Lubies personnelles

8 décembre 2018

Illustration par Kura Kaminari

Couchée sur le matelas usé de cette chambre obscure, Novela Spinetta rassembla les fragments épars de courage qui subsistaient en elle pour mobiliser ses muscles ankylosés. Son esprit semblait pris dans un brouillard dense, où chaque pensée se heurtait à un bourdonnement incessant, semblable à une vibration sourde et monotone. À cela s’ajoutait une douleur lancinante, comme si des aiguilles invisibles s’enfonçaient dans chaque recoin de son crâne, exacerbant son malaise.

Avec une lenteur calculée, elle releva la tête et ses yeux fatigués tombèrent sur une petite souris blanche, délicate et minuscule. Ses pattes rosées tenaient fermement les restes d’un repas abandonné la veille, posé directement sur le sol froid. Un sourire fragile éclaira le visage de Novela. Elle roula doucement sur le flanc, se rapprochant de l’animal curieux, et murmura d’une voix douce et enfantine :

— Gianlucido… dis-moi, quand tu seras fiancé avec Margherita, accepterais-tu que je sois ta demoiselle d’honneur pour le grand jour ?

La souris suspendit un instant son grignotement pour la fixer de ses petits yeux noirs brillants. Puis, sans cérémonie, elle reprit son festin. Novela éclata d’un rire léger, presque complice, et poursuivit avec une exagération théâtrale :

— Oh ! Alors c’est un oui ! Ce sera une fête magnifique ! J’adore les fêtes ! (Elle se redressa légèrement.) Il faudra prévenir tout le voisinage… mais hélas, je suis enfermée ici. Quel dommage que je ne puisse leur annoncer cette merveilleuse nouvelle…

À vingt-deux ans, Novela incarnait une beauté presque irréelle et une dévotion religieuse profonde. Chrétienne fervente, elle vivait selon des principes rigoureux de charité et s’insurgeait contre toute forme d’injustice ou d’oppression. Sa longue chevelure dorée descendait en cascade jusqu’à ses cuisses, imprégnée d’arômes subtils qui évoquaient les champs fleuris. Ces mèches soyeuses glissaient doucement sur son cou d’albâtre, ses épaules délicates et sa poitrine juvénile, dissimulant sa nudité avec une pudeur naturelle. Elle refusait obstinément de porter des vêtements qu’elle jugeait oppressants, préférant la liberté offerte par sa chevelure.

Son univers se réduisait à un appartement exigu plongé dans une pénombre permanente. Une unique fenêtre aux volets fermés donnait sur une avenue animée, mais les persiennes étaient solidement verrouillées par une chaîne et un cadenas rouillé. L’atmosphère confinée aurait pu être étouffante si Novela n’avait pas maintenu l’endroit dans un état impeccable : chaque meuble était soigneusement entretenu, chaque drap immaculé. Même la petite salle de bains exiguë était parfaitement fonctionnelle malgré l’absence d’une baignoire.

À droite de la porte d’entrée trônait une commode dépourvue de tiroirs flanquée de deux étagères en bois blanc qui encadraient une cheminée en marbre noir. Sur l’étagère droite étaient alignés avec soin quatre bouteilles vides, trois boîtes de conserve cabossées, un vieux magazine froissé et deux écrous métalliques. L’étagère gauche restait mystérieusement vide derrière une toile baroque suspendue comme pour masquer un secret. Au sommet de la cheminée reposaient des objets empreints de spiritualité : une statuette de la Vierge Marie entourée de bougies parfumées et d’allumettes bien rangées.

Le lit où Novela était assise occupait presque tout l’espace disponible dans la pièce. Malgré la présence des souris Gianlucido et Margherita — qu’elle surnommait tendrement ses "amourettes" — l’endroit respirait une propreté irréprochable. La jeune femme s’amusait gaiement avec ses compagnons rongeurs, leur parlant comme à des amis intimes tout en rayonnant d’une joie enfantine.

Il devait être environ sept heures du matin lorsque Novela hésita entre deux activités solitaires pour occuper son dimanche : composer un nouveau sonnet pour sa lyre muette cachée sous le sommier ou bien jouer directement de l’instrument afin de laisser libre cours à son imagination poétique. Dans tous les cas, elle veillait à ce que des bâtons d’encens brûlent constamment autour d’elle, enveloppant la pièce d’un voile éthéré qui adoucissait les contours matériels et apaisait son esprit agité.

— Gianlucido ? demanda-t-elle soudain avec gravité en fixant la souris blanche. Aide-moi à trouver cette inspiration fugitive… Une intempérance maîtrisée dans le style… quelque chose qui chante harmonieusement.

Le rongeur couina doucement en réponse tandis que Margherita ajouta son propre cri aigu. Novela éclata d’un rire cristallin :

— Bien sûr ! Tu as raison ! Jouer est sans doute la meilleure solution… Les mélodies sauront m’inspirer des phrases dignes des plus grands poètes !

Elle se leva avec grâce et sortit sa lyre ornée d’émeraudes colombiennes cachée sous le lit avant de marcher pieds nus jusqu’à la cuisine carrelée. Gianlucido et Margherita trottinaient derrière elle comme deux fidèles écuyers. Après avoir ouvert le réfrigérateur pour y prendre un morceau de fromage qu’elle partagea avec ses compagnons, elle s’installa près de l’évier.

Allumant quelques bâtons d’encens à la vanille dont les volutes parfumées emplirent aussitôt l’air ambiant, Novela s’assit en hauteur sur le plan de travail. Elle croisa élégamment les jambes et rejeta sa longue chevelure derrière elle avant de commencer à jouer doucement sur sa lyre. Ses doigts fins effleurèrent les cordes avec délicatesse tandis qu’elle improvisait une mélodie douce-amère qui emplissait l’appartement d’une harmonie céleste.

Les notes s’entremêlaient à sa voix séraphique qui s’élevait comme une prière mélancolique vers des cieux imaginaires. Gianlucido et Margherita semblaient captivés par cette musique hypnotique qui apaisait leurs petites âmes animales autant qu’elle nourrissait les rêveries de leur maîtresse.

Novela vivait dans un monde façonné par ses illusions : un refuge mental où les joies étaient magnifiées et les peines soigneusement effacées. Mais ce paradis artificiel n’était qu’une prison dorée où elle errait sans fin entre rêve et réalité — enfermée dans ses chimères comme dans cet appartement sombre, isolée du reste du monde… pour toujours.