Parking souterrain
31 août 2017
Illustration par Kura Kaminari

Une jeune femme blonde, vêtue d’une robe bleue légère qui semblait flotter autour d’elle comme une brise estivale, attendait devant l’ascenseur de l’hôtel Ostello Archi Rossi, situé dans le cœur vibrant de Florence, en Italie. Ses cheveux dorés captivaient la lumière artificielle du couloir, et son regard indifférent était fixé sur les portes métalliques. Depuis sa chambre, João Carvalho l’observait brièvement avant de refermer la porte derrière lui. Sans un mot, il s’approcha pour la rejoindre.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent dans un grincement mécanique. La jeune femme entra la première, ses talons résonnant doucement sur le sol de la cabine. João suivit, imposant par sa stature : grand, musclé, le crâne rasé et marqué d’un tatouage celtique sur son bras droit. Il appuya deux fois sur le bouton indiquant le sous-sol, son objectif clair : récupérer sa voiture pour se rendre dans un restaurant réputé pour ses délices gastronomiques. João était un connaisseur exigeant, un homme dont la passion pour les mets raffinés était presque légendaire.
La femme blonde ne toucha pas au tableau de commande. Elle semblait elle aussi se diriger vers le parking. Les portes se refermèrent et l’ascenseur entama sa descente dans un bruit grinçant, presque archaïque. Les chiffres défilaient sur l’écran abîmé : quatorze… treize… douze… jusqu’à ce que la cabine s’arrête brusquement au cinquième étage.
Une autre femme entra alors. Brune, vêtue avec une élégance discrète : une veste ajustée et un pantalon taille basse qui soulignaient sa silhouette fine et rigoureuse. Elle jeta un coup d’œil rapide au tableau de commande avant d’appuyer sur le bouton du rez-de-chaussée. Puis elle se tourna vers les portes qui se refermèrent à nouveau derrière elle. Son nom était Giorgia Bertuzzi.
L’ascenseur reprit sa descente : quatrième étage… troisième… deuxième… premier… rez-de-chaussée… avant de s’arrêter finalement au sous-sol. Mais quelque chose clochait : les portes ne s’ouvrirent pas. Giorgia soupira longuement, visiblement agacée par cette anomalie.
João, impatient et contrarié, appuya plusieurs fois sur le bouton du sous-sol sans obtenir de résultat. Son irritation monta rapidement.
— C’est quoi ce foutu bouton pour ouvrir ? grogna-t-il.
— Peut-être qu’il faut juste attendre un peu…, suggéra la blonde d’une voix douce mais hésitante. Elle s’appelait Rafaella Galardi.
João n’était pas homme à attendre. Sa stature imposante et ses muscles tendus trahissaient son agacement croissant. Il frappa les portes métalliques avec ses poings dans une tentative désespérée de résoudre le problème par la force brute.
— Quel hôtel minable ! pesta-t-il.
— Il n’y a pas un bouton pour appeler quelqu’un ? demanda Giorgia.
— Même pas de micro ! souffla João avec mépris.
Rafaella observa le tableau de commande et remarqua un bouton marqué « F » tout en bas.
— C’est quoi ce « F » ? demanda-t-elle innocemment.
João ignora la question et appuya dessus sans réfléchir davantage. À leur grande surprise, la cabine se remit en marche. Mais au lieu de monter ou descendre normalement, elle semblait amorcer une descente plus profonde encore avant de s’arrêter brusquement. Les portes s’ouvrirent enfin dans un claquement métallique… puis tout le circuit électronique se coupa net.
— C’est une blague ?! s’exclama João avec une nervosité teintée d’amusement amer.
Le lieu où ils venaient d’arriver n’avait rien d’un parking. Devant eux s’étendait un vaste entrepôt sombre et froid, dépourvu de véhicules ou de toute indication familière. Des barils ornés d’étiquettes aux noms imprononçables étaient alignés contre les murs. Des becs Bunsen, des erlenmeyers et des béchers jonchaient les tables métalliques, accompagnés d’autres instruments scientifiques : ballons volumineux, burettes graduées et réfrigérants complexes.
— Bon, j’me casse ! lança João avec détermination.
— Comment ? demanda Rafaella en fronçant les sourcils.
João tourna en rond à travers l’entrepôt à la recherche des escaliers ou d’une sortie alternative mais ne trouva rien d’autre que cette odeur âcre qui imprégnait l’air : une puanteur chimique semblable à celle des détergents industriels. Une suspicion désagréable commençait à naître en lui.
— Il y a une porte là-bas ! s’écria Giorgia soudainement.
Elle tenta de l’ouvrir mais découvrit qu’elle était fermée à clé. Aucun trousseau n’était visible sur les crochets adjacents.
— C’est une sortie de secours ? demanda-t-elle à voix basse.
— Non, je ne crois pas…, répondit Rafaella en scrutant l’endroit avec inquiétude.
João remarqua un coffre derrière un pilier massif près d’un socle métallique. À l’intérieur, il trouva des rouleaux de cordelettes torsadées en chanvre, des bouteilles de gaz et une boîte à outils contenant des pinces rouillées, des tournevis usés et même un pied-de-biche corrodé mais fonctionnel. Il referma la boîte avec assurance avant de se diriger vers la porte verrouillée.
— Écartez-vous ! ordonna-t-il sèchement aux deux femmes.
D’un geste puissant et précis, il utilisa le pied-de-biche pour faire levier contre les charnières rouillées jusqu’à ce que la porte cède dans un fracas métallique assourdissant.
— Vous êtes sûr que c’est prudent ? murmura Rafaella avec inquiétude.
— Ouais, ouais ! rétorqua João sans détourner son attention.
Ils passèrent chacun leur tour à travers l’ouverture béante sans savoir que certaines portes devraient rester closes pour toujours…
*
Une fois dans l’autre pièce, ils furent frappés par une scène qui dépassait l’entendement : un chirurgien vêtu d’une blouse bleue imbibée de sang manipulait frénétiquement des organes humains qu’il empilait maladroitement sur un comptoir gris aseptisé. Ses gestes étaient précipités comme s’il tentait désespérément de cacher des preuves déjà flagrantes.
Rafaella et Giorgia reculèrent instinctivement en couvrant leur bouche et leur nez pour échapper à l’odeur fétide qui envahit leurs narines : celle des cadavres mutilés entassés dans cet enfer clinique.
— Qu’est-ce que c’est que ça ?! rugit João en avançant vers le médecin avec colère.
Le chirurgien paniqué continuait son manège insensé sans répondre immédiatement aux questions criées par João :
— Eh ! Mon gars ! C’est quoi ce bordel ici ?!
Le médecin balbutia en portugais :
— Eu tenho muito dinheiro! Por favor! Pelo amor de Deus!
João perdit patience :
— Je veux qu’elles comprennent ce que vous dites ! C’est quoi cet hôtel ?! Qui sont ces gens morts ?! Qu’est-ce que vous foutez ici ?!
Autour d’eux se trouvait tout le matériel nécessaire à des autopsies sordides : des corps mutilés gisaient sur des tables froides tandis que du sang dégoulinait dans des bacs permanents. Des scies chirurgicales côtoyaient des lampes scialytiques et des balances destinées à peser les organes humains. L’atmosphère semblait tout droit sortie d’un cauchemar éveillé où chaque détail hurlait l’horreur absolue…
Une tension palpable envahissait la pièce, saturée d’une odeur métallique de sang et d’un silence oppressant. La voix tremblante de l’une des femmes brisa cette atmosphère suffocante :
— C’est quoi cet endroit, merde ?! s’écria-t-elle, le regard écarquillé d’horreur.
Le chirurgien, toujours à genoux dans une mare de sang mêlée à ses propres sueurs, leva des mains tremblantes gantées de latex rougeâtre. Son visage blême trahissait une terreur viscérale.
— Écoutez, je suis docteur ! Je sauve des vies ! Je n’ai pas eu le choix ! Ces types… ils vont vous tuer, mais je peux vous aider ! Vous devez me croire ! implora-t-il, sa voix oscillant entre panique et désespoir.
João ne bougea pas d’un pouce, ses mâchoires serrées et son regard brûlant de colère.
— Bordel, mais qu’est-ce que vous avez fait ici ?! rugit-il.
Le médecin se redressa légèrement et, dans un geste frénétique, attrapa un sac de sport posé près d’une table. Il l’ouvrit d’un coup sec pour révéler son contenu : une montagne de billets de cinq cents euros.
— J’ai de l’argent ! Regardez ! Prenez-le ! Mes recherches comptent énormément… Par pitié ! Prenez ce que vous voulez, mais laissez-moi partir en vie !
Il tendit le sac comme une offrande désespérée. Ses bras tremblaient si violemment que les billets semblaient prêts à s’éparpiller sur le sol. João, imperturbable, s’avança et posa une main ferme sur sa poitrine avant de le pousser brutalement. Le chirurgien perdit l’équilibre et s’effondra sur le sol glissant.
— Comment on sort d’ici, hein ?! aboya João en se penchant au-dessus de lui.
Le médecin secoua la tête avec frénésie.
— Je ne peux pas vous le dire !
João plissa les yeux, un sourire froid étirant ses lèvres.
— Et si je t’arrache tous tes chicots avec une pince, tu sauras toujours pas m’le dire ? lança-t-il avec une menace glaciale.
L’homme paniqua davantage et pointa du doigt l’ascenseur derrière eux.
— Il y a l’ascenseur… Mais si vous partez… Vous allez me dénoncer ! Hein ? Pas vrai ?!
Alors qu’il parlait, il glissa discrètement une main vers une table voisine où se trouvait un dispositif électronique. Ses gestes étaient calculés malgré sa nervosité apparente.
João ricana sèchement.
— Te dénoncer, moi ? Non… Quelle idée… J’vais plutôt fermer les yeux. Ça t’irait mieux comme ça ?
Mais avant qu’il ne puisse réagir davantage, des portes battantes s’ouvrirent brusquement à l’arrière de la salle. Une voix autoritaire résonna dans la pièce :
— Cosa succede?
Un homme massif entra dans la pièce. Il portait l’uniforme noir des unités spéciales italiennes et tenait un pistolet-mitrailleur avec une aisance inquiétante. Son visage était impassible, presque mécanique.
Le médecin balbutia rapidement en italien :
— Non so chi sono! Ils sont entrés par accident!
L’homme en uniforme balaya la pièce du regard avant de poser son attention sur João et les deux femmes.
— Comment êtes-vous entrés ici ? demanda-t-il d’un ton glacial.
Ni Rafaella ni Giorgia n’osèrent répondre. João resta silencieux également, bien conscient que son pied-de-biche rouillé ne serait d’aucune utilité contre une arme automatique.
L’homme répéta sa question avec plus d’insistance :
— Quel est votre problème ici ?
João éclata soudainement :
— Mon problème ?! Vous voulez savoir ce que c’est mon problème ?! Vous charcutez des humains dans un hôtel pourri en plein centre-ville, voilà ce que c’est mon putain de problème !
L’homme en uniforme haussa un sourcil et répondit calmement :
— Vous ne comprenez rien. Ici tout est en règle. Ce lieu est utilisé pour des autopsies médico-légales autorisées par les juges d’instruction. Nous sauvons des vies.
João explosa à nouveau :
— Sauver des vies ? Tout ce que je vois ici, c’est du trafic d’organes et des cadavres mutilés partout autour de nous !
Un sourire narquois étira les lèvres du policier corrompu.
— Bravo pour votre sens moral… Mais vous êtes bien loin de comprendre comment fonctionne notre monde.
Dans un mouvement rapide et précis, il ajusta son arme pour viser directement João. Ce dernier fit signe aux deux femmes de courir vers la porte fracturée qu’ils avaient empruntée plus tôt. Mais Giorgia hésita une fraction de seconde trop longue.
La première détonation retentit comme un coup de tonnerre dans la pièce exiguë. Giorgia s’effondra immédiatement dans une mare de sang qui s’étendit sous elle comme une ombre funeste. Rafaella hurla tandis que João serrait les dents avec rage.
— Fodes! rugit-il en portugais avant de tirer Rafaella derrière un mur pour se mettre à l’abri.
Le policier avança lentement dans leur direction tout en parlant d’un ton presque détaché :
— Vous savez… cela me rappelle les grandes batailles napoléoniennes : Austerlitz… Wagram… Des victoires stratégiques contre des parasites inutiles…
Ses pas résonnaient lourdement sur le sol métallique tandis qu’il se rapprochait inexorablement.
— Mais contrairement à ces soldats glorieux… vous n’aurez ni honneur ni sépulture…
João jeta son pied-de-biche au sol avec frustration avant de courir vers l’ascenseur avec Rafaella. Mais celui-ci était toujours hors service : aucune échappatoire possible.
Le policier franchit le chambranle et les mit en joue avec un sourire cruel. Puis, contre toute attente, il retira le chargeur de son arme et le lança négligemment derrière lui. Il semblait vouloir savourer chaque instant de sa supériorité physique écrasante.
— À qui croyez-vous avoir affaire ? demanda-t-il en ricanant.
João répondit sans hésiter malgré la douleur qui déformait ses traits :
— À un con…
Le policier sourit davantage avant d’ajuster un coup-de-poing américain sur sa main droite. D’un geste brutal et précis, il frappa João au visage avec une force terrifiante. Le craquement sinistre des os brisés résonna dans la pièce tandis que João s’effondrait au sol dans un flot de sang et de fragments dentaires. Son regard vide fixait son bourreau comme celui d’un animal abattu sans défense.
Rafaella tenta désespérément de se jeter sur l’homme mais fut rapidement maîtrisée et plaquée au sol sans effort apparent.
Le policier dégaina lentement son arme secondaire tout en murmurant :
— Cette ardeur guerrière est admirable… mais inutile face à la réalité cruelle du monde…
Rafaella supplia entre sanglots :
— Non ! Je ne veux pas mourir ! Pitié !
Mais João murmura faiblement depuis le sol ensanglanté :
— Réponds pas… Il a déjà décidé…
Deux détonations assourdissantes mirent fin à leur calvaire. Les corps furent traînés jusqu’au bloc opératoire du chirurgien où ils rejoignirent les autres victimes anonymes. Le sang fut nettoyé méticuleusement tandis que l’hôtel retrouvait son apparente tranquillité trompeuse.