Corps et âme aux loups
15 décembre 2015
Illustration par Kura Kaminari

La pleine lune brillait avec majesté, illuminant les flocons qui tourbillonnaient dans l’air glacial. Gabriella Muñoz, emmitouflée dans une couverture bariolée aux motifs aztèques, observait ce ballet hivernal depuis son canapé en cuir de buffle. Ses cheveux bleus crêpés formaient une auréole étrange autour de son visage concentré. Devant elle, la télévision diffusait un documentaire sur les loups, ces nobles créatures qu’elle admirait presque autant qu’elle détestait ses voisins américains.
Le présentateur expliquait avec une froideur clinique comment les humains avaient méthodiquement éliminé les loups pour protéger leurs fermes et leurs potagers. Gabriella serra son soda Jelly Belly comme si elle tenait le cœur palpitant d’un loup mourant entre ses mains. Les images à l’écran devenaient insoutenables : des villageois éventraient un loup blessé sous les regards innocents des enfants qui riaient autour du carnage.
— Des barbares ! Des dégénérés ! s’écria-t-elle en lançant sa télécommande contre le mur.
L’indignation bouillonnait en elle comme une lave prête à jaillir. Elle ne pouvait rester passive face à ce génocide animal. Une idée germa dans son esprit : il fallait agir pour venger ces créatures majestueuses.
Le lendemain matin, Gabriella sortit de chez elle vêtue d’un pardessus noir qui lui donnait des airs de justicière mélodramatique. Armée d’un pistolet qu’elle avait acheté sur un coup de tête dans une boutique douteuse, elle se posta près du bureau de poste USPS d’El Paso. Les flocons continuaient leur danse silencieuse tandis que les passants marchaient sans se soucier du poids historique de leurs pas sur cette terre souillée par le sang des loups.
Une Américaine élégante s’approcha, enveloppée dans un manteau luxueux qui semblait défier le froid avec arrogance. Gabriella lui barra la route.
— Tu n’as pas honte ? lança-t-elle avec véhémence.
La femme cligna des yeux, visiblement déconcertée.
— Pardon ? Je ne comprends pas…
Gabriella ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase. Dans un geste théâtral digne d’une tragédie grecque revisitée par Quentin Tarantino, elle leva son arme et tira une balle nette entre ses sourcils parfaitement épilés. La femme s’effondra sans bruit, laissant tomber une enveloppe qui contenait probablement des factures ou des cartes postales sans importance.
Gabriella continua son carnage absurde avec une précision presque chorégraphique, abattant dix autres personnes au hasard parmi les passants paniqués. Les flocons semblaient ralentir dans leur chute pour contempler cette scène irréelle où la folie humaine rivalisait avec la cruauté historique qu’elle dénonçait.
Lorsqu’elle eut vidé son deuxième chargeur, Gabriella s’agenouilla au centre de la rue enneigée. Elle leva les bras vers le ciel comme pour invoquer l’esprit des loups disparus.
— Ahouuuuu ! hurla-t-elle dans un cri primal qui résonna entre les bâtiments silencieux.
Puis, dans un dernier acte grotesque et poétique, elle pointa le pistolet contre son propre cœur et appuya sur la gâchette. Son corps s’effondra dans la neige immaculée, tachée désormais du rouge vif de sa révolte absurde.