Alyssa Brandt

27 avril 2022


Toute ville sur laquelle le soleil se lève le matin et sur laquelle apparaît la lune au coucher du soleil a ses anges et ses démons qui la hantent. Des fous rires, de la joie, de l’harmonie entre voisins et autres bonnes vibrations sont ce que l’on peut appeler « anges ». Les disparitions mystérieuses, les ados dépassant les bornes, les braquages, les attentats, les meurtres non élucidés ; voici ce que l’on peut appeler « démons ». La grande ville de l’ouest n’échappe pas à cette loi sauf que depuis plusieurs décennies, les habitants ont nettement l’impression que les anges ont pris le dessus sur les démons. La ville était d’un calme réconfortant. La plupart des habitants étaient d’une gentillesse enivrante et la plupart des autorités étaient d’une loyauté rare et sans faille. D’après la petite histoire, la ville de l’ouest n’a pas toujours été si calme et si rayonnante. Il y a un peu plus de trois siècles, elle a connu quelques catastrophes et les habitants, de génération en génération, ont pris du temps pour reconstruire leur ville. En effet, il y a un peu moins de trois-cent-cinquante ans, un grand incident est survenu au cœur de la ville faisant plus de mille morts, plusieurs milliers de blessés, des bâtiments détruits et bien d’autres pertes. La chose la plus mémorable dans cette histoire était que le drame fut causé par un jeune homme de la vingtaine en colère contre l’administration publique pour certaines erreurs commises. Il incendia alors tout un bâtiment abritant des services de l’État. Des centaines de familles endeuillées, des hôpitaux inondés de blessés, des services de l’État paralysés, une économie impactée, une ville fragile ; c’était là une partie du bilan qui ressortait de ce drame. Depuis ce jour, la ville de l’ouest s’est reconstruite et s’est améliorée sur tous les plans, ce qui faisait d’elle l’une des villes les plus sûres du continent. 

Au sud de la ville, dans un petit village faiblement habité et dans une petite maison en bois, vivait la petite Alyssa Brandt, l’aînée d’une famille de deux enfants.   gée de quinze ans, l’adolescente et son jeune frère Andrew Brandt vivaient auprès de leur grand-mère, Mathilde ; une dame très aimable et très attachée à ses petits-enfants malgré toutes les bêtises que ces derniers pouvaient faire dans une journée. Les deux jeunes enfants n’ont pas toujours vécu auprès de leurs grands-parents. Alors qu'Alyssa n’avait que dix ans, et son frère, tout juste deux ans, ils vivaient, comme la plupart des enfants, auprès de leurs parents biologiques. Malheureusement pour les enfants, les parents n’étaient pas de vrais modèles d’éducation. Mélanie, la maman d’Alyssa, était une alcoolique notoire qui ne faisait que boire. Il ne se passait pas un seul jour sans que la bonne dame ne s’enfile une bonne bouteille de tout alcool qui lui passait sous la main. À plusieurs reprises, elle a été amenée dans un centre de désintoxication, mais le lendemain, elle s’en échappait et reprenait sa consommation de plus belle. Les plus grands écarts de Mélanie n’étaient pas ses fugues des centres de désintox, mais les fois où la police était venue toquer à la porte de la maison pour la chercher, car elle avait commis des délits comme des vols à l’étalage, des bagarres en public, des agressions et autres. Mélanie était violente, et sous l’effet de l’alcool, cette violence se décuplait. Quelques fois, elle en est même arrivée à lever la main sur ses deux innocents enfants ainsi que sur son mari Robert. Pour parler du père d’Alyssa et d’Andrew, il faut dire qu’il n’était pas non plus irréprochable. Ce dernier n’était presque jamais à la maison pour des raisons de boulot comme il aimait souvent dire à sa famille. Avec ses « boulots », Robert pouvait s’absenter un, deux, trois ou même six mois. Des fois, il lui arrivait de s’absenter toute une année sans donner de nouvelles à qui que ce soit. Alyssa, avant ses treize ans, ne sut réellement pas ce que faisait son père. C’est fortuitement qu’elle a écouté une discussion entre sa mère et l’une de ses amies dans laquelle, elle apprit que son père était en effet, un voleur qui avait régulièrement des problèmes avec la justice. Ainsi, toutes ses absences de plusieurs jours, de plusieurs mois étaient dues à ses nombreuses incarcérations. Alyssa n’en revenait pas, mais elle n’avait pas le choix. La jeune fille, durant une grande partie de son enfance, a ruminé sur l’absence de ses parents. Elle a accumulé une grande haine envers ses parents et cette haine s’est d’autant plus accentuée quand elle apprit le décès de sa mère dans un accident de circulation, car elle conduisait en état d’ivresse. 

La grand-mère, Mathilde, récupéra alors les deux enfants, car Robert était en prison et même s’il était en liberté, il aurait donné tout ce qu’il possédait pour se débarrasser de ses deux « morpions » comme il aimait souvent les appeler. La grand-mère de Robert s’occupait extrêmement bien de ses deux petits-enfants qui, petit à petit, reprenaient goût à la vie. La petite Alyssa, autrefois introvertie, n’aimait s’adresser à personne. Elle commença par s’ouvrir au monde et par se faire quelques amis. La jeune fille retrouvait quelque peu sa joie de vivre même si au fond d’elle, elle avait toujours envie d’une famille normale, d’un père et d’une mère qui seraient là pour leurs enfants. 

Un lundi comme tous les autres, depuis plus de deux mois qu’elle avait commencé la petite école du village, Alyssa devait se rendre aux cours. Au portail de l’école alors qu’elle venait de descendre du bus vert qui l’amenait tous les matins à l’école, ses deux meilleures amies, Fiona et Daphné, l’attendaient, sourire aux lèvres.

La jeune fille descendit du bus, vêtue d’un crop top blanc, d’un pantalon noir de taille « skinny » et avec plusieurs bigoudis autour du cou, de ses poignets, et dans les boucles de son pantalon. Elle  avait les cheveux longs et noirs, teints en bleu. Elle portait des lunettes de vue rondes.

— Alors, les filles, ça roule ? demanda Alyssa à ses deux amies. 

— Oui, et toi ? répondirent les deux autres filles en chœur. 

— Toujours la même chose. La vie et ses péripéties : la vie, la mort, l’amour, la haine. Vous savez ce que c’est, n’est-ce pas ? répondit Alyssa sur un ton sadique. 

— Euh non. Nous ne savons pas ce que c’est, répliqua Fiona d’un air étonné. 

En effet, ce n’était pas la première fois qu’Alyssa posait des questions de ce genre. Il lui arrivait souvent de parler de mort, de suicide, de violence, de massacre et autres. Il lui arrivait de commenter avec une certaine admiration et une grande passion les tragédies. Elle était fascinée par le côté sombre de la vie, mais très souvent, elle revenait à de meilleurs sentiments, convainquant ses amies qu’elle faisait de l’humour noir. 

— Nan, je déconne, les filles ! Tout va pour le mieux, répondit Alyssa avec un léger sourire perché sur son visage. 

Les trois filles entraient dans leur salle de classe afin de suivre le premier cours de la semaine qui n’était rien d’autre que les mathématiques.

À vue d’œil, la jeune Alyssa avait l’air d’une adolescente normale sauf que les quelques écarts en ce qui concerne son style vestimentaire, son langage très souvent grossier et ses prises de position relativement gênantes pouvaient être mis sur le compte des crises d’ado. Mais au fond, le problème était bien plus grand. En effet, la jeune fille, au fond d’elle, se sentait très souvent seule. Il lui arrivait parfois de n’être seule qu’avec son imagination qui lui projetait très souvent une vision sombre du monde. Tout cela engendrait des sauts d’humeur incontrôlés, des pensées qui défilaient dans son esprit à un rythme effréné, et autres. Seule sa grand-mère pouvait arriver à contrôler sa petite fille dès que ses crises survenaient. 

Une nuit, alors que toute la famille dormait et que la ville était calme, Alyssa se réveilla et se mit à crier de toutes ses forces. Elle poussa un cri si aigu que le chien des voisins se mit à aboyer. La grand-mère, malgré son âge, se précipita dans la chambre d’Alyssa. Une fois dans la chambre, elle vit sa petite fille en pleurs et surtout en sueur. Ses draps roses étaient en grande partie mouillés et la jeune fille transpirait comme si elle venait d’achever un marathon. Elle avait l’air terrifiée et l’on pouvait presque entendre son cœur battre dans sa poitrine. 

— Calme-toi, ma fille. Calme-toi, commença par dire sa grand-mère en prenant sa fille dans les bras, mais cette dernière la repoussa de toutes ses forces. 

Mathilde, sous le coup de la force d’Alyssa, glissa du lit et se retrouva sur le sol. De là, elle regardait sa petite fille qui était très agitée et avait l’air d’avoir peur. Alyssa avait très peur, mais sa grand-mère ne connaissait pas le motif de cette crainte. 

— Ils sont là. Ils viennent pour moi. Non. Je ne veux pas partir ! Je ne veux pas faire ça ! scandait la jeune fille en se rangeant au sommet du lit et en prenant sa couverture pour se couvrir ; ou du moins pour se protéger ; comme dans un cocon.

Grand-mère se releva péniblement, s’approcha à nouveau de sa petite fille et la prit dans ses bras. Cette fois-ci, c’était la bonne. Alyssa se calma et ne fit plus le moindre bruit. Elle n’avait plus l’air d’avoir peur et tout rentra dans l’ordre.

*

Le lendemain matin, le soleil reprit le contrôle de la ville et c’était l’heure pour les enfants de se mettre en route pour attendre le bus. Alyssa sortit de sa chambre avec un large sourire sur le visage, ce qui étonna sa grand-mère qui préparait le petit déjeuner dans la cuisine et qui pouvait voir sa petite fille s’approcher d’elle.

— Comment tu te sens, Alyssa ? demanda Mathilde en faisant allusion à la scène de la veille. 

— Oh, je me sens en forme. Je me sens en feu, dit Alyssa qui n’avait pas l’air de savoir ce à quoi sa grand-mère faisait allusion. 

— Et c’était quoi hier soir ? Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Andrew, son jeune frère.

— Bah, rien ! Je dormais comme tout le monde, répondit Alyssa. Y a eu quelque chose ? finit-elle par demander. 

— Tu nous as brutalement réveillés hier soir, dit la grand-mère avant d’entendre la sonnerie retentir indiquant que quelqu’un était à la porte. 

Andrew s’empressa d’aller ouvrir en quittant la cuisine :

— C’est la voisine, madame Slater ! s’écria-t-il. 

La voisine demanda alors à parler à la grand-mère d'Alyssa et d'Andrew. En effet, ladite voisine habitait à deux maisons plus loin. Elle fréquentait la famille, et d’ailleurs, ses deux jumeaux venaient souvent chez Mathilde quand elle devait faire quelques courses. Sa visite de ce matin n’était pas pour confier la garde de ses enfants à la grand-mère d'Alyssa, mais pour savoir ce pour quoi il y avait eu des cris en plein milieu de la nuit. Mathilde répondit comme elle pouvait. Elle trouva une petite excuse afin de se débarrasser de la voisine. 

— Que voulait-elle ? Elle voulait nous confier Olivia ou son garçon ? C’est ça ? demanda Alyssa.

— Non. Elle voulait juste que je lui donne une information. Et c’est déjà réglé. 

Mathilde décida de tirer un trait sur l’évènement de la veille, car sa petite fille avait l’air de ne pas se souvenir de cela. Néanmoins, les évènements étranges de ce genre ne cessaient de survenir. Cela allait des blessures étranges découvertes sur les avant-bras d’Alyssa jusqu’au fait qu’il ait goûté le sang de son frère alors que ce dernier s’était blessé avec un couteau qu’elle avait laissé traîner intentionnellement, sans oublier la fois où elle avait menacé devant toute la classe, son prof de langue. La petite fille devenait de plus en plus instable et Mathilde décida alors d’aider sa petite fille en la confiant à un professionnel. Malgré le refus de participer aux séances du docteur qu’elle traitait de « marabout ». Mais Alyssa finit par accepter. 

Les premières séances ont permis de conclure qu’elle souffrait d’une dépression profonde compte tenu de la succession d’évènements dans sa vie. Le médecin lui prescrit alors du Prozac qui n’était rien d’autre qu’un antidépresseur. La jeune fille devait prendre 20 milligrammes de ce médicament tous les jours afin de calmer ses « pulsions » et réhausser son humeur. Les séances se suivaient, et aux yeux du psychologue, des améliorations se faisant sentir, sauf que dans l’école d’Alyssa, elle était crainte de beaucoup de personnes : plusieurs de ses camarades savaient que derrière cet aspect jovial et très souriant se cachait une fille dangereuse. 

Un jour, en classe, au cours de langue, le professeur expliquait une leçon au tableau quand il entendit des murmures. Dès qu’il se retourna, il vit Alyssa en train de discuter avec l’une de ses camarades. 

— Alors, Brandt, je te laisse faire le cours ? demanda le prof. 

— Non, monsieur, répondit la jeune fille qui se ressaisit. 

— C’est ce que je pensais, répondit le prof. Petite folle, ajoutait-il d’une voix basse presque inaudible. 

Malheureusement, Alyssa avait entendu cela et cette insulte l’avait mise en colère. La jeune fille ressentait une si grande colère, mais se souvint de l’un des conseils de son psychologue. Elle sortit de la salle de classe sans rien dire à qui que ce soit. Elle alla dans le gymnase et pleura de toutes ses forces. À la fin, Alyssa eut une idée, car elle trouvait que le prof était allé bien trop loin. Le soir de ce jour, presque tous les professeurs étaient rentrés chez eux et seuls quelques élèves sillonnaient encore les couloirs du collège. Parmi les quelques voitures sur le parking se trouvait celle du professeur de langue d’Alyssa. Discrètement et à l’aide d’une allumette et d’un peu d’essence qu’elle a réussi à se procurer facilement, la jeune fille mit le feu à la voiture du prof de langue. Sur le parking, la voiture brûlait et la fumée montait dans les cieux. La jeune fille, cachée dans l’une des salles, se délectait du spectacle sans le moindre regret. Le prof de langue était fou de rage, mais il ne pouvait accuser personne, car il ne connaissait pas le responsable de cet acte. Alyssa rentra ensuite chez elle avec un sentiment de satisfaction, un sentiment d’avoir rendu justice, d’avoir fait payer ce professeur qui se croyait tout permis. Elle débordait de joie si bien que sa grand-mère lui avait demandé si elle avait gagné à la loterie. Elle ne dit rien de ce qu’elle avait fait à cette dernière, mais elle écrivit cela dans son journal intime, un journal qu’elle gardait depuis ses neuf ans.

« Cher journal, aujourd’hui, quelqu’un a payé et a vu ce que cela faisait de se moquer de moi. Je ne sais pas vraiment si brûler ce véhicule était la sanction la plus lourde que je pouvais faire abattre sur ce prof de merde, mais ce sentiment de lui avoir pris quelque chose de cher et le voir hurler sur la cour de l’école m’ont fait TELLEMENT plaisir ! Encore une fois, je ne sais pas si cela est malsain, mais ce qui est sûr, c’est qu’il l’avait bien mérité. Il avait mérité de perdre cette voiture », et de rajouter plus loin : « Je ne suis pas folle. Je le sais. »

Des écrits de ce genre, le journal de la jeune fille en recevait chaque jour. Elle confiait sur ces pages, ses envies, ses désirs les plus enfouis, ses craintes et autres. Dans son journal, elle ne manquait pas de confier également sa crainte, sa crainte débordante de perdre Kai, son petit ami et pour cela, elle était prête à tout, quitte à saboter ses relations ; même amicales avec d’autres filles. 

Quelques minutes plus tard, la joie d’avoir brûlé cette voiture descendit et fit place à la douleur et au vide qu’elle ressentait au fond d’elle. Elle ne ressentait plus aucune satisfaction et ses démons avaient repris le pouvoir, lui torturant l’esprit. Elle n’arrivait plus à se contrôler et semblait être torturée par une personne que personne ne pouvait voir ; à part elle. Comme presque toutes les fois, lorsque cette douleur émotionnelle survenait, la jeune fille se dirigea vers l’un de ses tiroirs dans lesquels se trouvaient un caoutchouc noir en forme rectiligne et un ciseau. À l’aide du caoutchouc, Alyssa s’attacha l’avant-bras juste avant le coude puis se saisit du ciseau. Avec ce dernier, elle se mit à se couper l’avant-bras. Elle enfonça une larme du ciseau dans sa peau et cela avait l’air de la détendre. Elle ne semblait pas ressentir la moindre douleur bien que tout le sang qui sortait de ses veines pouvait porter à croire qu’elle aurait atrocement mal. La jeune fille se mutilait et prenait du plaisir à la faire. Elle n’était pas inquiète, car le lendemain, et même les jours suivants, une chemise manche longue allait cacher toutes ces plaies.

*

Le lendemain du jour où Alyssa avait incendié le véhicule de son professeur, elle se présenta à l’école comme si de rien n’était. Dès qu’elle vint sur la cour de l’école, le reste de la voiture du professeur n’y était plus et tout ce qu’on pouvait voir était le sol noir qui indiquait que quelque chose avait brûlé à cet endroit. L’ado n’avait pas du tout l’air inquiète de ce qui pouvait se passer. Elle marchait dans le couloir d’un air décontracté sans une once de peur. Alors qu’Alyssa était à son cours de géographie et suivait avec attention, le proviseur entra dans la salle de classe. Un silence digne d’un cimetière s’empara de la salle et le proviseur prit la parole. 

— Bonjour chers élèves. Comment allez-vous ? commençait par dire le proviseur avec un visage fermé et d’un ton autoritaire. 

Une partie des élèves incluant Alyssa ne répondit pas à cette salutation. Le proviseur continua malgré tout son intervention. 

— Mademoiselle Brandt ; veuillez me suivre dans mon bureau s’il vous plaît, dit le proviseur en ressortant aussitôt de la salle. 

Alyssa se leva donc sous le regard de ses camarades de classe curieux qui auraient aimé savoir ce pour quoi le proviseur cherchait à voir Alyssa. Cette dernière se rendit dans le bureau comme demandé par le proviseur. Une fois à l’intérieur, ce petit bureau de quelques mètres carrés contenait déjà quatre personnes. Il s’agissait d’un homme qu’Alyssa n’avait jamais vu, du professeur dont elle avait brûlé la voiture, d’une femme et enfin du proviseur. Alyssa entra avec un air timide, et surtout étonné, afin de montrer à ces personnes qu’elle ne savait pas ce pour quoi elle était convoquée. Au fond, elle connaissait les raisons de sa présence dans ce petit bureau. En voyant le professeur Tilsman dont elle avait brûlé la guimbarde la veille, elle pouvait déjà soupçonner la raison de sa présence. Aussitôt qu’elle referma la porte du bureau, le proviseur prit la parole.  

— Mademoiselle Brandt, vous n’êtes pas sans savoir qu’hier dans notre établissement, un évènement assez déplorable s’est produit. L’un de nos enseignants que voici a vu son véhicule partir en fumée. La police est déjà sur cette affaire et d’après les différentes analyses qui ont été effectuées, il a été découvert que cet incendie que l’on croyait être un simple accident n’est rien d’autre qu’un acte durement pensé et exécuté par une personne qui en voulait au professeur, commençait par dire le proviseur. 

— Et qu’est-ce que je fais ici ? Vous pensez que je suis la coupable dans cette affaire ? Qu’est-ce que j’ai à voir avec cet incendie ? demanda Alyssa. 

— C’est toi la coupable et la police doit t’arrêter pour cet acte, commençait par dire le professeur Tilsman en haussant le ton. 

— Calmez-vous, professeur. Nous n’avons aucune preuve pour démontrer ce que vous avancez, et vous savez tout aussi bien que moi que c’est assez grave de formater des accusations sans fondement à l’égard d’une autre personne ; surtout une mineure. 

— Je m’en fous. Tout ce que je sais, c’est que c’est cette petite fille qui a mis le feu à ma superbe voiture, répliqua le professeur Tilsman. 

Alyssa savait que cette piste que venait de lancer le professeur pouvait facilement conduire à elle. Il fallait donc enlever le doute sur elle. 

— Qu’est-ce qui vous fait dire que c’est moi, professeur ? Je ne sais pas ce qui vous fait dire cela, mais tout ce que je peux vous dire, c’est que je n’y suis pour rien dans cette affaire. 

— C’est une menteuse. Mais vous ne voyez pas ? Vous ne voyez pas qu’elle ment cette petite fille ? demanda le professeur en haussant de plus belle sa voix. 

— La dernière fois, vous m’avez traitée de folle, vous pensiez que je n’avais pas entendue ? Et aujourd’hui, vous me traitez de menteuse ! La prochaine insulte sera quoi ? Vous passez votre temps à m’insulter et à me rabaisser devant les autres élèves. Vous savez, les choses ne sont pas ce qu’elles peuvent paraître. Je reconnais que j’ai quelques problèmes, et même à cause de ces derniers, je suis un traitement strict avec un psychologue. Je traverse des moments difficiles et je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour m’en sortir, mais jamais de la vie, je ne pourrai m’en prendre à une personne et jamais, je ne pourrai prendre l’initiative de brûler la voiture d’une personne. Je ne sais pas ce que je vous ai fait, mais tout cet acharnement ne me permet pas d’évoluer dans un cadre sain. C’est trop pour moi. Des enseignants qui me traitent de folle juste parce que je vois de temps à autre un psychologue, des accusations infondées.  (Elle sanglote.) Je n’en peux plus de cela !

Alors qu’elle pleurait à chaudes larmes et que le professeur Tilsman avait vu clair dans son jeu, la dame présente dans la pièce se rapprocha de la petite fille et la prit dans ses bras afin de la calmer. Alyssa fut alors renvoyée en classe et la police se mit alors à chercher d’autres suspects dans cette affaire, car la jeune fille ne semblait pas avoir posé l’acte qu’on lui reprochait. Alyssa venait de s’en sortir.

*

Quelques jours plus tard, Alyssa devait avoir une séance avec le psychologue. Par mégarde, ce dernier découvrit les blessures à l’avant-bras d'Alyssa. Cette dernière lui expliqua alors que ses différentes crises se faisaient de plus en plus régulières et que les douleurs associées à ses crises devenaient de plus en plus insupportables. Le psychologue décida alors de doubler le dosage de Prozac qu’il avait prescrit au départ. De 20 milligrammes, la jeune fille devait passer à 40 milligrammes chaque matin.

*

Les jours passaient et les mois suivaient. La jeune Alyssa était toujours fidèle à elle-même. La situation qui devrait s’améliorer dégénérait. Les médicaments avaient plus l’air de la faire souffrir que de la soigner. Alyssa était émotionnellement instable, elle faisait souvent des crises de dépression, ce qui la rendait souvent agressive et faisait défiler dans son esprit des idées malsaines qui avaient souvent rapport à une seule chose : la mort. La question de la mort était une chose qui obsédait la jeune fille de plus en plus au fil des mois. Elle était fascinée par la mort, non pas par les morts naturelles, mais celles violentes et ensanglantées. Que cela soit à l’école, à la maison, dans la rue, dans un restaurant ou autres, dès lors qu’elle voyait une personne, elle ne pouvait s’empêcher de s’imaginer comment lui ôter la vie.

Un jour, avec son petit ami Kai, elle était dans le parc quand le jeune garçon jeta son dévolu sur une autre fille qui marchait devant eux. 

— Elle te plaît ? demanda Alyssa à son amoureux qui tenta au départ de nier l’évidence. 

— Oui, un peu, finit-il par avouer. 

— Et si l’on jouait à un jeu ? demanda Alyssa. 

— Encore ton jeu de comment tuer une personne ?

— Tu n’aimes pas ?

— Si, mais… commençait par dire Kai avant de se faire interrompre par sa petite amie. 

— Alors, comment penses-tu que cette jeune fille qui t’attire pourrait mourir ici ? 

— Je n’en sais trop rien moi. C’est souvent toi qui as de brillantes idées quand il s’agit de ça.

— Oui. Ça, tu peux le dire, mon chéri. Je pense que le plus simple, là, tout de suite, serait qu’elle trébuche et se cogne la tête contre le rocher qui se trouve là. Elle pourrait se retrouver écrasée par l’un des manèges du parc. Ou l’on pourrait lui enfoncer un couteau dans la gorge. C’est plus sûr et je crois que ce serait également plus facile. Qu’est-ce que tu en penses ? demanda Alyssa. 

— Oh, euh... Je ne sais pas.

Après ces mots de Kai, un petit moment de silence s’installa entre les deux. Au début, Kai comme tous les autres avait pris les allusions à la mort d’Alyssa comme des plaisanteries, mais avec le temps, il comprit que cela allait bien au-delà de simples plaisanteries d’ado. Il sentait que sa compagne était passionnée par le sujet de la vie, de la mort et de tout ce qui tournait autour de cela. Finalement, il décida de connaître la raison de cette obsession bien qu’il savait qu’il n’aurait pas de réponses convaincantes. 

— Pourquoi la mort te fascine-t-elle autant ? demanda-t-il. 

Alyssa ne répondit pas. Elle resta silencieuse et fit un léger sourire au coin de la bouche ; un sourire qui en disait long. Puis elle répondit :

— Je ne sais pas. Je crois que j’ai souvent été très proche de la mort, car mes deux parents ont toujours joué avec la mort. Je ne sais pas, mais j'ai toujours imaginé ce genre de choses. Ce n’est pas de ma faute ; enfin, je crois, dit Alyssa en voyant Fiona se rapprocher du banc sur lequel elle et son copain étaient assis. 

— Je vois. Il faut que j’y aille. Ta copine vient déjà, dit Kai en se levant et en prenant la direction opposée à celle d’où venait Fiona. 

Dès que Fiona vint près de son amie, elle ne manqua pas d’exprimer son étonnement. 

— Pourquoi a-t-il fui ? Il a vu un fantôme ? 

— Je ne sais pas, mais il devient bizarre, Kai. Je ne sais pas ce qu’il a ces derniers temps, répondit Alyssa. 

— Tu penses qu’il va te plaquer comme avec son ex ? 

— Il n’a pas intérêt. Je lui promets l’enfer s’il tente de me laisser seule. Il le sait et je ne manquerai pas de lui rappeler cela.

*

Les jours qui suivaient ressemblaient aux précédents. Alyssa, à l’école au milieu de ses camarades, était différente de celle de la maison. En effet, bien qu'Alyssa à l’école soit une personne qui savait se fondre dans la masse, à la maison, elle se sentait souvent seule et c’était le moment idéal pour ses démons de lui rendre visite. Elle se remémorait les évènements tragiques qu’elle avait traversés. Elle se souvenait de ses parents, de ce vide qu’elle avait ressenti durant son enfance. Ce genre de souvenirs ne manquaient pas de renforcer toute cette haine qu’elle avait accumulée en elle durant des années. Elle haïssait le monde autour d’elle et, au fond d’elle, l'adolescente aurait souhaité vivre seule pour ne pas avoir ce sentiment que les gens qui l’entourent l’abandonneront un de ces jours. Ce sentiment ou ce doute qu’elle pourrait être de nouveau abandonnée est un traumatisme pour elle, ce qui faisait que la jeune fille avait un comportement possessif cherchant à contrôler les personnes qui l’entouraient afin que ces dernières ne songent pas à l’abandonner. Le seul problème est que cette technique n’avait pas l’air de fonctionner et beaucoup de personnes l’abandonnaient quand même. Ces moments de tristesse, de peine, d’amertume, de dégoût étaient consignés dans son journal intime et renforçaient en elle ses désirs les plus malsains. 

L’adolescente devenait de plus en plus dépressive et ses humeurs étaient de plus en plus instables. Elle changeait de tempérament assez rapidement et pouvait devenir très agressive même en face de ses proches.

Un jour, lors d’une banale dispute avec l’un de ses camarades de classe, Alyssa menaça ce dernier de mort devant toute la classe. Ces évènements s’enchaînaient, et pour Alyssa, sa vie avait pris une autre tournure. Elle arrivait à contrôler très peu de choses. Un soir, l’adolescente commençait par réellement nourrir l’envie d’ôter la vie à une personne. La jeune fille ne savait pas réellement comment elle allait s’y prendre, mais elle savait ce qu’elle voulait. Tuer quelqu’un. Lui ôter la vie, lui couper le souffle. Finalement, Alyssa décida de passer à l’action. Un vendredi soir alors qu’elle ne savait pas ce qu’elle allait faire de sa soirée, la jeune fille aux long cheveux peinturlurés, se rendit dans la grande forêt. Cette forêt avec des arbres à perte de vue était un endroit très peu fréquenté, car elle était jugée dangereuse. Cela n’avait jamais dissuad’Alyssa, car dès qu’elle voulait être seule, elle se rendait dans cette forêt. Ce jour, Alyssa alla dans sa petite cachette où elle avait entreposé quelques semaines plus tôt une pelle qu’elle avait dérobée dans les affaires de sa mère pour le jour où elle chercherait à enterrer un corps dans cette forêt. À l’aide de l’outil, la jeune fille creusa un trou assez profond susceptible d’accueillir le corps d’un humain adulte. Ce trou allait bien lui servir, car l’envie de tuer commençait par la démanger de plus belle ; c'était si excitant !

Le lendemain, c’était un samedi. La petite ville était calme, car le soleil venait de se coucher. Tout ce qu’on pouvait entendre était les vaches qui beuglaient. La petite Alyssa alla dans la cuisine pour boire un verre d’eau. Dès qu’elle finit de boire son eau, un détail lui sauta aux yeux. Bien que les couteaux soient toujours entassés dans un petit panier, et ce, depuis des années, c’était la première fois que Alyssa les remarqua réellement et avait une attention particulière pour eux. Elle se rapprocha lentement du panier dans lequel se trouvait une dizaine de couteaux lavés et rangés par taille. Elle tendit alors la main et se saisit d’un couteau moyen que sa grand-mère avait l’habitude d’utiliser pour couper les oignons. Alyssa cacha le couteau dans sa veste et sortit de la maison, car sa grand-mère n’était pas à la maison. Mathilde était allée en ville pour faire quelques courses et son petit frère Andrew était au terrain de basket avec ses amis. Alyssa, dans la rue, rencontra Grégori, le jeune garçon de la voisine, un petit garçon blond, très charmant et surtout très gentil. Grégori et sa sœur venaient souvent passer des heures à jouer dans leur maison. Bien qu'Alyssa n’ait presque jamais le temps de jouer avec eux, elle décida de s’adresser à Grégori. 

— Petit, ça va ? lança-t-elle au jeune garçon. 

— Le petit garçon courut alors vers ce visage qui lui était très familier afin de sympathiser avec elle :

— Oui. Je vais bien et vous ? répondit-il timidement. 

— Oui, je vais bien. Et ta maman ? demanda Alyssa. 

— Elle est à la maison. 

— Et que fais-tu tout seul dehors ? 

— Ma sœur jumelle est un peu souffrante donc maman s’occupe d’elle. J’ai décidé de faire quelques pas à l’extérieur, répondit promptement le jeune garçon. 

— Donc vous étiez des jumeaux ? s’étonna Alyssa qui n’avait jamais su cela même en voyant les deux ensembles. 

C’était en effet de faux jumeaux. 

— Oui. 

— C’est intéressant ça. D’accord. Tu peux repartir, répondit Alyssa. 

Alyssa venait de recevoir une nouvelle qui allait changer la donne. En regardant le petit garçon s’éloigner d’elle, Alyssa eut l’idée de se rendre à nouveau dans la forêt et de creuser un second trou, car son plan machiavélique visait à présent à ôter la vie aux deux jumeaux. Peu importe ce qui allait se passer, elle devait tuer ces deux gamins. 

— Petit, cria Alyssa. Tu penses que ta sœur va bientôt s’en remettre ?

— Peut-être quelques jours, ce n’est qu’un rhume. Je suis sûr que ma sœur en fait tout un plat afin que maman puisse la chouchouter, avoua le jeune garçon.

C’était trop long d’attendre, alors elle changea un peu son plan. Comme prévu, Alyssa se rendit dans la forêt et creusa le nouveau trou. Il y avait désormais un trou pour Grégori et l’autre pour son frère Andrew. Moins d’une semaine plus tard, Alyssa faisait une petite sieste dans l’après-midi. La jeune fille n’avait pas cours ce soir donc elle en profitait pour dormir et récupérer de ses longues journées passées à l’école. Malheureusement pour elle, elle fut réveillée par des cris aigus qui provenaient de l’extérieur. Ses cris si aigus étaient devenus monnaie courante et voulaient dire que les enfants de la voisine étaient dans le jardin. Cette fois-ci, c’était l’occasion idéale pour passer à l’action. La jeune fille prit alors le couteau qu’elle cachait dans l’un des tiroirs de sa chambre, le cacha dans sa veste après s’être habillée pour sortir de sa chambre. En marchant de sa chambre vers l'extérieur, Alyssa d’un air très tendu ne cessait de se répéter en boucle « il faut que je le fasse, il faut que je le fasse. »

— Tu vas où ? demanda Andrew, le frère d'Alyssa, dès qu’il vit sa sœur venir vers lui. 

— Je... Je... Je ne vais nulle part. Et d’ailleurs, ce n’est pas ton problème, commença-t-elle par dire. Et grand-mère ? finit-elle par demander. 

— Elle est sortie faire quelques courses avec Olivia. 

— Il n’y a que vous deux alors ? demanda Alyssa. 

— Oui, répondit promptement Grégori, l'ami d'Andrew.

— Je veux vous montrer quelque chose. Ou bien vous préférez rester ici à poiroter et à crier ? demanda Alyssa en souriant.

Les deux garçons ne se méfiant de rien acceptèrent la proposition de la sœur d'Andrew. À trois, ils se dirigeaient vers la forêt. C’est à ce moment qu'Andrew commençait par s’inquiéter. Il avait entendu suffisamment d’histoires effrayantes sur la grande forêt que même s’en approcher lui faisait terriblement peur. Sa grande sœur le rassurait en lui assurant que toutes ces histoires étaient fausses. L’enfant reprit confiance et continua le chemin. 

— Une fois dans la forêt, Alyssa conduisit les deux petits garçons vers les deux trous qu’elle avait creusés auparavant. 

— Qu’est-ce que c’est que cela ? demanda Andrew. Qu’allons-nous faire de ces trous ? demanda-t-il innocemment. 

— Oui, mais ce sont de très grands trous. On peut y mettre une voiture, souligna Grégori. 

— Non, c’est faux. Ce n’est pas si grand pour contenir une voiture. Disons une demi-voiture, rétorqua le jeune Andrew, ce qui fit marrer Grégori. 

Alyssa, derrière les deux gamins, suivait de près leur petite rigolade et discrètement, elle fit sortir le couteau de la poche intérieure de sa veste ; veste qu’elle enleva ensuite. Elle tenait l’arme derrière son pantalon, les mains jointes. Andrew se retourna aussitôt et vit sa sœur. Jusque-là, le jeune garçon ne savait pas ce qui se passait. Il avait une confiance aveugle en sa sœur et pour lui rien ne pouvait se passer quand il était avec sa sœur. 

— Pourquoi as-tu enlevé ta veste ? commençait par demander le jeune frère d’Alyssa. Et si l’on rentrait ? Je commence par avoir peur. Et si un serpent sortait de l’arrière de l’une de ces feuilles mortes ? demanda Andrew. 

— Un serpent ! s’écria Grégori. 

Ayant une peur bleue des reptiles, Andrew sauta, trébucha, glissa et tomba dans l’un des trous. 

— Andrew !!! s’écria Grégori d’un air paniqué. 

Grégori se tourna vers Alyssa afin que cette dernière puisse aider son frère à remonter. 

— Tu n’as rien ? demanda Grégori en se penchant légèrement vers le trou dans lequel se trouvait Andrew. 

Très lentement, Alyssa leva le couteau qu’elle avait en main vers le ciel et le planta dans le dos de Grégori qui tomba sur le sol. Alyssa retira le couteau et le planta une nouvelle fois dans le corps du jeune garçon qui ne se défendit pas. Alyssa était à califourchon sur sa victime, arme en main, et le retourna sur le dos. Elle eut cette fois-ci l’idée de lui trancher la gorge, ce qu’elle fit. Grégori ne pouvait rien faire pour empêcher Alyssa d’achever sa sale besogne. Il restait là et ne pouvait que regarder Alyssa lui donner des coups de couteau. La jeune fille après une dizaine de coups bien portés sentait que Grégori commençait par quitter la vie. La jeune fille se délectait de ce spectacle qui lui faisait énormément plaisir. C’était si excitant qu’elle fit un saut et tomba sur ses deux pieds dans le trou où se trouvait son jeune frère. De la même manière, Alyssa mit fin aux jours d'Andrew, son propre frère. Elle regardait son frère agoniser, lui tendant la main, mais elle ne fit rien à part le regarder se vider de son sang tout comme elle l’a fait avec Grégori quelques instants plus tôt. Les deux garçons étaient à présent morts et la jeune fille s’empressa de les disposer dans les deux trous puis les referma. Elle couvrit alors les surfaces avec des feuilles mortes et des branchages pour cacher un peu plus son acte ignoble qui avait l’air de la réjouir. Dès qu’elle finit d’enterrer les deux enfants, ainsi que l’arme du crime, Alyssa fit un léger sourire et alla se changer avec des habits qu’elle avait planqués dans la forêt. Elle ne pouvait certainement pas ressortir de la forêt avec des vêtements recouverts de sang. Elle brûla ensuite totalement les habits souillés avec un briquet pour effacer les preuves.

Une fois devant la maison, elle ouvrit le portail sans hésiter et vit la maison comme elle l’avait laissée. Personne à l’intérieur. Alyssa entra donc dans sa chambre et ferma la porte à double tour. Une fois à l’intérieur, elle soupira un « ouf » de soulagement. Elle enleva rapidement ses nouveaux vêtements également couverts de sang et les rangea dans son placard puis alla prendre une douche. 

« C’est fait », se dit-elle.

Une fois sa douche terminée, elle alla prendre son journal dans lequel elle comptait détailler le crime qu’elle venait de commettre avec enthousiasme et satisfaction. 

Dans le journal, elle mit ceci : «  […] il n’avait rien vu venir, Grégori. Le couteau, profondément enfoncé dans son thorax, ne lui a laissé aucune chance de survie. Le moment que j’ai le plus apprécié était celui où ses yeux ont commencé par perdre leur éclat et je sentais au fond de moi la vie le quitter. Je ne savais pas comment je pouvais le savoir, mais je le savais quand même. Il souffrait, mais à moi, cela me faisait du bien. Enfin, j’avais réellement su ce qu’on pouvait ressentir en tuant une personne. Ce n’était pas si loin de ce que j’avais imaginé. Que cela soit Andrew ou Grégori ; l’essentiel est que j’ai pu assouvir ce désir qui me tourmente depuis des semaines. Je pense que la prochaine fois, je vais plus prendre mon temps afin de mieux savourer ce moment si unique. Je ne pouvais donc pas arrêter ce plaisir alors, je me suis jeté sur… » écrivait-elle quand elle entendit quelqu’un toquer à sa porte. C’était sa grand-mère et la mère de Grégori.

— Alyssa ? Tu as vu Grégori et Andrew ? Ils ne sont pas ici. 

Alyssa rangea son journal et alla ouvrir à sa grand-mère. 

— Non, je n’ai pas quitté ma chambre depuis tout à l’heure. J’entendais leurs cris, mais je ne suis pas sortie ; ils avaient l’air de s’amuser. 

La panique se saisit de la grand-mère d'Andrew ainsi que de la mère de Grégori. Elles se mirent alors à chercher les deux jeunes garçons, mais sans succès. Alyssa participa même aux recherches, convaincue que les autres n’avaient aucune chance de savoir là où se trouvaient les deux garçons. 

La police fut avertie et une enquête fut ouverte. Le jour de l’interrogatoire, Alyssa avait l’air très nerveuse. Elle ne répondit pas aux questions comme cela se devait et quelques soupçons commençaient par s’abattre sur elle. Les recherches furent élargies par la police jusqu’à la forêt. Sur place, et grâce aux chiens de la police, les deux trous furent découverts ainsi que les traces de pas sur la scène de crime. Très vite, les pas des deux garçons furent identifiés ainsi que ceux d’une troisième personne. Les soupçons sur Alyssa se confirmaient, car elle avait la même pointure de chaussure que celle identifiée. La jeune meurtrière était certaine qu’aucune preuve tangible ne pouvait démontrer que c’était elle la meurtrière des deux garçons. Elle avait brûlé tous les vêtements tachés de sang et avait déchiré la partie de son journal intime dans laquelle elle avait avoué son crime. Elle était quasi certaine qu’elle ne pouvait être inculpée pour ces meurtres.

*

Un jour, Alyssa fut arrêtée et amenée au poste de police où l’un des inspecteurs décida de la cuisiner afin qu’elle avoue. Au début, la jeune fille était froide, inexpressive et tout ce que disaient les agents de police avait l’air de la faire rigoler. Sa grand-mère présente derrière la vitre teintée de la salle d’interrogatoire ne pensait pas que ce soit sa petite fille qui avait commis ces meurtres. 

— Nous savons que c’est toi, insista l’inspecteur une nouvelle fois. 

— Vous ne faites que répéter cela. Si vous étiez sûr que c’était moi, vous m’auriez enfermée depuis bien longtemps, dit Alyssa. 

— Oh, nous le savons et nous en sommes sûrs. D’ailleurs, nous avons des preuves. Des vêtements que tu portais quand tu as commis ces crimes. Tu ne les as pas entièrement brûlés. Mais aussi ton journal intime. Ce journal dans lequel tu confesses plusieurs de tes actes ignobles, dit l’agent afin de perturber la jeune fille.

— Vous avez lu mon journal ? demande-t-elle étonnée.

— Tout à fait.

Cela avait l’air de faire effet, car la jeune fille commençait par paniquer. Elle ne tenait plus bien sur sa chaise. Sa bouche bougeait, mais aucun mot n’en sortait, car elle savait que toute réponse pouvait être retenue contre elle et toute phrase mal placée pourrait la démasquer. 

— Les vêtements sont une preuve tangible pour toi ? demanda l’inspecteur devant le silence de la jeune fille d’à peine seize ans. 

— C’est impossible, dit-elle toute nerveuse et effrayée. Vous n’avez pas retrouvé mes vêtements. 

— Je peux te dire que si. Nous les avons bel et bien retrouvés. Tu n’as pas bien fait ce que tu devais faire d’eux, dit l’inspecteur pour pousser la jeune fille à bout pour qu’elle craque.

Alyssa ne se rendit pas compte qu'elle avait dit à l'inspecteur qu'ils n'avaient pas retrouvé ses vêtements à elle, ceux qu'elle avait portés lors du crime. Un silence s'installa, alors elle tenta de détourner la confession de l’inspecteur :

— Je n'ai pas touché à leurs vêtements.

— Je parle de tes vêtements. Ceux que tu portais dans la forêt.

— D'accord...

L'inspecteur se racla la gorge et continua :

— On a récupéré tes écrits ; mais il y avait une page déchirée.

— Okay...

Un nouveau silence s'installa de plusieurs longues secondes.

— Tu vois où je veux en venir ?

— Hm-hmm.

— Quand tu appuies un crayon ou un stylo sur une feuille, l’empreinte se fait sur la feuille derrière.

Alyssa ne répondit pas.

— Donc on a pu lire ce que tu avais écrit sur la feuille que tu avais déchirée.

Alyssa était tétanisée. Le silence la faisait trembler ; d'une voix chevrotante, elle murmura :

— Je... Ils sont... juste... morts...

— Alyssa, nous savons tous les deux que ces enfants ne sont pas morts par accident.

— Ils… Ils sont tombés ?

Nouveau silence.

— Est-ce que tu leur a tranché la gorge et les a poignardés ?

Alyssa respira lourdement. La peur l’avait essoufflée et elle avait du mal à respirer.

— Ouais…

La grand-mère, derrière la vitre teintée, hurlait et implorait le Seigneur que c'était faux.

— D'accord, répondit-il en écrivant sur son calepin.

Alyssa, bien qu'impassible, ne put s'empêcher de sangloter.

— Pour ton journal, nous n’avons pas retrouvé la feuille déchirée. Dieu merci, tu appuies bien le stylo quand tu écris, et donc malgré que tu aies déchiré le papier, nous avons pu récupérer tes aveux sur la feuille derrière. Il y a l'empreinte du stylo, dit l’inspecteur en se levant.

— Je...

— Pourquoi as-tu fait ça ?

— Je... Je ne sais pas... Je voulais voir ce que ça faisait de... tuer... Je suis... Je suis désolée…

Ceci est un manifeste contre la prescription d’antidépresseurs aux mineurs. Récit inspiré d’une histoire vraie.