Flocons de nuit
16 février 2015
Illustration par Kura Kaminari

La nuit tombait sur Paris, enveloppant les ruelles étroites d’un manteau glacé. Mihran Abdul-Fattah Salib resserra sa parka autour de lui pour contrer le froid mordant. À trente ans, cet homme au regard fatigué portait sur ses épaules le poids d’un exil douloureux. Originaire du Sénégal, il avait quitté sa terre natale avec l’espoir tenace d’un avenir meilleur en France. Mais les promesses d’une vie nouvelle s’étaient vite effritées face à la dure réalité des centres d’accueil pour demandeurs d’asile.
Chaque matin, à huit heures précises, il quittait le foyer avec ses maigres possessions. L’attente interminable pour obtenir un statut légal lui pesait, tout comme l’incertitude du lendemain. L’argent manquait cruellement. Comme beaucoup dans sa situation, il avait cédé à la tentation du trafic de drogues. Pourtant, Mihran aimait croire qu’il n’était pas un simple délinquant : dans son esprit, il était une sorte de "pharmacien des rues", offrant des substances à ceux qui en avaient désespérément besoin.
Ce soir-là, après une longue journée passée dans l’ombre des immeubles parisiens, il s’accorda une pause dans une ruelle déserte. Une cigarette pendait mollement entre ses lèvres tandis qu’il observait les volutes de fumée se dissiper dans l’air glacial. Il avait presque écoulé toute sa marchandise et rêvait déjà du lit rudimentaire qui l’attendait au centre.
Soudain, une silhouette familière émergea des ténèbres. Laura Dubois. Cette adolescente frêle et élégante semblait toujours défier le froid hivernal avec ses tenues légères. Ce soir-là, elle portait une chemise blanche en soie et un short rouge orné d’une épingle scintillante.
— Tu vas attraper la mort sans manteau, princesse des neiges, lança Mihran avec un sourire en coin.
Laura haussa les épaules en grelottant légèrement.
— J’ai vendu mon manteau pour six cents euros.
Mihran arqua un sourcil mais ne posa pas plus de questions. Il savait que derrière cette façade insouciante se cachait une détresse profonde. Après un bref échange taquin, il lui tendit un sachet contenant quelques grammes de cocaïne fishscale, sa meilleure qualité réservée aux clients aisés.
Alors que Laura repartait avec sa précieuse poudre, deux hommes surgirent au bout de la ruelle. Ils portaient des chapeaux qui leur donnaient un air singulier. Mihran sentit son estomac se nouer lorsqu’ils s’approchèrent.
— Jack ? demanda l’un d’eux.
Mihran comprit immédiatement qu’il s’agissait de policiers en civil. Il esquissa un sourire ironique tout en levant les mains.
— Vous voulez quelque chose ? De la coke ? Du hash ? Ou peut-être des beignets ? plaisanta-t-il avant que les menottes ne claquent autour de ses poignets.
Malgré la situation, Mihran garda son calme. Il savait que ce n’était qu’une étape supplémentaire dans son parcours chaotique. Pour lui, passer une nuit au commissariat valait mieux que rester dehors par ce froid glacial.