personne devant lui. Malheureusement, il n’a pas pu s’arrêter à temps. Il percuta cette personne et la voiture s’arrêta sous un violent crissement de pneus. L’adrénaline était à son paroxysme et la peur d’avoir tué une personne avait envahi le jeune homme qui ne savait pas ce qu’il allait faire. Le monde coulait sur les épaules de Kurt. D’abord, sa femme, et à présent… un meurtre ?  

Kurt, bien qu’il sache que quelqu’un était allongé sur le bitume devant sa voiture, ne sortit pas du véhicule. Il restait assis sur son siège, se saisit d’un mouchoir en face de lui puis s’essuya précipitamment le visage. Il inspira profondément et expira tout aussi longuement. Aussitôt fait, il ouvrit la portière, et une fois à l’extérieur, Kurt entendit un bruit semblable à un gloussement. La jeune fille percutée agonisait. Elle avait l’air de souffrir, ce qui était tout à fait normal compte tenu du choc subi quelques minutes plus tôt. Les gloussements devenaient de plus en plus réguliers. Tout portait à croire que Kurt ne se rendait réellement pas compte de ce qui se passait.  

Dès que Kurt vit la fille sur le sol, il ne pouvait plus rester sur place. 

— Oh mon Dieu, s’écria-t-il en plaçant ses deux mains sur la tête et en tournant sur lui-même en sanglotant. 

Le jeune homme perdit ses moyens et se mit à regarder autour de lui afin de voir s’il y avait des témoins. Il y avait très peu de chances, car avant de percuter cette jeune femme, Kurt n’avait vu personne. 

— Et si elle n’était pas seule ? Je ne peux pas rester sur les lieux. Je ne peux pas, dit Kurt en rejoignant précipitamment et d’un air nerveux sa voiture. 

Il voulut tourner le contact pour démarrer sa voiture quand il se souvint du visage de sa femme, celui qu’elle faisait quand elle disait à Kurt qu’il n’était qu’un pauvre lâche. Fuir cette scène revenait à être lâche. Cela allait confirmer les dires de sa trainée de femme. 

— Merde. Merde. Meeeeeeerde ! cria Kurt en donnant de violents coups de poing à son volant, ce qui déclencha le klaxon. 

Après quelques secondes, le calme revint dans l’esprit du jeune Kurt. Il finit par descendre et les gloussements de la jeune fille se faisaient toujours entendre. Durant plus de trente secondes, Kurt restait là, car son subconscient lui soufflait que dans peu de temps, cette fille rendrait l’âme et cette affaire serait classée. Même après cette durée, la jeune femme tentait tant bien que mal de se défendre. Kurt entra dans sa voiture, démarra et fit reculer l’engin. Il en ressortit et vint s’accroupir près de la jeune femme sans réellement savoir pourquoi il faisait cela. Kurt, en ce moment, avait toujours l’esprit qui divaguait et cet accident n’allait certainement rien arranger. 

— Mademoiselle, comment allez-vous ? commençait par demander Kurt, toujours nerveux. 

Après une fraction de seconde, il reprit la parole. 

— Comment veux-tu qu’elle aille ? Tu viens de la renverser, pauvre abruti, marmonna Kurt en se levant et en faisant à nouveau des tours sur lui-même. 

Kurt, dans la panique, se dirigea vers sa voiture et se saisit de son téléphone. Il voulut joindre sa mère, celle qui selon lui était mieux placée pour savoir quoi faire dans cette situation. En voulant retrouver le numéro de sa mère, les yeux de Kurt tombaient sur le contact d’Irène et le jeune homme se souvint de la dépendance mère-fils dont avait parlé Irène. C’en était trop. Kurt jeta le téléphone dans la voiture et courut vers la jeune fille. C’est à ce moment qu’il prit la peine de bien regarder la victime. Un détail attira son attention. La jeune fille était couchée sur son bras. Kurt la retourna afin qu’elle puisse se coucher sur le dos et dès que ce fut fait, le bras de la jeune femme n’avait pas l’air normal. Il était cassé ainsi que son pied gauche. Tout son visage était recouvert de sang et son habit était déchiqueté à certains endroits, laissant voir plusieurs blessures. La jeune femme souffrait sous le coup de ces différentes fractures. Certainement qu’il y en avait encore d’autres, mais Kurt n’avait pas l’œil avisé pour s’en rendre compte. 

— Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ? se mit à répéter Kurt alors que la jeune femme ne faisait que tourner les yeux sans prononcer le moindre mot. 

Elle ne pouvait certainement pas parler. D’après Kurt, le choc dû à l’accident avait probablement causé des dommages au niveau de sa diction. Kurt se dirigea vers la voiture, reprit son téléphone et composa enfin le numéro d’urgence. Trois bips.

— Allô ? J’ai une femme blessée près de moi. C’est un accident et je vous promets que je n’ai pas fait exprès, commençait par dire Kurt à la personne qui avait décroché son appel. 

— Calmez-vous monsieur. Calmez-vous. Si vous êtes calme, nous pourrons mieux vous comprendre. Alors que se passe-t-il ? demanda la standardiste. 

— J’étais sur la voie. En roulant, je ne l’ai pas vue et je l’ai percutée. Je ne l’ai pas vue. Actuellement, ça ne va pas, dit Kurt avec une voix qui montrait qu’il avait presque envie de pleurer. 

— Calmez-vous. Pouvez-vous la conduire à l’hôpital le plus proche afin que l’on puisse prendre soin d’elle ? Si vous n’arrivez pas à vous retrouver, veuillez consulter votre GPS. Il pourra vous indiquer l’hôpital le plus proche, répondit la standardiste. 

— Je ne pense pas. Je suis au milieu de nulle part, et d'ailleurs (il regarde son GPS), mon GPS ne capte qu’un désert. Ça fait un peu plus d’une heure que je roule et je ne sais même pas où je me trouve. Je ne sais pas vraiment où je suis. Je ne sais pas non plus dans quel sens me diriger pour trouver un hôpital. Dois-je continuer vers une autre ville devant ou dois-je me retourner ? Mais dites quelque chose qui me serait utile, bon sang ! Cette femme va mourir si l’on ne fait rien, dit Kurt, de plus en plus nerveux. 

— Encore une fois, calmez-vous monsieur. Calmez-vous, insista la femme à l’autre bout du fil. 

— Arrêtez de me demander de me calmer ! J’ai devant moi une femme qui se vide de son sang avec des membres cassés. Je peux pratiquement l’entendre respirer d’ici et vous me demandez de me calmer ? Comment peut-on se calmer dans ce genre de situation ?! demanda Kurt furieusement.

— Laissez-moi vous mettre en contact avec une urgentiste. Elle pourra vous guider, répondit la standardiste.

— Faites cela donc, répondit sèchement Kurt. 

Après ces mots, Kurt entendit deux bips. 

— Allô. Bonjour, monsieur. Comment allez-vous ? demanda une personne dont la voix était différente de celle de la jeune femme avec qui Kurt parlait quelques secondes plus tôt. 

— Pourquoi demandez-vous ce genre de choses dans une telle situation ? Je ne peux pas aller bien comme vous pouvez vous en douter. 

— Je sais, monsieur Harris. Je sais, mais il va falloir vous calmer. La vie de cette jeune fille est entre vos mains et si vous paniquez, elle risque de mourir et je suis certaine que ce n’est pas ce que vous voulez. 

— Non, mais… Mais comment connaissez-vous mon nom ? Je ne vous ai pas donné mon nom alors, comment le connaissez-vous ? Qui vous a dit que je suis un Harris ? demanda Kurt tout furieux, car si son identité était révélée dans cet accident, il risquait de perdre gros. 

— Votre numéro de téléphone m’a simplement indiquée qui en est le détenteur.

— Ah, oui. Oui, c’est vrai.

— Décrivez-moi la victime. Donnez-moi tous les détails, car chaque détail peut être important et peut permettre de lui sauver la vie. 

— D’accord. D’accord, dit Kurt en se rapprochant de la victime. 

Après quelques secondes de silence où l’urgentiste pouvait entendre les pas de Kurt, ce dernier reprit la parole. 

— Elle a les yeux qui bougent dans tous les sens. Je crois qu’elle a du sang sur les yeux. C’est dû à quoi ? Comment peut-on avoir du sang sur les yeux ? Comment est-ce possible ? demanda Kurt paniqué. 

— Restez calme et continuez, monsieur Harris. Vous êtes sur la bonne voie. Continuez de me décrire les choses que vous voyez.

— Elle a de nombreuses fractures au niveau du pied. Je crois que son genou est ouvert et son bras est cassé. Elle respire mal, très mal. J’entends presque sa respiration. C’est tout ce que je peux vous dire pour l’instant. Je crois qu’il y a une blessure au niveau de sa cuisse. 

— Vous pensez que c’est tout ? demanda l’urgentiste. 

— Ben ça fait déjà pas mal ! dit Kurt en haussant le ton en signe d’agacement. 

— Il faudra freiner l’hémorragie au niveau de la cuisse. Vous devez donc faire un garrot afin d’empêcher le sang de sortir encore plus. Vous avez une ceinture, un torchon assez large ou quelque chose que vous pourrez attacher autour du haut de sa cuisse ? demanda l’urgentiste. 

— Euh… Attendez, oui ! Oui, j’ai une ceinture, répondit Kurt en mettant le téléphone sur « main libre » et en le posant sur le sol. 

— Excellent. Vous vous en sortez bien. Alors, retirez votre ceinture et nouez-la autour de sa cuisse puis serrez fort. Mais faites attention à ne pas trop appuyer. C’est bon, vous pouvez vous en sortir ? demanda l’urgentiste. 

— Oui, je crois, dit Kurt d’une voix hésitante, en passant la ceinture sur la cuisse de la jeune femme de la vingtaine, en la remettant dans la boucle puis en la serrant. 

La jeune fille n’avait que ses yeux pour exprimer la douleur qu’elle ressentait. Elle ne pouvait prononcer le moindre mot. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était regarder Kurt en se serrant la mâchoire afin que cette douleur puisse être un tant soit peu supportable. Kurt, voyant toute cette douleur dans les yeux de la jeune femme, ne pouvait plus continuer. Il s’arrêta un instant, se dirigea vers sa voiture et se saisit de la boîte remplie de mouchoirs en papier. Il en prit un bon nombre qu’il enfouit dans la bouche de sa victime afin qu’elle puisse avoir quelque chose à mordre quand la douleur allait devenir insupportable. Pendant ce temps, l’urgentiste cherchait à savoir ce qui se passait, mais Kurt n’avait pas le temps de répondre à ces questions intempestives. Après cela, il pouvait à présent nouer la ceinture. 

— C’est bon ! Que dois-je faire maintenant ?! demanda Kurt en reprenant son téléphone, les mains couvertes de sang. 

— Vous ne pouvez pas rester là. Il faut vous rendre dans un hôpital. Durant tout le trajet, je serai avec vous pour vous assister. Elle respire toujours, n’est-ce pas ? demanda l’urgentiste. Ce serait vraiment bien qu’elle ait une assistance pour respirer. Conduisez-la rapidement vers un hôpital, finit-elle par dire. 

— Mais où ? Où vais-je trouver un hôpital dans ce coin perdu de je ne sais où ? demanda Kurt d’un ton agacé. 

— D’accord, d’accord. Calmez-vous. Regardez au loin, vous voyez une ville ? Des maisons, des immeubles, des lumières ou autres ? demanda l’urgentiste. 

— (Il vérifie.) Oui, je crois apercevoir quelques lumières. On dirait une petite ville, je ne sais pas trop. 

— D’accord. Vous devez conduire la victime dans cette ville. Je suis certaine que sur le chemin vous allez trouver une indication vers un hôpital. Allez-y sans perdre de temps, dit l’urgentiste. 

Kurt posa alors le téléphone sur le sol. L’appel se déroulait toujours et cela faisait dix minutes et trente-trois secondes qu’il durait. 

— Désolé, mais il faut que je vous soulève afin de vous mettre dans la voiture. Nous devons aller à l’hôpital, dit Kurt en s’accroupissant devant sa victime pour la prendre délicatement. 

Aussitôt, le jeune chef d’entreprise se rendit compte qu’il n’avait pas encore ouvert la portière de la banquette arrière, là où il allait déposer le corps salement amoché de la jeune dame. Kurt fit donc demi-tour et alla ouvrir la portière puis revint. 

— Tout se passe bien ? demanda l’urgentiste, mais le jeune homme ne répondit guère. 

Il était bien trop occupé à penser à la manière dont il allait se saisir de la jeune femme devant lui. Finalement, il décida de se lancer. Aussitôt que Kurt passait ses mains au niveau des infimes espaces entre le bitume et le corps de la jeune femme, cette dernière ferma les yeux et commençait par émettre des gémissements sûrement liés à la douleur qu’elle ressentait. Kurt réussit à prendre la victime dans ses bras et à la conduire à sa voiture tel un marié prenant sa nouvelle épouse afin qu’ils puissent commencer leurs noces. Dès que la jeune fille fut déposée délicatement sur la banquette arrière du véhicule, Kurt courut pour se saisir de son téléphone. Il remarqua que sa jolie chemise beige était totalement recouverte de sang. Le jeune homme démarra sa voiture, et à grande vitesse, il se dirigea vers la ville. Vu qu’il n’y avait pas de lampadaires pour éclairer la voie, il était difficile pour Kurt de voir les panneaux installés au bord de la voie. De plus, il y avait des fissures sur le pare-brise dues au choc de l’accident.

Au cours du trajet, l’urgentiste était toujours là. 

— Elle est toujours consciente ? Vous devez la maintenir en éveil. Elle ne doit pas s’endormir, indiqua l’urgentiste pendant que Kurt jeta un coup d’œil derrière lui pour voir l’état de la jeune femme. 

Elle avait l’air épuisée et presque à deux doigts de fermer les yeux. 

— Mademoiselle, restez avec moi. Restez avec moi, scandait Kurt, paniqué.

— Oui, voilà, parlez-lui. Elle ne doit en aucun cas s’endormir, dit l’urgentiste qui insistait sur ce point. 

— Demoiselle, ne vous endormez pas, restez avec moi. Il faut que vous restiez avec moi, reprit Kurt en s’adressant à la jeune femme. Madame, vous allez devoir m’excuser pour quelques secondes, dit Kurt en s’adressant cette fois-ci à l’urgentiste qui ne comprenait pas ce que voulait dire Kurt.

Kurt, après s’être excusé, mit une forte musique à en casser les tympans, et aussitôt fait, la jeune fille était à présent plus éveillée qu’il y a quelques secondes. Ses yeux étaient plus alerte, mais elle se tordait toujours de douleur. Avec cette musique rock and roll et tout ce volume, Kurt ne pouvait plus entendre ce que disait l’urgentiste.

Dans cette série de mauvaises nouvelles, une bonne nouvelle s’invita au grand bonheur de l’imprudent conducteur. Il s’agissait d’un panneau indiquant qu’un hôpital se trouvait à un kilomètre de là où ils étaient. C’était donc le moment pour Kurt de mettre les gaz sur cette voie déserte afin d’atteindre en un temps record cet hôpital dans lequel il allait confier la jeune fille aux spécialistes. 

— Nous avons trouvé un hôpital et nous ne sommes plus trop loin, dit Kurt en haussant la voix pour que l’urgentiste puisse le recevoir. 

— D’accord. Allez-y, répondit l’urgentiste.

Dès que la voiture s’arrêta devant ce qui s’apparentait à un hôpital, Kurt regarda dans sa boite à gants où il prit un écouteur qu’il brancha à son téléphone afin d’être toujours en communication avec l’urgentiste. Il descendit ensuite précipitamment du véhicule, ouvrit la portière de la banquette arrière du véhicule et se saisit de la jeune fille gravement blessée. La banquette arrière était recouverte d’un sang noir. Kurt ne savait plus s’il s’agissait d’un tour que lui jouaient ses yeux dans cette nuit noire ou si le sang de la jeune fille avait réellement changé de couleur. 

En marchant vers l’hôpital, Kurt sentit que quelque chose n’allait pas. Il avait fréquenté des hôpitaux tard dans la nuit, mais l’atmosphère n’était pas la même. Dans cet endroit, la plupart des enseignes lumineuses étaient éteintes et l’endroit avait l’air calme. Si calme. C’était à croire que personne n’était de garde. Cela n’empêchait néanmoins pas le jeune homme d’amener vers l’intérieur la jeune femme qui était toujours éveillée même si la souffrance devenait de plus en plus insupportable pour elle.

 Kurt, une fois à l’intérieur, était dépité par le spectacle qui se dressait devant lui. L’hôpital était vide et la plupart des lumières étaient éteintes. Les quelques lampes qui servaient à éclairer l’endroit ne brillaient pas de tous leurs éclats. L’endroit sentait l’abandon comme si une catastrophe s’était produite et avait  obligé les gens à quitter les lieux dans la précipitation. Le comptoir à la réception était désert et les quelques classeurs présents sur ledit comptoir étaient recouverts de poussière. Au loin, on pouvait voir des chambres ou des bureaux dont les portes en vitre étaient à moitié brisées et des chaises dans d’étranges positions. On pouvait également voir sur ce sol insalubre de l’hôpital, l’accoutrement que les patients devaient porter durant leur séjour dans ce centre. 

— C’est bon, vous avez vu des médecins ? Vous pouvez leur confier la jeune femme ? demanda l’urgentiste. 

D’ailleurs, c’était la troisième fois qu’elle posait les mêmes questions sans avoir la moindre réponse de la part de Kurt qui était dans un état de panique totale. Ce spectacle qu’il avait devant lui ne le rassurait guère. 

— Non, il n’y a personne. Y a vraiment personne. On dirait que c'est abandonné. (Silence.) Y a personne, putain !

— Monsieur, calmez-vous.

— Il n’y a rien à part des feuilles par terre. Pas de médecin en vue. Qu’est-ce que je vais faire ? Continuer à conduire en espérant trouver un autre hôpital ? demanda Kurt. 

— Non. Nous n’avons plus suffisamment de temps. C’est une chance qu’elle soit toujours en vie jusqu’à ce moment. Vous devez stabiliser son état afin que l’on puisse tenter de vous envoyer une ambulance ou… dit l’urgentiste avant de se faire interrompre par Kurt. 

— Qu’est-ce que je dois faire ? demanda le jeune homme, fatigué de trimbaler dans ses bras plus de cinquante kilos. 

— Même si l'endroit a l’air abandonné, vous devez pouvoir trouver un lit ou un brancard sur lequel poser la jeune dame. Allez-y, cherchez, intima l’urgentiste. 

Kurt se mit à chercher précipitamment autour de lui, et dans l'une des chambres à la porte cassée, il vit un lit, et, près du lit, une sorte de masque à oxygène qu’il avait l’habitude de voir dans les films. Aussitôt, la jeune fille posée sur le lit, Kurt lui posa le masque à oxygène, se disant que cela allait aider cette dernière à aller mieux. 

— C’est bon, elle est sur un lit. Mais… attendez, dit Kurt qui venait de constater que le garrot qu’il avait fait quelques minutes plus tôt dans le but de freiner l’hémorragie venait de se défaire. 

Kurt paniqua à la vue de la jambe de la jouvencelle qui s’était cassée en plusieurs morceaux au niveau du genou. Du sang coulait abondamment sur le lit et sur le sol de la chambre. 

— Sa jambe s'est cassée en plusieurs morceaux ! Elle perd du sang ! Son garrot s’est défait, hurla Kurt tout alarmé. 

— Vous devez en faire un autre en attendant. Cherchez un bandage ou quelque chose de solide et faites encore le garrot. Il faut vous concentrer sur autre chose. 

— Non, mais je peux lui soigner la blessure. Je dois la nettoyer, chercher une compresse… disait Kurt avant de se faire interrompre par l’urgentiste. 

— Elle peut succomber à cause de l’hémorragie due à la blessure, mais pas à cause de la blessure en elle-même. Arrêtez juste l’hémorragie et nous allons voir ses fonctions vitales. Arrêtez juste l’hémorragie, dit l’urgentiste avec insistance. 

Kurt se dirigea précipitamment hors de la chambre et déambula de pièce en pièce à la recherche du local dans lequel étaient entreposés les outils utilisés par les médecins de cet hôpital. Finalement, il réussit à dégoter un bandage ainsi que de l’alcool qu’il se disait utile pour freiner cette coulée de sang. Une fois de retour, Kurt ne se posa plus de question. Il mit une sorte de mouchoir sur la blessure et à l’aide d’une bande en tissus, il attacha solidement la jambe malgré les plaintes de douleur qu’exprimait la jeune fille à travers son corps qui bougeait dans tous les sens. Après avoir fini cela, armé d'un courage qu’il ne se connaissait pas, Kurt versa de l’alcool dans la blessure, ce qui devint tout d’un coup plus insupportable pour la jeune fille qui, en cherchant à contenir la douleur, s’éjecta de la table et tomba sur le sol avec une grande violence. Sa chute provoqua un bruit sec. Kurt contourna rapidement la table pour venir au secours de la jeune femme au sol et c’est là qu’il vit cette dernière en train de bouger dans tous les sens. 

— Que se passe-t-il ? J’ai entendu un bruit, dit l’urgentiste. 

— Elle est sur le sol et elle fait des mouvements bizarres. Elle est agitée. Elle vibre ! Qu’est-ce qui lui arrive ?! demanda Kurt. 

— Elle convulse. Vous devez la remettre sur la table et lui permettre de mieux respirer sinon on va la perdre, dit l’urgentiste. 

— Quoi ? Un masque à oxygène pourra faire l'affaire ?

— Non, mais qu’est-ce que vous pensez ? Non. Remettez-la sur la table. Il faut l’intuber. 

— Quoi ? L’intuber ? Mais je ne sais pas faire ça ! dit Kurt d’un air paniqué. 

— Je vais vous guider. Vous devez aller chercher du matériel pour le faire. Cherchez dans les placards. Vous trouverez forcément une sonde d’intubation. C’est de ça que vous devez vous servir. Il s’agit d’un petit dispositif en forme de petit tuyau transparent. Je ne sais pas si vous voyez ce que j’essaye de vous décrire, demanda l’urgentiste. 

Après avoir répondu par l’affirmatif, Kurt commençait par marcher dans l’hôpital tel un coq sans tête à la recherche de ce qui pourrait sauver la vie de sa patiente. Dans un petit local, il finit par trouver quelques outils, notamment un scalpel, des tubes, des seringues et ce qui s’apparentait à la sonde. Il courut alors vers la chambre où la jeune femme convulsait toujours sur le sol. 

— C’est bon ! J’ai la sonde ! dit Kurt. 

Le jeune homme aida la jeune femme en la remettant sur le lit. 

— Il vous faut la placer à l’intérieur de sa bouche en faisant attention pour qu’elle passe derrière la langue pour entrer dans la gorge. Vous enfoncez très délicatement, disait l’urgentiste qui commençait par sentir la peur et le stress que pouvait ressentir Kurt.

— L’idée de foutre ma main dans la gorge d’une parfaite inconnue me fout les jetons. N’y a-t-il pas d’autres solutions moins radicale ? demanda Kurt. 

— C’est vous qui l’avez renversé, alors vous devez vous occuper d’elle, dit une voix qui venait de s’inviter dans la discussion. 

— Qui est-ce ? demanda Kurt qui ne comprenait plus rien à ce qui se passait. 

— Je suis le docteur Winters, chirurgien dans cet hôpital en ruine. Je vous ai vu depuis votre arrivée et je peux vous dire que vous ne risquez pas de vous en sortir, ni vous, ni cette fille que vous avez accidentellement renversée à cause de votre insouciance. 

— Mais pourquoi me dites-vous cela ? demanda Kurt qui depuis le début de cet incident avait eu affaire à des gens aimables, contrairement à ce docteur Winters.

— Vous voulez lui sauver la vie, n’est-ce pas ? Surtout, n’enlevez pas votre main de sa bouche. Faites ce que je vous dis si vous voulez la sauver. Enfoncez cette sonde d’intubation endotrachéale dans sa gorge.

Kurt ne se fit pas prier davantage et se mit à la tâche. Il introduisit sa main tremblante dans la bouche de la victime et commença par faire de la place afin de pouvoir insérer la sonde derrière sa langue pour qu’elle puisse mieux respirer dans les prochaines minutes. La victime se laissa faire malgré toute la douleur qui pouvait se lire dans ses yeux. Après s'être fait une place dans la bouche de la jeune femme en ouvrant les cordes vocales manuellement, Kurt entreprit la démarche pour insérer la sonde dans la glotte, puis la trachée. Le regard de la jeune femme commençait par s’intensifier ainsi que ses cris de douleur qui étaient étouffés par la main de Kurt. Le jeune chef d’entreprise ne manqua pas de montrer de la compassion pour la jeune femme même s’il était dégoûté de mettre sa main dans la gorge d’une autre personne. De l’autre main libre, il enfonçait toujours la sonde jusqu’au moment où la victime commença par mordre la main dans sa bouche de toutes ses forces. 

— Elle me mord ! Elle m’a mordue !

— Quoi ? Mais qu’est-ce qui se passe ? Vous avez fini d’enfoncer la sonde dans sa gorge ? demanda l’urgentiste qui était toujours là. 

— Non, mais la situation ne s’arrange pas ! Elle tient ma main dans sa gorge et ne la lâche pas ! Je veux la retirer !

— Surtout pas, dit l’urgentiste. Vous n’avez pas fini d’insérer la sonde, alors, en quelque sorte, votre main est ce qui lui permet d’avoir de l’oxygène mais, en même temps, c’est ce qui la tue.

— L’urgentiste a raison. Vous êtes en train de tuer cette jeune femme. D’ailleurs, vous l’avez amenée ici presque morte. 

— Vous ne m’aidez pas, là !

— Étant donné que vous voulez une aide, écoutez ce qui suit. Votre victime n’arrive plus à respirer parce que son diaphragme peine à compresser ses poumons et tout cela est dû au fait qu’elle a plusieurs côtes cassées sur le flanc gauche. En gros, vous devez accéder à son poumon et le compresser de vos mains. Vous comprenez ? C’est votre seule option. Sinon, elle va mourir.  

— Comment savez-vous qu’elle a des côtes cassées étant donné que… commençait par dire Kurt avant de se faire interrompre par le docteur Winters. 

— Vous n’avez certainement pas fait d’études en médecine, mais moi, si. Je peux voir, entendre et comprendre des choses que vous, vous ne pouvez pas. À défaut de poser des questions qui ne vont pas servir à sauver cette jeune femme, prenez le scalpel que vous avez rapporté quand vous cherchiez la sonde. 

— D’accord, d’accord. Je le prends et maintenant, il faut que je fasse quoi ? demanda Kurt qui avait l’outil dans une main et l’autre main toujours dans la bouche de la fille qui avait l’air de souffrir atrocement. 

— Faites une incision à environ vingt centimètres en dessous de la cage thoracique. C’est par là que vous devrez rentrer. 

— D’accord, dit Kurt en posant le scalpel sur la peau de la victime. 

Kurt hésita et fit l’incision, et comme il pouvait s’y attendre, le sang commença par couler.

— Doucement… Doucement… Doucement… murmura le docteur.

Il jeta l'outil sur le ventre de la fille une fois découpée.

— Maintenant, qu’est-ce que je fais ?! demanda Kurt paniqué. 

— Vous devez compresser son poumon avec votre main. Enfoncez donc votre main à travers la partie incisée et atteignez le poumon, indiqua le médecin.

— Je dois…

— Compresser son poumon.

— Mais…

— Vous devez compresser son poumon.

— Mais qu’est-ce que ça veut dire ?!

— Introduisez votre main dans la plaie que vous avez ouverte.

— OK… OK.

— Trouvez le poumon.

Kurt comprit qu’il n’avait pas le choix. Avec sa main, il se fraya un chemin et se retrouva à l’intérieur de la jeune fille qui se tordait de douleur à chaque mouvement. 

— Mais qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Kurt qui rencontrait des obstacles. 

— Vous avez atteint l’organe ? demanda le docteur Winters. 

— Vous allez y arriver, dit l’urgentiste.

— Je… Ça y est, je… Je l’ai !

— Compressez le poumon.

D’un geste vif, l’homme s’exécuta. La blessée réagit de suite en crachant du sang sur les fines parois qu’avait sa bouche tout en se cambrant, puis resta inerte. Elle entrouvrit machinalement la bouche, permettant à Kurt de libérer sa main.

Kurt s’inquiéta de l’inactivité soudaine de l’atmosphère. La fille semblait morte, et le médecin et l’urgentiste se turent.

— Docteur ! (Silence.) Docteur !

Attristé par la mort de la fille, il retira sa main de sa cage thoracique, et pleura.

Puis il entendit des rires dans son écouteur, d’un homme et d’une femme, des rires qui s’intensifiaient. Kurt jeta l’écouteur au sol.

— Putain de merde ! C'est quoi ce bordel ?!